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La luzerne cherche sa voie en porc

La luzerne peut être valorisée dans l’alimentation des porcs charcutiers en ne récoltant que ses feuilles. Sa viabilité technique et économique n’est cependant pas encore démontrée.

La luzerne pourrait constituer une alternative intéressante à l’importation de soja, dans le cadre de productions non OGM notamment. En effet, la production de protéines d’un hectare de cette culture est deux fois plus élevée que celle d’un hectare de soja (1,8 tonne contre 0,92 tonne). Cependant, sa teneur élevée en fibres oriente pour le moment son utilisation presque exclusivement à l’alimentation des ruminants. La mise au point par la société Trust’Ing basée à Nantes (Loire-Atlantique) d’un équipement permettant de récolter une partie de la plante essentiellement composée des feuilles, qui concentrent entre deux tiers et trois-quarts de sa matière azotée totale (MAT), a enclenché une réflexion de la région Bretagne (voir outil) sur son utilisation potentielle par les porcs charcutiers. Cette fraction, dénommée parèp (partie aérienne riche en protéines), est constituée à 90 % de feuilles et 10 % de tiges. Elle contient 23 % de MAT, selon les analyses effectuées par les chambres d’agriculture des Pays de la Loire, lors d’un essai réalisé à la station des Trinottières (Maine-et-Loire). D’après la société Trust’Ing, cette valeur est stable dans le temps, quel que soit le stade physiologique de la plante. En théorie, la feuille de luzerne pourrait donc constituer une ressource protéique appréciable pour le porc en croissance. Cependant, elle se heurte à un manque de connaissance de la valorisation de ses acides aminés par les porcs. « Des tests de digestibilité en cours à l’Inra de Saint-Gilles (Ille-et-Vilaine) devraient apporter un début de réponse aux nutritionnistes », souligne Catherine Calvar, ingénieure en production porcine à la chambre d’agriculture de Bretagne. « Mais tant que nous n’avons pas tous les résultats d’analyses, il n’est pas possible en l’état d’incorporer de la parèp à des taux élevés dans l’alimentation des porcs charcutiers en substitution des tourteaux, sans risque de diminuer les performances techniques. » Par ailleurs, sa teneur élevée en cellulose (15 % environ) limite sa valeur énergétique. Dans l’essai réalisé aux Trinottières, la valeur en énergie nette de la parèp récoltée par la machine de Trust’Ing a été estimée à 6,3 mégajoules (MJ) par kilo. Une valeur qui limite son taux d’incorporation dans les aliments d’engraissement, généralement formulés entre 9 et 10 MJ d’énergie nette.

Conservation anaérobie en mélange avec des céréales ou des protéagineux

L’autre clé de l’utilisation de la luzerne est son mode de conservation. L’idéal reste la déshydratation, qui stabilise le produit dans le temps et facilite sa reprise. Mais elle augmente son coût de production et ne constitue pas une solution très écologique, à moins de disposer d’une ressource de chaleur bon marché issue, par exemple, d’une unité de méthanisation. Une alternative proposée par la société Trust’Ing consiste à mélanger la parèp à une autre matière première (blé ou maïs broyé, protéagineux…). Le mélange obtenu est appelé massaï (majeure alternative simple au soja actuellement importé). Ce procédé facilite sa conservation sous forme d’ensilage en silos couloir ou en boudins. Mais sa reprise peut s’avérer problématique. Toujours dans le même essai des Trinottières, la parèp avait été mélangée avec du blé broyé dans la proportion 80/20 par une mélangeuse de type Trioliet utilisée en production bovine pour les fourrages grossiers. Le produit, conservé en silo taupinière, était très humide (39 % de matière sèche) et très compact. Sa reprise s’est avérée compliquée en l’absence d’équipements de manutention appropriés sur l’exploitation. Cependant, il semblerait qu’une distribution par voie liquide soit possible sous certaines conditions. Un voyage en Allemagne organisé par le conseil régional de Bretagne a permis à des professionnels de la production de découvrir un élevage où ce type de mélange était distribué par une machine à soupe, en complément d’un aliment. Le mélange, constitué de luzerne plante entière et de céréales broyées, était dilué au préalable dans une présoupe à 2 l/kg afin de bien homogénéiser le produit et d’éviter le bouchage des canalisations. La cuve de présoupe était approvisionnée avec le godet du tracteur de l’exploitation. Pour faciliter la distribution, la luzerne avait été broyée finement à la récolte. À condition de disposer de ces équipements de reprise et de distribution, l’intérêt du massaï est de pouvoir intégrer la luzerne dans l’alimentation des porcs charcutiers élevés sur caillebotis. La distribution de luzerne semble plus simple pour les porcs élevés sur paille. À l’Inra de Rouillé, des essais ont été réalisés avec de la luzerne enrubannée, distribuée à volonté dans des râteliers en complément de l’alimentation classique. Dans ce cas, la plante est considérée comme un apport complémentaire de fourrage, et non comme une matière première qui contribue à l’équilibre de la formule.

Un effet positif sur le bien-être des animaux.

À défaut d’obtenir des éléments techniques chiffrés justifiant l’intérêt de la luzerne dans l’alimentation des porcs, le voyage découverte en Allemagne a permis de mettre en évidence l’impact positif de ce type de ration fibreuse sur le bien-être des animaux. Une ration riche en fibre permet en effet d’augmenter les quantités d’aliment distribuées, et donc de réduire la frustration induite par le rationnement alimentaire, sans risque de dégradation de la qualité des carcasses. Cet axe de travail est notamment reconnu pour avoir un impact sur la réduction des risques de caudophagie.

D’un point de vue agronomique, la luzerne est une culture qui s’intègre parfaitement dans les rotations culturales. Point important, l’épandage de lisier sur cette légumineuse est possible. Elle permet une meilleure maîtrise des adventices, et améliore le rendement des cultures suivantes. Un blé cultivé après une luzerne a généralement un meilleur taux protéique. Par ailleurs, la luzerne est très tolérante à la sécheresse. Cependant, elle craint les sols compacts et gorgés d’eau en hiver, ainsi que les sols acides s’ils ne sont pas chaulés.

Il reste aux nutritionnistes à évaluer l’intérêt économique de l’utilisation de luzerne dans l’alimentation des porcs charcutiers. Selon l’étude réalisée aux Trinottières, le prix d’intérêt du massaï, qui correspond à 40 % du prix d’un aliment croissance, est trop élevé pour une utilisation en production conventionnelle. Il ne resterait que 24 euros par tonne pour rémunérer le temps de travail de l’éleveur et payer les frais de récolte. Sa rentabilité semble meilleure en production biologique, « à condition d’avoir à disposition des équipements de manutention de fourrages pour ruminants », conclut l’étude.

La luzerne se valorise plus facilement en bio

Le cahier des charges du porc biologique impose la distribution de fourrages grossiers aux porcs charcutiers, ce qui permettrait de valoriser la luzerne dans ce type de production. L’Inra de Rouillé dans la Vienne a testé la distribution de luzerne plante entière enrubannée, « un type de fourrage relativement riche en protéine (autour de 20 % de MAT par kilo de matière sèche) et facile à utiliser ». Distribuée à volonté, la luzerne enrubannée a été consommée à hauteur de 500 grammes par jour en moyenne entre 50 et 120 kilos de poids vif, avec un maximum à 1,5 kilos brut en fin de période. En pratique, les auteurs de l’essai conseillent une distribution à part de l’aliment, soit dans un râtelier, soit dans une auge sur la courette d’accès au plein air des porcs charcutiers. De son côté, l’expérimentation conduite par les chambres d’agriculture des Pays de la Loire conclut aussi que le massaï utilisé (parèp mélangé à du blé) doit être considéré comme un fourrage, et non comme une matière première concentrée en protéines. Les auteurs de cette étude concluent également que « cette pratique semble réservée à des éleveurs de porcs biologiques ». Mais ils posent la question de sa rentabilité, et mettent en avant le manque de données concernant le temps de travail nécessaire et le coût de récolte. Ils s’interrogent aussi sur la meilleure valorisation possible de la luzerne produite dans les exploitations mixtes bovins-porcs.

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