Vacciner contre les troubles respiratoires en engraissement
Des mesures de prévention prises en amont permettent de diminuer les risques d’apparition de maladies respiratoires en début d’engraissement. Plusieurs pistes de réflexion à ce problème multifactoriel sont à l’étude comme la vaccination, la réduction du stress des animaux, leur conditionnement en amont…
Des mesures de prévention prises en amont permettent de diminuer les risques d’apparition de maladies respiratoires en début d’engraissement. Plusieurs pistes de réflexion à ce problème multifactoriel sont à l’étude comme la vaccination, la réduction du stress des animaux, leur conditionnement en amont…
« La faible capacité pulmonaire des bovins les rend particulièrement sensibles aux maladies respiratoires communément appelées bronchopneumonies infectieuses enzootiques (BPIE). Elles sont dues à une combinaison d’agents infectieux, virus (RS, Pi3, BVD, IBR…) et/ou bactéries (Mannheimia haemolytica, mycoplasme…) dont l’action est séquentielle dans le temps. Souvent les virus interviennent et font le lit des bactéries venant compliquer l’infection virale. La plupart du temps, la présence de ces agents infectieux ne suffit pas à créer la maladie. Les BPIE ont en effet des origines multifactorielles. Autrement dit, il faut des circonstances favorisantes », note Béatrice Mounaix, de l’Institut de l’élevage.
Les facteurs de risques qui facilitent l’entrée des BPIE sont nombreux ! Ils peuvent être liés à l’animal lui-même : sa race, son poids, son origine génétique ou liés aux modalités d’élevage : stress — du sevrage, du transport et de l’allotement — mélange sanitaire d’animaux de différentes origines, taille des lots, mois ou saison de mise en place, conditions de logement dégradées, conduite alimentaire, distance de transport… Aussi, il n’est pas étonnant que la majorité des problèmes sanitaires dans les ateliers d’engraissement de jeunes bovins soit attribuée à des pathologies respiratoires (78 % des troubles de santé) et ce, dans les six semaines suivant l’entrée en engraissement.
Raisonner le recours aux antibiotiques
« Ces troubles coûtent cher. Selon leur gravité, ils entraînent des pertes de revenu annuel pouvant atteindre 25 %, des retards de croissance allant jusqu’à 100 grammes par jour et un allongement de la durée d’engraissement de 60 jours », note Laure Dommergues, vétérinaire pôle animal à Coop de France.
Le diagnostic précoce des animaux malades est difficile et le recours aux traitements antibiotiques collectifs est encore fréquent. Il concerne 19 % des lots en début d’engraissement chez les engraisseurs spécialisés. Or, en corrélation avec les plans Ecoantibio et les enjeux de santé publique (limiter l’augmentation des niveaux d’antibiorésistance), l’administration d’un antibiotique à un lot, pour prévenir la maladie n’est pas une pratique durable. « C’est pourquoi, il est nécessaire de prévenir l’apparition des BPIE car une fois malade, l’animal mérite un traitement antibiotique. Des mesures de prévention permettent de diminuer les risques d’apparition de maladies respiratoires en début d’engraissement. Elles impliquent de lutter contre les facteurs de risques qui facilitent leur entrée dans les élevages et de faire appel à la vaccination », informe Laure Dommergues.
Vacciner pour réduire la pression virale
La vaccination n’empêche pas complètement le virus de circuler mais apporte une meilleure protection au troupeau. En effet, lorsque l’animal est exposé au pathogène concerné par le vaccin, la réponse de son système immunitaire est plus rapide et freine la multiplication du virus dans l’organisme. Ainsi, il y a moins de pathogènes excrétés par l’animal et donc moins de pathogènes en circulation dans le troupeau. La pression virale exercée sur l’animal est donc moindre.
« Pour être fonctionnelle, une stimulation précoce de l’immunité doit avoir lieu avant l’exposition aux pathogènes présents dans l’environnement de vie des animaux. De plus, pour être pleinement efficace la vaccination doit être effectuée sur des animaux en bonne santé, bien alimentés, dans de bonnes conditions d’ambiance et non stressés (en cas de stress, le système immunitaire fonctionne moins bien). De plus, 75 % des troubles respiratoires ont lieu dans les quinze premiers jours d’engraissement. D’où l’intérêt d’une vaccination précoce des broutards chez le naisseur au moins deux semaines avant la période de stress (sevrage et/ou transport) », souligne Laure Dommergues.
Privilégier une vaccination précoce
Pour objectiver l’intérêt de différentes modalités de vaccination, l’Institut de l’élevage (1) a conduit un essai sur 248 broutards charolais, issus de 10 élevages naisseurs et engraissés dans cinq ateliers. « Il s’agissait de comparer les impacts zootechniques et sanitaires des trois modalités de vaccination que l’on rencontre en élevages. Soit, les deux injections sont réalisées chez le naisseur au moins 15 jours avant le départ. Soit la première injection a lieu chez le naisseur, la seconde au centre de tri. Dernière modalité, la première injection est effectuée au centre de tri, la seconde chez l’engraisseur. Aucun de ces animaux n’a reçu de traitement antibiotique collectif, ni en centre de rassemblement, ni en atelier d’engraissement. Les animaux complètement vaccinés 15 jours avant le départ affichaient un gain de poids significativement supérieur par rapport aux autres modalités, de 8 % », souligne Béatrice Mounaix.
Toutefois, plusieurs freins dans la réalisation de cette tâche existent. À noter, la difficulté d’effectuer les deux injections avant le départ, la plupart des animaux se trouvant à l’herbe, le surcoût lié à la vaccination, le manque de main-d’œuvre et de contention… Faute de communication entre naisseurs et engraisseurs, des broutards pourraient être également vaccinés deux fois. Les engraisseurs sont par ailleurs 75 % à ignorer, lors de leur achat, l’origine des broutards. À l’heure actuelle, il n’existe que peu de coordination, empêchant ainsi la mise en place de protocoles vaccinaux, initiés chez le naisseur. L’une des solutions proposées par les éleveurs enquêtés serait de créer une chaîne de valeur rassurante entre le producteur et l’engraisseur, incluant le négociant, dans un esprit de filière.
Des phéromones pour diminuer le stress
Le stress représente également un facteur de risque reconnu des troubles de santé des animaux. En l’espace de quelques jours, les animaux sont sevrés, transportés, mélangés à d’autres congénères et confinés dans des bâtiments d’où un stress accru lors de la mise en lots en engraissement. Ces stress peuvent avoir un impact direct sur le fonctionnement du système immunitaire de l’animal et moduler la réponse inflammatoire des poumons. Des solutions pour diminuer le stress sont à l’étude (2) comme l’application de l’hormone de synthèse apaisine. Les apaisines bovines sont des phéromones sécrétées au moment de la mise bas pour renforcer les relations mère-veau et réduire le stress de ce dernier. L’application de cette molécule de synthèse dans plusieurs ateliers d’engraissement de jeunes bovins de l’Ouest a permis aux chercheurs d’identifier une modification dans le comportement des animaux. Ceux-ci semblaient en effet mieux s’habituer à leur nouvel environnement en exprimant des comportements exploratoires. Dans les conditions de l’essai, une diminution du nombre d’animaux présentant des signes cliniques a également été observée au bout de 30 jours. Cependant, ces effets n’ont pas été perceptibles par les éleveurs.
Optimiser les flux
Les pratiques d’allotement ont également été passées au crible (3) afin de créer des algorithmes pour gérer les flux d’approvisionnement des broutards en France. Une analyse relative à l’effet de la mise en lots de 15 735 jeunes bovins charolais dans 740 lots a été conduite (base de données de la coopérative Ter’élevage). L’optimisation des taux d’origine des lots dans le but de réduire l’exposition des animaux à de nouveaux pathogènes aboutit à une baisse du facteur de risque d’infection du lot de 30 %. L’optimisation des distances de transport permet de passer d’une perte de GMQ de 30 g/j à une de 18 g/j, soit un gain de 4 kilos par animal et ce, tout en diminuant les autres coûts associés au transport et au stress. « Aussi faut-il, pour minimiser les risques lors de la mise en lots, privilégier de faibles taux d’origine plutôt que de faibles variations de poids. Lors du transport, il s’est avéré préférable de minimiser les distances parcourues par les individus », note Lucille Hervé de Terrena.
D’autres travaux sont encore en cours. D’autres initiatives se mettent en place. Certains groupements de producteurs et certaines associations d’éleveurs ont mis sur pied des systèmes de traçabilité assurant la vaccination des broutards selon un protocole validé chez le naisseur (Broutard d’excellence B2E, Broutards Max).
La mise en place de mesures de prévention nécessite la prise en compte de toutes les étapes du processus de production, de la naissance à la finition, en passant par le transport et l’allotement, sans oublier la circulation de l’information et l’organisation au sein de la filière.
Des origines multifactorielles à gérer
Les naisseurs seraient d’accord pour s’engager sur des animaux préalablement vaccinés à condition d’avoir un retour significatif pour ce travail supplémentaire.
Un focus groupe sur les préoccupations des naisseurs
Un focus groupe a été réalisé cet été auprès de huit adhérents d’Elvea Rhône-Alpes, lesquels totalisaient quelque 1 000 vaches mères Charolaises et Salers. L’objectif était de connaître quelle pouvait être la vision de ces éleveurs sur le préconditionnement du maigre par la suite essentiellement destiné aux ateliers italiens.
« Les trois mots qui sont revenus le plus souvent sont sanitaire, prévention, préparation », précise Marlène Moulin, responsable ruminants pour le laboratoire Zoétis, qui a supervisé ce travail avec Virginie Motta, directrice d’Elvéa Rhône-Alpes. Selon les éleveurs interrogés, cette préparation doit concerner en priorité les maladies respiratoires. Elle passe donc par la vaccination, mais également le déparasitage et une préparation alimentaire. L’écornage a également été évoqué, mais dans une moindre mesure. Le plan Écoantibio et sa volonté de réduire l’usage des antibiotiques est bien entendu régulièrement revenu dans la discussion. Pour les éleveurs consultés, cette préparation du maigre correspond aussi à une reconnaissance du travail réalisé dans leurs exploitations avec la volonté de produire en phase avec les attentes de l’aval.
Comme tout travail mérite rémunération, il leur a été demandé quelle plus-value ils estiment légitime pour la réalisation de ce « préconditionnement » dans leur élevage. Les chiffres évoqués oscillaient entre 35 et 70 euros par tête mais les éleveurs consultés souhaitent aussi que leur soit précisément défini ce qui pourrait leur être demandé avant de s’engager. Parmi les freins évoqués, ils s’interrogent sur les entreprises qui « commercent » au quotidien avec l’Italie. Auront-elles le volume suffisant en broutards « préconditionnés » pour faire des camions complets avec des lots suffisamment homogènes côté race, poids, âge et conformation de façon à répondre aux attentes de leurs clients ?
Mieux diagnostiquer
La reconnaissance précoce des signes cliniques des pathologies respiratoires des jeunes bovins est problématique. Les éleveurs détectent et traitent moins d’un tiers des bovins souffrant de ces maladies. « La prise de température étant souvent compliquée, la détection se base le plus souvent sur l’observation de l’abattement des animaux, voire la toux. En conséquence, le diagnostic est souvent tardif et non spécifique. Or, une intervention précoce représente la clé du succès du traitement et permet d’agir plus rapidement à une échelle individuelle et de limiter la propagation de l’infection au lot », souligne Marlène Guiadeur, de l’Institut de l’élevage.
C’est pourquoi, le projet BeefSense (1) vise à développer un outil automatique de détection précoce des troubles respiratoires basé sur des capteurs qui combinent l’enregistrement de l’activité et de la température des animaux. De nombreuses mesures seront évaluées. Elles concernent les signes cliniques, l’exposition aux pathogènes, le comportement, la croissance, les observations post mortem des poumons. Ce projet a démarré cette année à la ferme expérimentale des Établières en Vendée, sur 170 animaux. La faisabilité d’équiper des taurillons de capteurs sera préalablement vérifiée.
Évaluer la sécurité des lots avec Atless
Depuis 2011, l’organisation de producteurs Ter’élevage développe avec l’école vétérinaire Oniris, une grille de prédiction du risque d’apparition des maladies respiratoires chez les jeunes bovins, à l’entrée en engraissement. Cet outil (1), nommé Atless (lire Réussir Bovins viande, n° 263 d’octobre 2018, p. 58), permet lorsqu’un lot d’animaux est constitué en centre d’allotement, de déterminer son niveau de sécurité vis-à-vis de ces maladies et de lui attribuer une note. Grâce à cette dernière, vétérinaires et techniciens peuvent aider les engraisseurs à mieux accueillir leurs lots de broutards achetés et à progresser vers une gestion de ces maladies, sans recours systématique aux antibiotiques. Cette note intègre 15 critères, 9 liés au lot (animaux, mélange…) et 6 liés à l’élevage d’engraissement destinataire de ces animaux. La somme pondérée de ces 15 critères permet d’obtenir la note de sécurité (risque faible à risque fort) donnant une information pour adapter la surveillance du lot. Cette grille facilite aujourd’hui le classement, dès l’allotement, de 70 à 75 % des lots en fonction du risque d’apparition de maladies respiratoires.
Chiffres clés
Les troubles respiratoires, ce sont :
75 % d’entre eux ont lieu dans les quinze premiers jours
75 % de la morbidité en engraissement
Jusqu’à 25 % de perte de revenu
Jusqu’à 100 g/j de perte de GMQ
Jusqu’à 60 jours d’engraissement en plus
(1) Projet financé par l’institut Carnot et piloté par l’Idele avec l’Inra, l’École vétérinaire de Nantes et l’entreprise Biopic qui élabore des capteurs.