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Bilan du campus Hectar avec Audrey Bourolleau : « on s'appuie sur 500 agriculteurs coachs »

Origine des personnes formées, agriculteurs-coachs rémunérés, rentabilité de la ferme pilote laitière, relations avec le monde agricole : interview bilan des deux premières années d’existence du campus Hectar avec Audrey Bourolleau, sa cofondatrice avec Xavier Niel. 

Audrey Bourolleau, fondatrice d'Hectar, posant dans la ferme pilote dans les Yvelines.
Audrey Bourolleau, cofondatrice du campus Hectar, sur la ferme laitière pilote à Lévis-Saint-Nom dans les Yvelines.
© Sylvain Leurent

Deux ans après l'ouverture du campus Hectar,  l'ex-conseillère d'Emmanuel Macron Audrey Bourolleau, sa cofondatrice, accepte pour Reussir.fr de tirer un premier bilan de cette aventure dont l'annonce avait suscité de vives réactions dans le monde agricole

 

 

Comment le projet campus Hectar a évolué par rapport aux ambitions du départ ?

Reussir.fr : A sa création vous annonciez qu’Hectar était le plus grand campus agricole du monde, avec pour objectif de redonner envie et aussi attirer de nouveaux profils dans le secteur agricole ? La première déclaration était un peu exagérée non ?

Audrey Bourolleau : C’est la presse qui avait parlé « du plus grand campus agricole du monde » en faisant référence à sa taille : 600 hectares. 

En deux ans, plus de 10 000 personnes sont passées sur le site d’Hectar. Ce que je garde de ces deux ans c’est le besoin d’avoir une approche sur la chaîne de valeurs pour former les futurs repreneurs de fermes. Je me suis rendu compte que quand bien même on trouve des modèles gagnants, il faut travailler sur tous les maillons de la chaîne de valeurs. Toutes les entreprises agroalimentaires qui se lancent dans leur bilan carbone se rendent compte que 60 à 80% du CO2 viennent des fermes. Et elles se demandent comment ça fonctionne. Quelle est la structure de coûts des agriculteurs 

Nous lançons un programme dédié à la floriculture régénératrice avec le soutien de Parfums Christian Dior

A Hectar on essaie aussi de ramener des équilibres de vie, de repenser les chaînes de valeurs avec nos agriculteurs. Nous annonçons par exemple un programme de formation entrepreneuriale dédié à la floriculture régénératrice avec le soutien de Parfums Christian Dior. L’idée : aider à relocaliser des filières floricoles durables en France et créer une valeur supplémentaire dans les fermes françaises. Chez Hectar on essaie d’avoir une vision sociale de l’agriculture et de modéliser des briques de valeurs ajoutées pour les agriculteurs. 

Et pour cela on travaille beaucoup avec l’aval, ce que je n’avais pas identifié au départ. Ce que je n’avais pas envisagé au début également, c’est toute l’importance des nouvelles formes d’organisation du travail dans les fermes que nous testons nous-mêmes dans la ferme pilote laitière. Il y a beaucoup à créer autour de l’organisation du travail, la délégation de travaux agricoles mais aussi de la marque employeur. Au départ je n’avais pas vu l’utilité d’accompagner les repreneurs sur ces sujets-là.   
 

 

Combien de personnes a accueillies le campus Hectar et quel profil ?

Reussir.fr : En deux ans vous avez accueilli plus de 10 000 personnes ? Est-ce que cela comprend les gens venus en séminaire ? 

Audrey Bourolleau : Sur les 10 000 personnes, nous avons accompagné 100 porteurs de projets agricoles. Nous avons fait le choix d’accompagner moins de personnes mais mieux. Il y a deux ans, on ne connaissait pas les profils des repreneurs. On n’a pas souhaité accompagner les projets d’autosuffisance, car nous n’avons pas trouvé de modèles satisfaisants. Dans les porteurs de projets que l’on accompagne 70% sont de nouveaux entrants dans le monde agricole avec une formation souvent bac +3 ou bac+5, dans une moyenne d’âge de 30-35 ans, un actif familial à 80% et ces porteurs de projets sont accompagnés par des agriculteurs coachs. 30% sont des fils ou filles d’agriculteurs reprenant une exploitation familiale avec un besoin d’accompagnement. 

Nous payons 80 à 100 euros de l’heure les agriculteurs coachs qui sont aujourd’hui au nombre de 500.

Nous payons 80 à 100 euros de l’heure les agriculteurs coachs qui sont aujourd’hui au nombre de 500. Ils viennent confier les erreurs à ne pas commettre, parler de temps de travail et donner 2 à 3 conseils aux entrepreneurs. Les agriculteurs ont envie de partager leur expérience. 

Sur les 10 000 personnes on a aussi 2000 jeunes scolaires, des stagiaires de troisième avec beaucoup de mixité sociale. Souvent c’est la première fois qu’ils viennent sur une exploitation agricole, on leur fait rencontrer un éleveur, un véto, un codeur en intelligence artificielle... L’an prochain nous allons aussi accueillir durant un jour tous les élèves en formation CAP boucher-traiteur du Ceproc lors de leur rentrée. 

Nous avons aussi reçu tous les élèves en masters RSE du groupe HEC pour leur expliquer ce qu’est l’enjeu de la transition agroécologique et leur montrer qu’il faut tenir compte du temps du vivant.

L’activité principale est pour l’heure celle des séminaires

L’activité principale est pour l’heure celle des séminaires avec 7000 personnes, plutôt en lien avec l’agroalimentaire, mais nous avons aussi des entreprises de la cosmétique ou du bâtiment. Durant leur séminaire on les forme forcément durant deux heures sur les enjeux de la transition écologique.

L’accélérateur a aussi accueilli 60 start-up, l’objectif de 80 sera sur deux ans sera rempli.

Quand on pose la question de savoir si l’Agtech va prendre la place de l’agriculture, mois je pense que l’Agtech doit être au service de l’agriculture. On pense aussi développer cette approche au niveau européen et mondial, avec des contacts aux Pays-Bas ou aux Etats-Unis par exemple. 

Relire l’interview : Audrey Bourolleau, fondatrice d’Hectar: «Nous allons former des entrepreneurs agricoles»


Reussir.fr : Vous annonciez vouloir accompagner plus de 2000 personnes par an ? Tremplin, votre programme dédié à l’entrepreneuriat agricole, n’a accueilli que 104 personnes vous avez donc revu vos objectifs à la baisse ?

Audrey Bourolleau : Oui on a fait le choix d’accompagner moins mais mieux. Après vous avez vu on a aussi développé des formations de leadership via Farm’Her notamment. Je souhaite aussi déployer des formations en management visuel auprès des entrepreneurs agricoles, pour alléger leur charge mentale, par exemple.

On se positionne en complément des formations agricoles existantes

 On se positionne en complément des formations agricoles existantes, on va là où nous sommes utiles. La communauté d’agriculteurs coachs est formidable, cette idée mérite d’être reprise dans d’autres formations et c’est très gratifiant pour les agriculteurs d’être retenus pour partager leur expérience d’entrepreneurs du vivant. J’ai envie qu’à Hectar il y ait plus de rôles modèles auxquels les jeunes souhaitant s’installer puissent s’identifier. C’est un peu notre Top chef à nous !

Lire aussi : Innovation : pourquoi cinq coopératives agricoles s’allient à Hectar

 

Quelles relations campus Hectar entretient-il avec le monde agricole ?


Reussir.fr : Le projet a été critiqué au départ par la profession agricole et l’enseignement agricole, les relations se sont-elles détendues depuis ? Avez-vous des refus de la part des agriculteurs que vous sollicitez pour devenir coachs ?

Audrey Bourolleau : Au départ c’est moi qui les appelais en direct, je n’ai jamais eu de refus parce qu’en même temps je les connaissais presque tous. Mais mes équipes ont pris le relai et elles n’ont pas eu de « non ». Les agriculteurs sont très généreux, et ils sont souvent contents d’être identifiés comme des fermes qui marchent. Aujourd’hui on travaille avec des agriculteurs, des filières, les relations se sont détendues. La communication sur Hectar avait vraiment précédé notre projet. Notre projet évolue vers la modélisation économique et l’organisation du travail pour un modèle gagnant au service de l’environnement, testé quand on le peut sur notre ferme pilote. Dans l’objectif de transmettre au plus grand nombre, repreneurs, jeunes et corporate. 

On a une chance d’avoir pu le faire avec Christian Dior. Et on a commencé à se dire quelle fleur va apporter de la biodiversité et créer de la valeur pour un agriculteur. On va modéliser ça au niveau de notre ferme pilote et transmettre dans nos formation le planning de notre salarié qui n’y connaissait rien au départ. On va analyser le port de charge. On va partager l’information auprès d’agriculteurs souhaitant se diversifier. De pair à pair. 

Relire : L’école Hectar suscite colère et interrogations dans l’enseignement agricole

 

Les réussites et les échecs du campus Hectar


Reussir.fr : Quelle est votre plus grosse satisfaction depuis le lancement du Campus ?

Audrey Bourolleau : Quand un jeune chef repart d’Hectar en disant je vais maintenant parler des plantes à tisanes qui font du bien au sol, je vais aussi utiliser des fleurs locales pour mes bouquets, eh bien je me dis qu’on n’a pas perdu notre temps. 

On provoque des rencontres improbables, on joue un rôle de pivot, de facilitateur

Quand on arrive à réunir un éleveur et un codeur en intelligence artificielle sur notre site, je suis aussi satisfaite. On provoque des rencontres improbables. Ou encore quand on fait réaliser à un patron que pour sa politique RSE il doit prendre en compte le temps du vivant. On a ce rôle de pivot, de facilitateur.  
 

Reussir.fr : Qu’est-ce que vous n’avez au contraire pas encore réussi à faire ?

Audrey Bourolleau : Je suis inquiète sur le coût de la transition pour des produits comme le lait ou le blé. Autre sujet : celui de l’équilibre de vie sur les petites fermes, les petites surfaces. 

Sur le maraîchage sur 3 à 5 hectares, on n’a pas trouvé de modèle économiquement viable

Sur le maraîchage sur 3 à 5 hectares on n’a pas trouvé de modèle économiquement viable et permettant un équilibre de vie. Dans l’élevage on a des modèles gagnants. Ce n’est pas un échec c’est une frustration. Tout le monde parle beaucoup d’environnement, j’insiste beaucoup sur le coût du travail pour la génération d’agriculteurs à venir. Il faut sensibiliser au juste coût de l’alimentation. Mon autre inquiétude porte sur les équilibres de valeurs entre les briques de valeur nourricières et les briques de valeur non nourricières.


 

Quel est le modèle économique d'Hectar et de sa ferme pilote ?


Reussir.fr : Quel est le modèle économique d’Hectar ? Le recours à des sponsors ? Ce sont surtout de grosses entreprises ?

Audrey Bourolleau : Chaque pilote de formation se fait avec des entreprises privées, souvent des grands groupes sur le modèle partenarial. Et ce pour deux raisons. A la fin la chaîne de valeur absorbe le coût, le sourcing est possible. C’est mieux de coconstruire. J’aimerais trouver un logisticien pour explorer la question de la logistique bas carbone en faisant du picking dans les fermes par exemple. On essaie de chercher les acteurs qui comptent. 

Sur l’énergie, on va travailler avec Sun’agri

Comme sur l’énergie on va travailler avec Sun’agri pour trouver des modèles qui privilégient l’agronomie avant l’énergie. La deuxième raison c’est que ces collaborations permettent un effet de levier et de déployer rapidement une des réponses.   
 

Reussir.fr : Comment évolue la ferme laitière ? Le modèle économique se précise-t-il ?

Audrey Bourolleau : On fera le bilan au bout de 3 à 5 ans. Cette année on a commencé à produire des yaourts. On calcule l’impact carbone. On va faire un prochainement un retour d’expériences. Par exemple on voit que sur le territoire on a un problème d’accès aux soins vétérinaires

Voir aussi : Hectar dévoile le modèle de sa ferme laitière pilote 


Reussir.fr : Quels sont vos projets pour les deux ans à venir ?

Audrey Bourolleau : On veut continuer à marcher sur nos trois pieds : modéliser, tester, transmettre. On veut apporter notre toute petite pierre dans ce chemin, projeter des rôles modèles dans l’agriculture pour attirer des gens. On est jeunes, on n’a que deux ans !

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