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Abattoirs : préserver le maillage malgré les difficultés

Bousculé par l’augmentation du prix de l’énergie et les investissements à réaliser, le secteur des petits abattoirs est à la croisée des chemins. Une question tout aussi industrielle que d’aménagement du territoire.

Il y a eu le Covid et la redécouverte des vertus du local par les consommateurs qui ont légèrement consolidé l’activité des petits abattoirs un peu partout en France. Mais depuis, l’inflation est passée par là gommant rapidement les maigres embellies constatées pour venir accentuer des difficultés structurelles, main-d’œuvre, rentabilité réduite, difficultés à investir… Quelques établissements ont été contraints à la fermeture, les autres font le dos rond en espérant voir passer l’orage. Mais plus qu’une question industrielle, c’est bien une question de société et d’aménagement du territoire qui se pose aujourd’hui. « La crise du Covid a été une période plutôt propice, même si ce n’est pas homogène pour l’ensemble des outils de la région Occitanie. Ce sont deux années où nous n’avons pas perdu trop de volumes par rapport à la consommation globale. Depuis, c’est plus délicat », témoigne Éric Barnay, directeur de l’abattoir de Saint-Gaudens en Haute-Garonne et membre d’Interbev Occitanie. Parmi les préoccupations - elles sont nombreuses - celle de la main-d’œuvre revient souvent dans les analyses. « Il est très difficile de trouver du personnel et encore plus de le garder », confie-t-il. Jean-Claude Coulet, éleveur et président de la Catalane d’abattage qui exploite l’abattoir de Perpignan, dresse un constat similaire. « Sur les 29 équivalents temps plein que nous avons, dont 28 contrats à durée indéterminée, nous disposons d’un noyau dur d’une douzaine ou une quinzaine de salariés qui sont en quelque sorte la colonne vertébrale de l’abattoir. Pour le recrutement, en l’absence de formation, c’est un peu la loterie. On voit venir des gens, alors ils essaient. Ils restent des fois deux heures, une semaine, un mois. À partir d’un mois, on a un peu plus de chance de les garder. » Compte tenu des contraintes économiques actuelles, l’outil de fidélisation que représente le niveau du salaire n’est pas facile à activer… « Chez nous, c’est probablement l’organisation qui plaît, nous n’abattons pas le mercredi pour le moment, cela fait une pause dans la semaine… »

La baisse des apports met à mal le seuil de rentabilité

La goutte qui fait déborder ce vase déjà bien plein, c’est l’augmentation du coût de l’énergie qui rabote un peu plus les marges. « C’est le second poste de dépense de nos outils derrière la masse salariale et nous sommes pris en tenaille entre les éleveurs et les distributeurs qui subissent également ces hausses, les prix ont parfois été multipliés par trois, c’est là que certains outils ont du mal effectivement », témoigne Éric Barnay, qui concède que les marges de manœuvre sont très faibles. Et pour couronner le tout, plus question de tabler sur la progression des volumes pour limiter la casse. Dans certaines régions, la baisse des apports en bovins est une réalité déjà bien palpable même si elle peut-être en partie masquée. « Pour nos abattoirs, qui sont quasi tous multiespèces, cette évolution est délicate à saisir puisqu’un recul en bovins peut être compensé par une progression des abattages de porcs. Aujourd’hui, le seul repli sensible concerne les jeunes bovins laitiers (- 14 % sur les deux premiers mois de l’année) », explique André Éloi, directeur de la FNEAP(1). En Occitanie, la baisse est bien actée par les services de l’État comme l’explique Florent Guhl, directeur régional de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt. « C’est très variable selon les zones mais la décapitalisation concerne 5 à 8 % des animaux ici. Cette perte fait passer certains abattoirs sous leur seuil de rentabilité. Et l’augmentation du coût de l’énergie produit un effet ciseau redoutable », poursuit-il.

Si les abattoirs n’ont guère pu profiter des aides liées à l’augmentation des prix de l’énergie, ils ont massivement mobilisé le plan de relance pour réaliser les mises aux normes nécessaires parfois difficiles à financer. « En Occitanie, l’État s’est investi très fortement. Vingt-quatre projets de modernisation ont été mis sur pied pour une enveloppe de 10 millions d'euros abondée par l’État », précise encore Florent Guhl. À Perpignan, l’abattoir n’a pas le souci des apports et l’appui du plan de relance servira à augmenter sa capacité. « Depuis trois ans, nous dépassons notre agrément. Nous avons donc décidé d’agrandir la bouverie, de dédier une chaîne spécifique aux porcs et d'augmenter nos capacités de ressuyage et de stockage avec un agrément à 7 000 tonnes au lieu de 4 500. » Les animaux viennent des Pyrénées-Orientales mais aussi de toute l’Occitanie. « La difficulté c’est que nous étions partis sur un budget à 5 millions d'euros mais avec les augmentations, nous sommes aujourd’hui proches des 6,5 millions d'euros. Et les entreprises qui fournissent le matériel spécifique sont débordées parce que tous les abattoirs font les travaux en même temps. »

Rééquilibrages dans les dispositifs de soutien

Malgré le plan de relance, les difficultés sont bien là. « Entre l’état du marché et la création de la force d’inspection nationale en abattoirs, des outils vont disparaître », juge Éric Barnay. Pour Florent Guhl, c’est tout l’objet des prochains mois : « nous réfléchissons au maillage territorial, regardons comment ils travaillent, essayons de voir comment nous pouvons, par des rééquilibrages des apports par exemple entre les structures, conserver le maillage le plus pertinent en particulier pour répondre à l’enjeu de souveraineté alimentaire. Mais c’est largement compliqué du fait des problématiques de main-d’œuvre, qui concerne les abattoirs mais aussi les capacités de contrôles de l’État, c’est-à-dire les vétérinaires. »

Se pose également la question des structures. « Les collectivités locales ne veulent plus gérer ces outils, il faut donc trouver de nouvelles formes qui associent les collectivités et les abattoirs », ajoute Éric Barnay. L’histoire de l’abattoir de Perpignan est emblématique de ces évolutions quand la municipalité a voulu se défaire de sa gestion. Au début des années 2010, l’abattoir se trouvait encore en centre-ville à l’étroit dans un bâtiment ancien. « L’idéal, à l’époque, aurait été que nous puissions créer une société d’économie mixte, souligne Jean-Claude Coulet. Mais les collectivités ont rejeté cette solution et nous nous sommes rabattus sur une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). » L’intérêt des SCIC, c’est qu’elles permettent d’associer des acteurs provenant d’horizons très différents. Ainsi, le capital social de la société Catalane d’abattage regroupe de nombreux opérateurs : l’agglomération Perpignan Méditerranée, la coopérative catalane des éleveurs, l’association de soutien à la création d’un abattoir en Roussillon (qui rassemble les éleveurs, les groupements pastoraux, des communes, des communautés de communes), des éleveurs à titre individuel, l’association des éleveurs en vente directe, le principal client de l’abattoir les établissements Guash qui absorbent 92 % des volumes, les trois chambres consulaires… C’est ce montage qui a permis de construire le nouvel abattoir à l’écart de la ville en 2015. « Ce qui est complexe pour nous qui sommes uniquement prestataires de services, c’est que nos marges sont très contraintes. Nous ne pouvons pas valoriser autre chose que notre prestation, nous recevons les animaux vivants et nous rendons des carcasses, ajoute Jean-Claude Coulet. Si nous bénéficions de subventions des collectivités de façon ponctuelle comme en ce moment avec notre agrandissement, la solution serait pour nous, et nous y travaillons, de passer en délégation de service public pour pouvoir être aidé aussi sur notre fonctionnement… »

« La solution serait pour nous, et nous y travaillons, de passer en délégation de service public », Jean-Claude Coulet, éleveur et président de la Catalane d’abattage qui exploite l’abattoir de Perpignan.

(1) Fédération nationale exploitants abattoirs publics.

Quillan, dernier abattoir dans l’Aude

Depuis la fermeture du site de Narbonne, Quillan, avec son agrément à 500 tonnes, est le dernier abattoir du département de l’Aude.

S’il est modeste, il joue pleinement son rôle de proximité dans la haute vallée de l’Aude, loin des grands axes. Et c’est aussi pour cette raison qu’il est emblématique de la situation des petits abattoirs. « C’est un outil territorial indispensable, surtout depuis les récentes fermetures des abattoirs de Castelnaudary ou Narbonne. Maintenant, il faut aller à Pamiers en Ariège ou à Puylaurens dans le Tarn pour faire abattre les animaux mais c’est toujours très compliqué, confirme Marie-Aude Pons, cogérante de l’EURL qui exploite l’abattoir. Actuellement, nos deux problèmes concernent bien sûr la hausse de coûts et les prix du maigre qui sont suffisamment bons pour inciter les éleveurs à ne pas engraisser leurs bêtes. Un audit réalisé l’an passé montre bien que nous ne pouvons atteindre l’équilibre pour le moment, faute de tonnages suffisants. Il faudrait que nous augmentions les prix, mais si nous procédons ainsi, nous ne sommes plus compétitifs. »

Équilibre financier précaire

Depuis plusieurs années, l’abattoir de Quillan bénéficie du soutien de l’association Viandes des Pyrénées audoises qui tente de fédérer les éleveurs autour de l’outil. Créée en 2018, l’association compte aujourd’hui une vingtaine de boucheries en clients dont des grandes surfaces locales, la coopérative des artisans bouchers du département de l’Aude et en face un vivier de 80 éleveurs du secteur. De quoi espérer atteindre les 100 tonnes dirigées vers l’abattoir de Quillan qui assureraient la viabilité économique de cette interface efficace. Du côté de l’abattoir, les 412 tonnes de 2022 sont insuffisantes mais même à 500 tonnes, l’équilibre financier resterait précaire pour l’EURL qui gère cet outil propriété d’un syndicat mixte et emploie six salariés. L’heure est donc aujourd’hui à la réflexion pour changer de statut.

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