Bien-être animal : le consensus reste à trouver sur l’abattage rituel
Bruxelles tarde à se prononcer sur la révision du règlement sur la protection des animaux lors de l’abattage. Les points de vue divergent fortement sur le sujet en Europe comme en France.
Bruxelles tarde à se prononcer sur la révision du règlement sur la protection des animaux lors de l’abattage. Les points de vue divergent fortement sur le sujet en Europe comme en France.

La révision du règlement européen de 2009 « sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort », promise de longue date, a peu de chance d’être examinée en 2025. La Commission européenne tarde en effet à faire connaître sa proposition, tandis qu’aucun État ne semble pressé à l’idée de mettre à l’ordre du jour un dossier que la question de l’abattage rituel rend épineux pour les relations entre communautés.
Le règlement de 2009, qui reconnaît la possibilité de dérogations à l’exigence d’étourdissement des animaux préalablement à l’abattage au nom de la liberté de culte, a en effet accordé une certaine subsidiarité aux États membres dont certains n’ont pas manqué de faire usage. Sur le continent européen, le front des pays n’accordant pas de dérogation s’est ainsi étendu ces dernières années. En 2017 et 2018, les régions flamande et wallonne de Belgique ont émis des décrets mettant fin à la dérogation accordée à l’abattage rituel. Saisie par les représentants des communautés musulmanes et juives de Belgique, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a jugé pour la première fois, en février 2024, que la recherche du bien-être animal pouvait justifier une telle interdiction.
Les deux régions belges ont ainsi rejoint d’autres pays européens, membres ou non de l’UE, bannissant l’abattage sans étourdissement : la Suisse, la Suède, la Norvège, le Liechtenstein, la Slovénie (depuis 2012), l’Islande (depuis 2013) ou encore le Danemark (depuis 2014). D’autres pays encadrent la dérogation avec vigueur, comme l’Allemagne, l’Autriche – qui rend l’étourdissement post-saignée obligatoire –, l’Estonie, la Lettonie, la Finlande, la Grèce, les Pays-Bas et la Slovaquie. L’Espagne l’a limité aux seuls abattages d’ovins. La Pologne l’a interdit, puis remis en place à la suite d’une décision de la Cour constitutionnelle invoquant la clause de protection de la communauté juive.
L’OABA revient à la charge
Dans ce contexte, la France passe pour plutôt généreuse. Cent vingt-huit abattoirs de boucherie bénéficiaient en effet de dérogations en 2016 (sur un total aujourd’hui de 230) et l’abattage rituel représentait 14 % des abattages nationaux. Une position qui expose régulièrement le gouvernement français aux critiques des organisations de défense des animaux, mais aussi à celles d’une partie de la classe politique. Un rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) de novembre 2011 – confidentiel, mais qui finit par s’ébruiter – avait conclu qu’une partie des abattages rituels aboutissait dans des circuits « conventionnels » et que de fait, des consommateurs mangeaient de la viande halal sans le savoir. Face aux remous, Bruno Le Maire, alors ministre de l’Agriculture, signait un décret obligeant les abattoirs à disposer d’une commande destinée au marché halal ou casher avant de procéder à tout abattage rituel. Une procédure qui s’avère impossible à contrôler, faute de moyens.
Le manque de transparence des autorités françaises sur la réalité de l’abattage rituel et leur frilosité à faire évoluer les pratiques agacent les associations de défense des animaux. Lors de son assemblée générale, en juin dernier, l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoir (OABA) déplorait de n’avoir obtenu des préfectures « aucun chiffre sur les contrôles effectués sur les animaux abattus sans étourdissement en 2022 et 2023 ». Selon l’OABA, « le poids des lobbyings économiques freine clairement l’indépendance des décisions des élus, y compris alors même que les avis scientifiques sont unanimes ».
Selon l’OABA, « le poids des lobbyings économiques freine l’indépendance des décisions des élus, y compris alors même que les avis scientifiques sont unanimes ».
Dans la foulée du rapport parlementaire conduit par Olivier Falorni, la France s’est pourtant dotée, en 2017 d’une instance de concertation, le Comité national d’éthique des abattoirs, réunissant toutes les parties prenantes concernées par le sujet de la bientraitance animale en abattoir. Les représentants des cultes y sont associés, même si l’examen des questions relatives à l’abattage rituel y est mis entre parenthèses, le sujet étant encore une fois jugé trop corrosif par le pouvoir politique.
Les conditions du dialogue sont, il est vrai, délicates, compte tenu de l’hétérogénéité des points de vue entre celui de la communauté juive – opposée à toute forme d’étourdissement préalable, mais prête à des avancées sur l’étourdissement post-jugulaire – et celui de la communauté musulmane, plus conciliante sur les méthodes alternatives d’étourdissement (en particulier l’électronarcose), mais dont les positions divergent parfois selon les trois mosquées (Evry, Lyon, Paris) habilitées à délivrer les cartes de sacrificateur.
Les évolutions les plus récentes de la technologie pourraient apporter leur pierre à ces débats multiséculaires. L’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) évalue en effet actuellement une méthode testée de longue date en Australie d’étourdissement réversible des gros bovins par ondes électromagnétiques. Celle-ci présente l’intérêt d’engendrer une perte de conscience sans douleur qui pourrait être considérée comme compatible avec l’abattage rituel par les communautés religieuses.
Une mission d’information parlementaire en cours
Une mission d’information parlementaire « sur les problématiques économiques de l’abattage dans le contexte de réduction des cheptels » a démarré ses travaux à l’automne dernier et doit rendre son rapport d’ici le mois de mars. Les corapporteurs, les députés Christophe Barthès et Thierry Benoit, ont étendu leurs investigations aux questions sanitaires et sociétales de l’abattage, dont la question de l’abattage rituel, estimant que la puissance publique avait « une mission d’abattage dans de bonnes conditions ». Le rapport devrait notamment soulever la question récurrente de la présence des vétérinaires dans les abattoirs et celle des contrôles.

Jean-Luc Angot, président du Comité national d’éthique des abattoirs
« Un comité pour favoriser le dialogue »
« Le Comité national d’éthique des abattoirs (CNEAb) a été mis en place en 2017 à la suite d’une saisine du Conseil national de l’alimentation par le ministre de l’Agriculture. Après avoir rendu un avis (le n° 82, adopté à l’unanimité de ses membres, puis par ceux du CNA), le CNEAb a été maintenu de façon permanente par l’ancien ministre Didier Guillaume sous l’égide du CNA. Il fait depuis office d’organe de concertation sur les questions relatives à l’éthique des abattoirs, aux politiques publiques ou encore aux règles relatives à l’amélioration de la protection animale en abattoir. L’originalité de cette instance – unique à ma connaissance au niveau international – est de réunir toutes les parties prenantes de cette question : organisations membres du CNA (consommateurs, producteurs, transformateurs, distributeurs, restaurateurs, salariés), scientifiques, administrations, associations de protection animale, organisations vétérinaires, professionnels des abattoirs, filières viandes, instituts techniques et représentants des cultes. Le Comité se réunit en moyenne tous les deux mois avec une bonne assiduité, en particulier de la part des représentants des cultes. Les titulaires, qui sont assez constants, ont appris à se connaître et à se respecter, même sur les sujets les plus sensibles. Au fil des feuilles de route successives, nous avons travaillé sur l’installation de caméras en abattoir – avec un avis non-public rendu au ministre –, sur les programmes d’amélioration des non-conformités ou encore sur l’abattage rituel, au travers de la création d’un sous-groupe dédié à cette question. Ce sous-groupe avait permis notamment d’établir un dialogue sur la formation des sacrificateurs ou l’étourdissement post jugulation. Il a cependant été mis en sommeil depuis deux ans. J’aimerais, avant mon départ de la présidence en cours d’année, pouvoir le réactiver, car je pense qu’il est essentiel de ne pas mettre ces sujets sous le tapis. Le Comité aura bien entendu à se prononcer également dans les mois qui viennent sur le projet de règlement européen. »