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La notion d’exploitation viticole s’assouplit
Nathalie Tourrette et Matthieu Chirez, avocats experts en droit vitivinicole chez J. P. Karsenty & Associés, expliquent comment deux jurisprudences récentes font évoluer la vision traditionnelle de l’exploitation viticole.
Nathalie Tourrette et Matthieu Chirez, avocats experts en droit vitivinicole chez J. P. Karsenty & Associés, expliquent comment deux jurisprudences récentes font évoluer la vision traditionnelle de l’exploitation viticole.
Comment définit-on une exploitation viticole ?
Selon la réglementation, l’exploitation vitivinicole consiste en une entité déterminée constituée de parcelles viticoles, de bâtiments et équipements particuliers, et disposant pour la vinification et la conservation du vin d’une cuverie particulière individualisée ou identifiée au sein d’une cave coopérative de vinification dont elle fait partie.
Rappelons également que les mentions se référant à l’exploitation (château, domaine, clos, mas, etc.) sont réservées aux vins bénéficiant d’une appellation d’origine protégée (AOP) ou d’une indication géographique protégée (IGP), élaborés exclusivement à partir des raisins récoltés dans les vignobles cultivés par cette exploitation et lorsque la vinification est entièrement effectuée dans cette exploitation.
Pourquoi cette vision est-elle susceptible d’évoluer ?
Il résulte d’une décision rendue par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), le 23 novembre 2023, et d’une autre par le Conseil d’État, le 18 janvier 2024, un assouplissement incontestable de la notion d’exploitation viticole. La concentration des parcelles et des équipements de production au sein d’une seule et même exploitation et la réalisation de toutes les étapes de production du raisin et du vin en un seul lieu ne sont désormais plus exigées. Ceci laisse une marge de manœuvre considérable à l’exploitant dans la conduite de ses activités.
De quelle façon la décision de la Cour de justice de l’Union européenne élargit-elle la notion d’exploitation ?
Une viticultrice se voyait refuser par l’administration allemande l’apposition des mentions « domaine viticole » et « mise en bouteille au domaine » sur ses étiquettes. Le motif était qu’elle faisait du vin à partir de raisins, dont une partie provenait de vignes qu’elle louait à un tiers et que ce dernier exploitait selon ses directives, et dont une étape de vinification avait lieu chez le tiers. Dans sa décision, la Cour considère que la notion d’exploitation n’est pas limitée aux seules terres dont le viticulteur est propriétaire ou situées à proximité de celles-ci, mais peut s’étendre à des vignes louées et situées à plus de 70 kilomètres de l’exploitation du viticulteur. Ensuite, elle rappelle que l’indication des mentions contestées vise à garantir que la récolte et la vinification ont lieu sous la direction effective, le contrôle étroit et permanent ainsi que la responsabilité exclusive du viticulteur.
Le même raisonnement est appliqué par les juges quant au pressurage assuré dans un pressoir loué à un tiers. Il peut être considéré comme effectué dans l’exploitation viticole si le pressoir est mis à disposition exclusive du viticulteur et que ce dernier supervise totalement l’opération ainsi délocalisée. Il en est de même si le pressurage est réalisé par les salariés du tiers, dès lors que le viticulteur surveille et contrôle de manière étroite et permanente que l’opération se déroule conformément à ses prescriptions, ce qui implique en cas de problèmes imprévus que les décisions urgentes soient prises par le vigneron.
Que contient la jurisprudence du Conseil d’État ?
Le Conseil d’État s’est prononcé sur la possibilité pour une nouvelle exploitation d’utiliser les noms des deux anciennes exploitations qu’elle réunit. Pour la répression des fraudes, les conditions n'étaient pas remplies car la première exploitation avait repris uniquement les vignes de la seconde, sans les bâtiments et équipements d’exploitation.
Mais les juges ont estimé que la nouvelle exploitation peut utiliser le nom des anciennes exploitations si les raisins sont vinifiés de façon séparée soit dans les bâtiments de chacune des anciennes exploitations, soit dans les bâtiments de l’une d’elles ou encore dans les bâtiments de la nouvelle exploitation. Ils ont donc considéré que la nouvelle exploitation peut employer le nom de l’exploitation reprise, même si les bâtiments et équipements de cette dernière ne l’ont pas été, en utilisant ses propres chais, à condition bien entendu que les raisins des deux exploitations soient vinifiés séparément.
La Cour de justice de l’Union européenne considère que la notion d’exploitation peut s’étendre à des vignes louées et situées à plus de 70 kilomètres de l’exploitation du viticulteur
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