International
L’Iran, un grand pays d’élevage caprin
Pour moderniser son élevage caprin, l’État iranien se tourne vers l’international afin d’augmenter la production laitière et aider les éleveurs ruraux.
Perçue à tort comme un pays désertique, la République islamique d’Iran est un grand pays agricole et d’élevage. Les déserts y occupent certes une surface importante mais on y rencontre pratiquement tous les types de climats. Il compte parmi les pays dont le cheptel des ovins et caprins est le plus important au monde. L’élevage bovin et de camélidés occupe aussi une place significative. L’agriculture emploie toujours un quart de la population iranienne et représente 11 % du PIB. Depuis janvier 2016, avec la levée des sanctions économiques et financières, le pays s’ouvre largement vers l’extérieur. Il est donc logique que l’Iran ait été récemment le pays d’honneur du Sommet de l’élevage qui se tenait à Clermont-Ferrand début octobre.
Partenariat caprin entre la France et l’Iran
Depuis 2015, à la demande des ministres de l’Agriculture français et iraniens, plusieurs rencontres ont eu lieu entre les représentants des ministères et des entreprises des secteurs de l’agriculture et de l’élevage et un correspondant pour la mise en œuvre et le suivi de la coopération agricole France-Iran a été nommé au ministère de l’Agriculture. Le premier Comité agricole France-Iran qui s’est tenu à Téhéran en mai 2015 a été l’occasion de signer plusieurs lettres d’intention dont l’une comporte un projet technique caprin détaillé impliquant la mise en place d’une ferme laitière caprine par un partenariat entre l’Adepta et Solico Group. Ce projet de ferme pilote située près de la mer Caspienne a aussi l’objectif de mettre en place une coopération entre services vétérinaires et instituts techniques et de recherches.
Plus de 3 500 animaux ont déjà été exportés, surtout des chevrettes, dans le but d’augmenter rapidement la production de lait de chèvre. « L’ambition du gouvernement iranien est d’atteindre les 750 000 tonnes de lait de chèvre produit d’ici cinq ans » indiquait Mohamad Reza Molasalehi, directeur du service élevage du ministère iranien de l’Agriculture, lors du Sommet de l’élevage.
Un symposium pour célébrer la chèvre à Téhéran
Avec un effectif de plus de 20 millions de têtes soit un caprin pour quatre habitants, l’élevage caprin a une grande importance en Iran. Le pays a établi deux priorités nationales concernant l’élevage : la structuration des filières de production et le changement des pratiques d’élevage par une optimisation de l’utilisation des ressources en eau fortement impactées par le changement climatique.
L’Institut scientifique iranien pour les productions animales organisait du 16 au 19 septembre à Téhéran, en partenariat avec le Centre international de recherche agronomique pour les zones sèches (Icarda) et l’Association internationale caprine (IGA) et pour la première fois, un symposium national sur l’élevage caprin. Cette manifestation, intitulée « World goat day1 », devait aussi commémorer la première domestication de la chèvre, plus de 1 500 ans avant notre ère. Le symposium a permis aux 300 scientifiques, techniciens et éleveurs iraniens présents de confronter leurs réalités avec celles présentées par les représentants étrangers venus d’Inde, d’Argentine, du Kenya, d’Australie, d’Arménie et de France avec un grand nombre de témoignages sur les dynamiques caprines en cours dans plusieurs autres régions du monde et sur les enjeux que va avoir à relever l’élevage caprin face au changement climatique.
Deux Français ont été sollicités pour intervenir dans ce symposium. Olivier Danel, éleveur laitier dans les Deux-Sèvres, avait accompagné en janvier 2016 la mise en place de l’insémination en croisement sur races locales avec de la semence française pour améliorer leurs résultats. Lors du symposium, il a présenté les principes et pratiques à respecter pour permettre la réussite d’un élevage caprin à haut niveau de production. L’autre intervenant, Jean-Paul Dubeuf, est un chercheur de l’Inra qui analyse les processus de développement, en particulier ceux des systèmes caprin.
Un système d’élevage traditionnel à remettre en dynamique
Une grande partie du cheptel caprin iranien est constituée de races locales régionales (27 recensées) généralement à plusieurs fins : lait, viande et/ou fibres. Dans de nombreuses régions, le nomadisme, bien qu’en recul, reste très vivace. Les troupeaux sont conduits quasi-systématiquement avec des ovins sur de grandes surfaces par des communautés tribales pour lesquelles la production de cachemire et de viande reste la principale source de revenus. L’amélioration génétique des troupeaux ainsi que de la commercialisation et de la qualité des produits est la grande priorité soulignée pour préserver cette diversité des systèmes caprins très résilients par rapport à l’accentuation des périodes de sécheresse. Jusqu’à présent, les élevages intensifs étaient peu nombreux mais on observe un intérêt récent mais marqué de la part d’investisseurs pour mettre en place de grandes unités laitières caprines. La place de ces initiatives, qui ont donné lieu à de nombreuses présentations justifiées par l’importance de la demande en lait de chèvre, a fait l’objet de débats animés et contradictoires entre les intervenants iraniens. L’enjeu sera probablement d’organiser d’abord les dispositifs de sélection adaptés aux races locales, plus résistantes mais moins productives et d’intégrer progressivement des méthodes de conduites mieux maîtrisées en particulier au niveau de la conduite de l’alimentation. Mais tout pourrait commencer par la mise en place d’un système d’identification puis d’un système de contrôle de croissance (pour la partie viande) et de contrôle laitier, préliminaire indispensable pour envisager des démarches de sélection à une grande échelle.
Améliorer la production laitière autant que les conditions de vie des éleveurs
La nécessité de maintenir ces systèmes de production millénaires, à la fois pour des raisons sociales et culturelles, a été soulignée. La conservation et l’amélioration des nombreuses races locales sont également un enjeu patrimonial et de biodiversité alors que des investisseurs individuels privés et des compagnies laitières cherchent à mettre en place des élevages en races pures exogènes (Alpines, Murciana-Granadina ou Saanen). Le recours à des croisements des races locales avec du sang extérieur en s’appuyant sur l’importation de semences de races exotiques (Alpines et Saanen depuis la France et Muciana Granadina depuis l’Espagne) est une solution alternative qui tend aussi à se développer. Mais la place relative de ces élevages laitiers caprins intensifs n’est pas connue et leur nombre reste probablement encore faible.
L’élevage caprin en Iran se trouve donc confronté à un dilemme. Comment susciter de nouvelles dynamiques et permettre d’améliorer les conditions de vie des éleveurs dans les centaines d’élevages traditionnels et en particulier les élevages nomades encore très nombreux ? Comment concilier cette orientation avec la création de filières compétitives dans le secteur laitier pour répondre à la demande de lait de chèvre en croissance ? Comment organiser la filière du cachemire pour atteindre une qualité qui lui permettre d’être concurrentiel vis-à-vis de la Chine et d’autres pays d’Asie Centrale ? Si le savoir-faire technique français, conjointement avec la vente d’animaux et de génétique, peut contribuer à atteindre les objectifs du gouvernement iranien présentés au Sommet de l’élevage, celui-ci devra aussi prendre en compte les enjeux sociaux qu’il a à affronter.