Le chèvre plaît, l’Anicap veut du sang neuf
Marchés, renouvellement des générations et attentes sociétales ont été abordés lors de l’assemblée générale de l’interprofession caprine.
À l’annonce des chiffres de la filière caprine pour l’année 2017, le 11 juillet dernier à Paris lors de l’assemblée générale de l’Anicap, la situation paraît plutôt bonne. En effet, la production est stable avec environ 580 millions de litres de lait de chèvre produits en France, dont 465 millions sont collectés. Cela représente 0,7 % de moins qu’en 2016. Ce sont près de 120 000 tonnes de fromage fabriquées, dont plus de 99 200 tonnes issues de laiteries. 78 % du volume de fromage de chèvre produit en France est commercialisé sur le marché national. Les ménages français consomment 89 % de ce volume alors que l’industrie agroalimentaire et la restauration hors domicile représentent respectivement 5 et 6 %. Les produits caprins laitiers de France s’exportent à 22 % du volume, dont 87 % sont absorbés par nos voisins européens, notamment l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Italie. La consommation de fromage de chèvre est bonne. Actuellement, 85 % des ménages français achètent du fromage au moins une fois par an. À ce point de pénétration du marché, la filière caprine doit plutôt compter sur l’augmentation des fréquences d’achats (10,3 fois par an actuellement) et de la quantité par achat (2,44 kilos par an) pour voir une évolution substantielle de ses chiffres de vente.
Ne pas s’affoler et rester proactif
Kantar world panel, le paneliste fournissant les données de consommation à l’Anicap, alerte également sur l’émergence d’un signal faible. Le consommateur, qui délaisse de plus en plus le lait de vache sous toutes ses formes, s’est tourné d’abord vers les produits caprins mais depuis peu également vers les fromages de brebis dont les ventes sont en hausse significative. La filière ovine lait pourrait donc à moyen terme concurrencer la filière caprine. D’autant que, selon Franck Moreau, vice-président de la Fnec et trésorier de l’interprofession, « le marché du fromage de chèvre est toujours dynamique, mais on sent que la situation se tend ». Ce à quoi répond Michaël Lamy, président de l’organisation Lait de chèvre à Eurial et vice-président de l’Anicap, « il est absolument nécessaire que la filière reste proactive, nous ne devons pas nous affoler mais bien être attentifs aux demandes et aux attentes des consommateurs ». Néanmoins, les vieux démons de la filière restent bien présents, avec en premier le problème du renouvellement des générations. Les éleveurs vieillissent et les installations de jeunes agriculteurs se font bien trop rares. Jacky Salingardes, président de la Fnec et de l’Anicap, soulève d’ailleurs une question : « les industriels tiennent un double discours qui s’avère incohérent. D’un côté, on nous dit qu’il faut augmenter la production avec plus d’installations. D’un autre côté, les importations de lait continuent alors qu’il existe déjà des surstocks de lait français ». En effet, les importations de lait de chèvre s’élèvent à 122 millions de litres, soit 26 % de la collecte nationale, en augmentation de près de 2,25 % par rapport à l’année dernière selon FranceAgriMer. Des facteurs qui, toujours le président de l’Anicap, « n’encouragent pas les gens à s’installer et à fabriquer du fromage ». Pourtant, la tendance pour la consommation des produits laitiers caprins est positive et le prix moyen mensuel du lait est en légère augmentation par rapport à l’année dernière en atteignant 703 euros pour 1 000 litres.
Pour tenter de relancer une dynamique d’installation, l’interprofession ne chôme pas et multiplie les actions de sensibilisation. En partenariat avec l’Institut de l’élevage, l’Anicap a réactualisé le guide à l’installation ainsi que de plusieurs brochures destinées à faciliter l’arrivée dans le monde de l’élevage caprin. Un kit pédagogique a également été créé afin de sensibiliser les jeunes dans les écoles. Enfin, des chevriers expérimentés ou des personnes ayant réussi leur installation témoignent à travers différents moyens de communication. Néanmoins, Jacky Salingardes tient à mettre en garde : « l’élevage de chèvres, ce n’est pas un rêve mais une réalité. Et hélas on ne compte plus le nombre de personnes, souvent des néoruraux qui tentent leur chance sans vraiment s’imaginer les difficultés du métier ». Pour le président aveyronnais, il y aura renouvellement si le métier est avant tout rémunérateur et attractif. Pour cela, la Fédération nationale des éleveurs de chèvres, dont il est également président, se doit d’avancer main dans la main avec l’interprofession pour promouvoir ce « beau mais dur » métier auprès d’un large public.
Discuter avec les ONG plutôt que se braquer
Rendre le métier attrayant, ce n’est pas que sur le volet économique. L’Anicap a entrepris un travail en commun avec Interbev sur le plan environnemental. L’interprofession se base sur les travaux déjà réalisés dans la filière caprine avec le code mutuel en élevage et le RSE en entreprise laitière. « S’inspirer de ce qu’a fait Interbev et le superposer à nos propres actions dans la filière nous permettrait de construire un plan d’engagement sur les enjeux sociétaux principaux que ce sont le bien-être animal et l’environnement », avance Franck Moreau, membre de l’Anicap et par ailleurs éleveur dans le Cher. Interbev a initié en 2013 une concertation avec les ONG environnementales pour réfléchir autour des points d’accrochage historiques entre éleveurs de bovins allaitants et écologistes. « Au début, les critiques pleuvaient sur les éleveurs et nous avions de fait une stratégie défensive parfois agressive, témoigne Bruno Dufayet, éleveur bovin, président de la FNB et président de la commission enjeux sociétaux à Interbev. Nous avons changé notre posture au sein de l’interprofession et cela a été très bénéfique. Je prends du plaisir aujourd’hui à rencontrer les ONG ». Pour arriver à cette situation de discussion apaisée, les deux parties ont tout de même préféré faire appel à un cabinet externe pour la médiation. Au fur et à mesure des discussions, les attaques lancées par les ONG se sont transformées en questions sur le métier d’éleveur et les éleveurs, eux, ont appris à écouter les revendications des écologistes. Ainsi, petit à petit, une certaine confiance s’est instaurée entre les deux parties. « La concertation ne fait pas pour autant changer les points de vue du tout au tout et il faut l’accepter », lance cependant Caroline Guinot, responsable de la commission enjeux sociétaux au sein d’Interbev.
Respecter l’environnement c’est créer de la valeur
Depuis cette alliance avec les quatre ONG environnementales que sont la Fondation Nicolas Hulot, WWF, Green cross et France nature environnement, des actions communes ont été menées. En 2015, Interbev a créé sa commission enjeux sociétaux pour donner un cadre à cette concertation et, ensemble, ils signent des courriers aux ministres, se mobilisent contre les accords de libre-échange pouvant créer des distorsions de concurrence et ont été présents lors de la COP 21 et de la COP 23. Cette concertation, ou pacte, est un processus gagnant-gagnant pour les deux parties. Le travail aujourd’hui est de construire des chartes de bonnes pratiques afin que chaque famille professionnelle puisse adhérer au pacte. Cependant, « l’adhésion au pacte ne doit être une raison pour gonfler les prix des produits, prévient Bruno Dufayet, car le respect de l’environnement répond à une attente forte des consommateurs et n’est en aucun cas une démarche marketing ». Néanmoins, cela pourrait permettre de mieux répartir le prix dans toute la chaîne de production. Le produit pourrait être également mieux positionné sur le marché français, créant ainsi indirectement de la valeur. Une démarche qui pourrait s’avérer également payante pour la filière caprine qui se veut inattaquable sur le volet environnemental. Et Jacky Salingardes de conclure : « je suis convaincu que je vais finir par être un adepte des ONG et que je vais aimer travailler avec elles ! »