Les éleveurs face aux questions de société
La filière caprine veut répondre aux attentes sociétales de ses concitoyens. L’assemblée générale des Chevriers de Nouvelle-Aquitaine a permis d’en débattre.
Les vapeurs de pineau et de cognac n’ont pas empêché les chevriers de Nouvelle-Aquitaine de se concentrer sur les nouveaux enjeux de l’élevage dans la société. L’assemblée générale des Chevriers de Nouvelle-Aquitaine et Vendée se tenait en effet le 30 mai dernier à proximité des chais de la coopérative Terra Lacta à Claix en Charente.
Pour ouvrir le débat, Anne-Charlotte Dockès, en charge du département « Métiers d’éleveurs et société » à l’Institut de l’Élevage, a présenté les nouvelles controverses sur l’élevage. Des associations argumentent contre la consommation de produits animaux en invoquant des raisons environnementales, sanitaires, de bien-être animal ou d’intensification du système… Certaines interpellent même la légitimité de l’Homme à utiliser l’animal.
« Jusqu’à maintenant, la France avait été relativement épargnée par ces controverses, néanmoins depuis la crise de la vache folle, qui a été une crise de confiance majeure, il reste une inquiétude durable sur l’industrialisation de l’élevage. Cette inquiétude a pris de l’ampleur au cours des derniers mois ». Pour les associations comme pour les filières animales, l’enjeu est de rallier le public, les médias et les politiques à sa cause. Les associations passent aussi par les enseignes et l’industrie agroalimentaire pour faire évoluer les pratiques. « L’an dernier, des acheteurs de Leclerc ont voulu savoir ce que devenaient les chevreaux, témoigne Patrick Charpentier de la coopérative Terra Lacta. On leur a répondu, mais on était mal à l’aise… »
Soyez sur les réseaux sociaux ou dans les fêtes locales
Si ces questions émergent avec l’activisme de groupes minoritaires, la majorité des Français garde heureusement une image plutôt bonne de l’agriculture et de l’élevage, cette image étant différente selon les espèces. « Contrairement à l’élevage porcin ou avicole, l’élevage caprin a une bonne image mais celle-ci est basée sur la vision fantasmée d’une Manon des sources dans la garrigue avec ses huit chèvres… ».
Pour rétablir la vérité face au grand public, Anne-Charlotte Dockès recommande la sincérité. « Il faut expliquer ses pratiques, sur son élevage sans forcément chercher à justifier les gros feedlots américains. Il ne faut pas avoir peur non plus de dire que si son troupeau a une certaine dimension, c’est par exemple un moyen pour avoir plusieurs associés et prendre des week-ends ». Le lien au produit est aussi une façon de parler de son élevage car « les Français aiment parler de leur alimentation ». Le grand public aime aussi voir la relation de l’éleveur avec ses animaux. « Sur les réseaux sociaux ou lors des fêtes locales, montrez que vous aimez vos animaux », recommande Franck Moreau, vice-président de la Fnec et président d’Interbev caprin. « Racontez ce que vous faites mais ne dites pas que les voisins font mal », exhorte Jacky Salingardes, le président de la Fnec et de l’Anicap, qui prend très au sérieux les attentes de la société vis-à-vis de l’élevage.
Médiation avec trois associations
L’association Welfarm, qui milite en faveur de l’amélioration des conditions d’élevage, a en effet interpellé en début d’année la filière caprine sur le pâturage des chèvres, obligatoire seulement dans les AOP Banon, Chevrotin et Pélardon, dans le label rouge Cabécou d’Autan et dans les fromages biologiques. « Il n’est pas question de se diviser sur ces controverses, avertit le président. Avec l’aide d’une médiatrice, nous allons discuter de nos modes de production avec trois associations pour apporter une réponse unie et négociée. Notre filière est trop petite pour être segmentée. Car on sait qu’une segmentation, c’est donner à certains en prenant d'autres. Et que faire des producteurs qui n’ont pas la possibilité de faire pâturer ? » Et au-delà du pâturage, le président de l’Anicap entend bien discuter des sujets qui fâchent pour les régler une bonne fois pour toutes. L’écornage des chèvres, l’utilisation d’hormones et d’antibiotiques ou le sort des chevreaux devraient ainsi être mis sur la table pour anticiper au mieux les éventuelles controverses.
Encore trop peu d’installations
Les éleveurs de Nouvelle-Aquitaine ont interpellé les responsables nationaux de la Fnec sur le manque d’installation par rapport aux besoins de lait. Pour Jacky Salingardes, « il faut dire aux jeunes et aux banques que la filière caprine est sortie de la crise ». Des raisons structurelles comme la concurrence des céréales ou le peu d’attrait général pour l’élevage laitier sont aussi évoqués. « La reprise ou la création d’un atelier reste coûteuse et il y a peut-être des économies à faire sur les bâtiments ou la mécanisation », avance Franck Moreau. « L’installation est aussi très liée à la politique des entreprises », remarque Jacky Salingardes.
Patrick Charpentier de Terra Lacta rappelait ainsi son plan caprin pour doper la collecte (prime, caution bancaire et garantie de marge pour les nouveaux installés, prime et aides à l’investissement pour le développement de volume). Mais, malgré ces aides, la collecte 2017 de Terra Lacta reste à près de 9 % sous celle de 2016, contre – 6 % pour la collecte nationale. Terra Lacta se dit aussi mieux armé contre le risque d’une nouvelle crise de surproduction. « Nous avons fait le ménage dans nos producteurs pour ajuster leur contrat à leur production effective. Le volume contractuel est revu annuellement et cela permet d’éviter les quotas morts. Notre taux de sous-réalisations est passé de -25 à -6 % ». Jacky Salingardes a aussi rappelé que les contrats d’importation des laiteries sont désormais plus souples pour pouvoir être suspendus plus facilement en cas de retournement de la conjoncture.