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« Les violences sexuelles salissent le monde agricole »

À la campagne, l’anonymat n’existe pas. En raison de la promiscuité dans les zones rurales peu denses où « tout le monde se connaît », la surreprésentation masculine dans les réseaux institutionnels et syndicaux qui structurent l’activité locale limiterait la prise en compte des violences faites aux femmes.

Lauriane, étudiante en école d’ingénieurs à AgroParisTech
Etudiante en école d’ingénieurs à AgroParisTech, Lauriane a vécu des agissements sexistes lors de son stage en exploitation.
© Anonyme

L’année dernière, Laura a porté plainte pour agression sexuelle contre un autre salarié agricole. « Les gens savent, d’autres femmes ont subi la même chose, mais rien ne change car “c’est un bosseur”. Dans le monde agricole, on te pardonne tout si tu travailles bien. Un éleveur du village est connu pour fracasser sa femme mais il gère bien sa ferme donc personne n’y voit de problème. »

Les femmes en milieu rural plus exposées aux violences

Le rapport « Femmes et ruralités » du Sénat publié en 2021 indiquent que « les victimes de violence en milieu rural sont plus isolées, plus exposées, moins informées et moins protégées ». En cause, l’isolement géographique, la promiscuité des territoires où « tout le monde se connaît » rendant l’anonymisation des démarches des victimes quasiment impossible, une plus grande précarité économique et un accès plus restreint aux services publics et aux informations.

En effet, si un tiers de la population française vit en milieu rural, ces territoires concentrent près de la moitié des féminicides constatés chaque année.

Changer la honte de camp

 

 
Laura Chalendard, éleveuse ovin dans la Loire
Laura Chalendard, éleveuse ovin dans la Loire, dénonce l'omerta autour des violences sexuelles et sexistes en milieu agricole. © G.Béroud

« Les agressions sexuelles sont du sexisme sous son ultime forme », rappelle Laura. D’après le même rapport, il existe « une prégnance des stéréotypes sexistes plus importante en milieu rural : la minimisation des violences encore parfois à l’œuvre dans ces territoires accroît la honte et la stigmatisation des victimes ce qui renforce leur repli ».

Après avoir lancé le hashtag « #metoo agricole » sur les réseaux sociaux pour dénoncer les violences sexuelles et sexistes dans le milieu agricole, l’éleveuse d’ovins installée dans la Loire a été accusée de « faire du mal à l’agriculture française », déjà sous le feu des critiques. « C’est parce que j’aime profondément l’agriculture française que je dénonce ces agressions. Ce sont ces violences qui salissent le monde agricole, pas les victimes. »

Du sexisme partout, tout le temps

Lauriane est étudiante en école d’ingénieurs à AgroParisTech. Pendant son stage, lors de l’ensilage ou la tonte des brebis, ne lui sont confiées que des tâches domestiques comme la préparation des repas pour les autres agriculteurs. « Après la traite, on m’explique que je dois, comme les autres femmes, faire à manger pour ces messieurs. Les hommes et les femmes n’étaient pas à la même table, et les femmes mangeaient seulement les quelques restes qui leur revenaient ».

Marie, étudiante dans la même école, rapporte de son stage que « pour une femme, tu t’en es vraiment très bien sortie ». Cette phrase d’apparence banale et pourtant sexiste relève du quotidien pour toutes les femmes en agriculture, qu’elles soient stagiaires, apprenties, salariées ou cheffe d’exploitation.

 

 
Femme lavant un tracteur
"J’ai acheté un tracteur et insisté pour que les papiers soient à mon nom, mais ils ont inscrit le nom de mon conjoint en premier alors qu’il n’est même pas agriculteur !" - Patricia, éleveuse en Isère © DR

« Partout où j’allais, je n’étais pas prise au sérieux, dénonce Patricia. Chez le mécanicien, j’ai acheté un tracteur et insisté pour que les papiers soient à mon nom, mais ils ont inscrit le nom de mon conjoint en premier alors qu’il n’est même pas agriculteur ! ». Ces témoignages, infiniment nombreux, font état du sexisme ambiant dans lequel vivent les femmes en agriculture, tout au long de leur parcours.

Comme beaucoup d’autres agricultrices, Laura fait désormais partie d’un groupe en non-mixité, « les Tracteuses » et continue de gérer seule son élevage de 100 brebis et 2 600 poules. Comme 86 % des plaintes pour agressions sexuelles déposées entre 2012 et 2021, la plainte de Laura a été classée sans suite.

Définition

 

  • Agissement sexiste : « tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant » (article L1142-2-1 du Code du travail)
  • Agression sexuelle : « toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise. » Cinq zones : fesses, sexe, entre les cuisses, seins et bouche (article 222-22 du Code pénal). S’il y a pénétration, il s’agit d’un viol, puni de 15 ans de réclusion criminelle.
  • Féminicide : meurtre d’une femme en raison de son sexe.

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