Champagne, Alsace, Bourgogne : les anomalies de croissance de la vigne sont-elles une maladie émergente ?
Les vignobles de l’est de la France font face à une nouvelle problématique définie sous le terme d’anomalies de croissance, depuis une quinzaine d’années.
Les vignobles de l’est de la France font face à une nouvelle problématique définie sous le terme d’anomalies de croissance, depuis une quinzaine d’années.

Rabougrissement des rameaux, zigzag des sarments, déformation foliaire, organes nanifiés, port buissonnant, diminution (voire absence) du nombre d'inflorescences. Tels sont quelques-uns des symptômes qui apparaissent dans les vignes du quart nord-est de la France depuis quelque temps.
Tout a démarré au début des années 2010, en Champagne. Des viticulteurs de la Côte des Bar ont signalé la présence de pieds arborant des pousses chétives, de ceps buissonnants avec des baisses de rendement. Puis peu à peu, les autres zones de la Champagne ont été touchées par ces anomalies de croissance. En 2015-2017, ce fut au tour des viticulteurs de Bourgogne de remonter des signalements de ports en balai de sorcière en hiver, de rabougrissements, d’entre-nœuds raccourcis, d’aspect « crispé » ou de nanisme des feuilles, là aussi avec pertes de rendement.
Dans les années 2018-2019, de gros signalements de rabougrissement et baisse de rendement ont été enregistrés en Alsace, dans une zone au nord du vignoble. « Mais nous avions eu de premiers signalements ponctuels en 2014-2015, précise Céline Abidon, directrice du pôle Alsace de l’IFV. Et en Allemagne, en Rhénanie Palatinat, ils ont des symptômes similaires depuis 2009. » Quelques vignes du Beaujolais présentent également ce type d’anomalies.
Des anomalies qui touchent tous les cépages et terroirs
D’une année sur l’autre, les ceps touchés peuvent différer. « C’est très variable, confirme Nicolas Richet, responsable de projets écophysiologie de la vigne, au Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC). Une année, on va avoir un cep isolé, la suivante, une partie de la parcelle touchée. Parfois il s’agit des mêmes ceps, parfois non. » En outre, ces problèmes touchent tous les types de cépages, avec néanmoins une prédilection pour le gewurztraminer en Alsace. « C’est un cépage sensible et qui exprime pas mal de choses, contextualise Céline Abidon. C’est celui qui exprime le mieux le court noué, les maladies du bois, l’acariose, etc. Mais on en retrouve également sur chardonnay ou d’autres cépages. » De même, différents terroirs sont impactés. « Au départ, en Champagne, c’est parti des marnes du Kimméridgien, illustre Nicolas Richet. Mais à présent, il y en a partout. »

Les techniciens se sont penchés sur cette problématique afin d’en déterminer la cause, en vue de soigner les ceps. S’agit-il d’un problème de compaction des sols provoquant une asphyxie racinaire ? D’une carence ? D’un mauvais état hydrique ? D’un flux de sève défaillant ? D’un déséquilibre hormonal ? Rien de tout cela. « Nous avons étudié la piste de la compaction des sols, rapporte Nicolas Richet. Nous avons creusé des fosses pédologiques, sans voir aucune différence, ni sur la structure du sol, ni sur l’exploration racinaire. » De même, les analyses de sol n’ont rien montré, que ce soit au niveau de potentielles carences, de rapport C/N, de teneurs en minéraux ou encore de taux de matière organique. « En revanche, le microbiote n’a pas encore été étudié », nuance le responsable champenois. De même, des dosages hormonaux effectués en Alsace n’ont rien fait ressortir de clair. Des apports d’engrais, et des traitements insecticides n’ont rien donné de concluant non plus.
Une expression des symptômes fonction du millésime
L’état hydrique et les cônes de dessèchement ne semblent pas non plus en cause, aucune différence ne ressortant dans les mesures par géoradars et les coupes longitudinales de ceps. « La seule chose que nous avons constatée, c’est que les bois de taille des ceps touchés présentent un excès de magnésium, bore, cuivre et calcium », poursuit Nicolas Richet. Mais peut-être n’est-ce dû qu’à la diminution du diamètre des bois sur les ceps atteints et donc à une concentration plus forte.

De même, l’expression des symptômes semble millésime-dépendante. « En 2024 par exemple, nous avons vu une forte expression », témoigne Céline Chauvenet, directrice technique adjointe au BIVB (Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne). « Les printemps frais et humides sont favorables à l’expression des symptômes, abonde Céline Abidon. Si les températures sont clémentes dès le départ, la pousse est plus régulière, les symptômes moindres. »
Les chercheurs se sont également intéressés à la piste virale, et notamment à celle d’un cocktail viral, qui semble se dessiner. « Nous avons constaté que les pieds symptomatiques présentaient un cocktail de virus (GPGV, court noué, enroulement, etc.) supérieur aux asymptomatiques », informe Céline Abidon. Investiguer cette piste sera donc l’objet du nouveau projet Anovi (pour Anomalies de croissance de la vigne), lancé ce printemps (voir encadré). D’ici là, la cause n’étant pas identifiée, les seules préconisations portent sur les pratiques viticoles : un bon épamprage, un bon ébourgeonnage et une taille courte permettront au cep de favoriser la repousse.
À vous de jouer
Si vous constatez de tels symptômes, la première chose à faire est de vérifier qu’ils correspondent bien à la description régionale dressée par les instituts techniques. Il ne faut notamment pas les confondre avec d’autres maladies, comme le court noué, les dépérissements du clone 161 49-C ou encore le GPGV. « Pour cela, rien de tel que d’observer le cep à différents moments du cycle végétatif », conseille Céline Chauvenet. « Il faut que le cep arbore la totalité des symptômes », ajoute Nicolas Richet.
Une fois que vous avez confirmé qu’il s’agit bien des symptômes d’anomalies de croissance, il vous revient de les signaler via les applications ad hoc, Vigie Bourgogne, Vigie CA (en Champagne) ou encore Vigie Alsace. « Il faut photographier et géolocaliser les ceps avec les symptômes », décrit Nicolas Richet. L’outil remonte alors les signalements. Les techniciens appellent les viticulteurs à l’origine du signalement pour faire un point et si la suspicion est avérée, ils se rendent sur le terrain pour vérifier.
Un projet pour y voir plus clair
Afin d’avancer dans les connaissances afférentes à cette maladie, le nouveau PNDV (1) dédie un projet à part entière à la problématique, nommé Anovi. Le but sera d’analyser les ceps porteurs provenant des trois zones, en vue d’analyser les virus présents, qu’ils soient viticoles ou végétaux. Ce « screening » via un séquençage haut débit, effectué par le laboratoire partenarial associé VitiVirobiome en Alsace, devrait permettre de déterminer si cette maladie est causée ou non par un cocktail viral.