Comment se porte le secteur de l’engraissement en Espagne dans le contexte actuel d’inflation du prix des matières premières ces deux dernières années et d’événements climatiques intenses ?
Matilde Moro - Après les difficultés liées à la Covid-19 et l’escalade des prix des intrants en 2021, nous espérions que 2022 serait une année plus calme. Mais cela n’a pas été le cas. Il a fallu faire face aux conséquences de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et au blocage des importations de céréales fourragères qui ont fait grimper le coût de l’aliment. Cette année 2023 est toute aussi complexe. La sécheresse survenue très tôt dans la saison a impacté la récolte de paille et limité la disponibilité des sources de fibres. Elle a réduit tout autant les possibilités de pâturage et les ressources fourragères, accentuant le renchérissement du prix de l’aliment. Ces difficultés financières ont pu être en partie amorties durant les premiers mois de l’année grâce à la fermeté des prix de la viande sur le marché communautaire, mais seulement jusqu’à l’été, où la chute habituelle des prix a été amorcée, rendant à nouveau la vie difficile aux producteurs.
La disponibilité limitée en ressources fourragères a fait grimper le coût de l’alimentation animale.
Ces difficultés ont-elles entraîné des changements de stratégie en matière de conduite technique des animaux ?
M. M. - Oui, la crise provoquée par la sécheresse a obligé les opérateurs à trouver des substituts à la paille, des alternatives aux sources de fibres utilisées pour l’engraissement des veaux. Un peu à la manière de ce qui s’était passé lors de la crise de 2013-2014 avec le soja, qui a contraint certaines entreprises à le remplacer par d’autres matières premières, tout en adaptant et en améliorant l’efficacité dans la formulation des rations.
Et des changements dans les stratégies d’approvisionnement en veaux ?
M. M. - Pour les achats de bovins français, selon moi, ce sont les exigences nouvelles liées à la fièvre catarrhale ovine (FCO) qui ont eu le plus d’impact. Nos pays ont opté pour des stratégies différentes et l’administration espagnole, en particulier, considère toujours que la façon la plus efficace de contrôler la maladie est la vaccination. C’est aussi le moyen de garantir nos débouchés à l’étranger. C’est ce qui explique l’augmentation du nombre de veaux de huit jours en provenance de la France testés par PCR au détriment des broutards. Mais nous avons travaillé avec la Fédération française des commerçants en bestiaux (FFCB) pour essayer d’assouplir ces conditions. Dans le cas des petits veaux, des aménagements permettront de diminuer le coût des tests, mais aucun changement n’est prévu pour l’instant en ce qui concerne la politique vaccinale.
Outre ces éléments très conjoncturels, quels sont les principaux problèmes auxquels l’élevage et l’engraissement de bovins sont confrontés en Espagne ?
M. M. - L’un de nos principaux problèmes concerne le manque de soutien de la politique agricole commune (PAC). Le nouveau plan stratégique espagnol proposé par la Commission européenne pour la période 2023-2027 a été particulièrement restrictif en ce qui concerne le soutien aux systèmes d’engraissement des veaux. Résultat, le soutien de la PAC à l’élevage est modeste et les aides, concentrées sur les systèmes extensifs. Mais ce que nos politiciens oublient, c’est que l’élevage naisseur et l’engraissement sont intimement liés. Or, avec les coûts de production actuels, si la filière d’engraissement n’est pas soutenue, elle peut difficilement faire face à des crises comme celle que nous connaissons actuellement avec des répercussions à l’aval et à long terme sur l’ensemble de la production. Cela accélérera la disparition des exploitations dans de nombreuses régions et la baisse générale du nombre de bovins, déjà à l’œuvre.
Le changement climatique est un autre défi. Les deux sécheresses que nous venons de traverser nous rappellent qu’il s’agit d’un phénomène complexe auquel nous devons nous adapter pour devenir plus résilients. La participation active d’Asoprovac à des projets européens tels que Life Carbon Farming et Climate Farm Demo fait partie des voies de progrès. Nous faisons en sorte que la production de nos membres soit efficace et durable du point de vue environnemental.
En Espagne comme dans les autres États membres, nous devons aussi faire face à d’autres enjeux relatifs aux changements législatifs approuvés ou en cours de négociation. Presque tous issus du Pacte vert, ils plongent le secteur dans l’incertitude et dans une rentabilité de plus en plus fragile (usage des antibiotiques, protection des eaux contre les nitrates, neutralité carbone, bien-être animal…).
Quelle est la dynamique des exportations espagnoles et quels sont vos principaux clients ?
M. M. - Globalement, la balance commerciale pour l’année 2022 est restée positive en volume et en valeur. Les exportations d’animaux vivants se sont contractées de 20 %, mais c’est la catégorie des animaux de boucherie qui a connu la plus forte baisse. En revanche, il est important de souligner la progression des échanges d’animaux moyennement engraissés (160-300 kg), dans laquelle l’Égypte, le Maroc et le Portugal ont joué un rôle majeur. Au cours du premier semestre 2023, les exportations étaient encore en recul par rapport à l’année précédente, surtout pour les bovins légers. S’agissant des animaux de plus de 300 kg, les exportations vers le Moyen-Orient se sont repliées, mais la baisse a été compensée par l’accroissement de la demande en provenance du Maroc. Quant aux exportations de viande bovine, elles ont clôturé l’année 2022 avec des chiffres positifs en raison de l’augmentation des expéditions de viande fraîche (+10 %) par rapport à l’année précédente, principalement sur le marché communautaire.
Qu’en est-il de l’appui du gouvernement espagnol aux exportations ?
M. M. - Ce n’est pas vraiment un appui financier, les restrictions budgétaires l’ont rendu quasi inexistant. Ce qui perdure, c’est la très bonne relation avec notre administration centrale et sa prédisposition à aider le secteur. Mais, globalement, l’avenir des exportations dépend de notre capacité à défendre cette activité au niveau intracommunautaire et de la prise de conscience par les entreprises elles-mêmes – je crois que beaucoup d’entre elles en sont déjà conscientes – et que nous devons continuer à faire preuve d’un grand professionnalisme.