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En viticulture, enherber sous le rang, ce n’est pas si simple

De nombreux travaux ont été menés en France et en Europe sur l’enherbement du cavaillon, avec un succès mitigé. Voici les principales recommandations que l’on peut en tirer.

<em class="placeholder">Rang de vigne en hiver planté de vesce érigée.</em>
Claire Scappini teste avec succès des enherbements du cavaillon à base de vesce érigée.

Dans quel contexte peut-on enherber le cavaillon ?

L’itinéraire global de la parcelle ainsi que l’âge des vignes sont à prendre en compte lorsque se pose la question de l’enherbement du cavaillon. « Un enherbement permanent total, sous le rang et dans l’interrang, est beaucoup trop concurrentiel pour la vigne », plante Laure Gontier, ingénieure agronomie viticole à l’IFV pôle sud-ouest. Il faudra donc veiller à ce que le pourcentage global d’enherbement de la parcelle soit adapté à l’objectif en termes de rendement. Ce qui implique souvent de revoir toute sa stratégie d’entretien du sol.

Par ailleurs, cet itinéraire n’est pas adapté aux plantiers et complants, « le système racinaire étant trop superficiel », pointe Claire Scappini, adjointe responsable technique chez Racine, dans le Var, qui mène des expérimentations sur le sujet depuis quatre ans. Laure Gontier recommande d’attendre au moins les trois ans des ceps. Ou de ne pas enherber l’interrang, afin que les racines superficielles puissent se développer quelque part. De son côté, le GIEE de Westhalten, dans le Haut-Rhin, qui a testé l’enherbement du cavaillon avec de l’épervière piloselle (Pilosella officinarum) durant trois ans, suggère de privilégier cet itinéraire sur « des vignes âgées de plus de dix ans ». Il préconise par ailleurs de « désherber autour des complants lors des premières années d’implantation ».

Autre critère d’importance : le contexte pédoclimatique. Si ce mode d’entretien du cavaillon peut ponctuellement fonctionner un peu partout, il semble plutôt adapté à des climats océaniques. Enfin, le type de sol joue un rôle, les sols très superficiels ou très argileux n’étant pas particulièrement favorables.

Quelles sont les recommandations avant de se lancer dans l’enherbement du cavaillon ?

« Je conseille de ne pas viser trop grand pour commencer, avance Laure Gontier. Il faut par ailleurs se projeter sur une stratégie globale pluriannuelle de gestion du rang et de l’interrang avant tout investissement. Et il faut prendre en compte le fait que certaines opérations, telles que le palissage ou l’épamprage peuvent être compliquées par un enherbement sous le rang. » Le fil peut en effet être pris dans les herbes et difficile à dégager. Quant à l’épamprage mécanique, il peut s’avérer impossible. Claire Scappini préconise pour sa part d’effectuer une analyse du profil de sol, afin d’identifier la zone d’implantation des racines.

Une fois ces leviers levés, l’ingénieure de l’IFV recommande de démarrer sur une petite surface, avec un enherbement spontané. « Ainsi, si on échoue, cela n’aura pas coûté très cher », relativise-t-elle. Elle note également qu’un enherbement spontané puise moins d’eau qu’un semé.

Quel est le préalable à tout semis ?

Dans le cas d’un enherbement semé, il faut veiller à ne pas avoir employé d’herbicide de prélevée dans l’année qui précède le semis. « Ce sont des produits qui ont une forte rémanence dans les sols », appuie Laure Gontier. Puis « l’élimination de la flore adventice dans le cavaillon avant l’implantation est une étape primordiale à ne pas négliger », indique le GIEE alsacien. Un travail du sol est à privilégier afin de réaliser un émiettement fin du sol sur les 5-10 premiers centimètres.

Quel mode d’implantation des graines, hydromulching ou semis classique, privilégier ?

Entre semis classique et hydromulching, votre cœur balance ? Il ne devrait pas. Jusqu’à présent, les différents tests d’hydromulching menés dans le vignoble français n’ont pas été concluants. « Dans le cadre de nos essais, nous avions bidouillé un pulvérisateur Chabas, avec une pompe à l’extérieur qui produisait une agitation constante, afin de projeter un mélange d’eau, de graines et un mulch de cellulose sur le sol, rapporte Claire Scappini. Si le semis sous le rang effectué en septembre a bien fonctionné, c’est une technique longue et qui utilise de gros volumes d’eau. »

La conclusion a été peu ou prou la même dans le Bordelais, où Emma Fulchin, chargée de projets chez Vitinnov, a fait appel à un prestataire de services dans le cadre du projet Essor. Elle estime que si cette technique permet une moindre dépendance à l’émiettage du sol et le semis de diverses tailles de graines sans problème de ségrégation, elle nécessite des volumes d’eau non négligeables, représente un temps de travail important, notamment en raison des pleins d’eau réguliers à effectuer, et un coût élevé.

 

 
<em class="placeholder">Pulvérisateur employé pour de l&#039;hydromulching.</em>
Dans le cadre de ses essais, Claire Scappini a semé les graines par hydromulching. © C. Scappini

Pour autant, le semis avec un semoir traditionnel n’est pas si aisé, d’autant plus qu’il faut bien enfoncer les graines. « Il n’y a pas de matériel adapté au semis du cavaillon sur le marché, regrette Laure Gontier. Vitiméca en proposait, mais le gérant est à présent à la retraite. Il faut donc passer par l’autoconstruction. » De son côté, elle avait bricolé un semoir avec de petites canules et des peignes à l’arrière pour enfoncer légèrement les graines dans le sol. « Un vigneron avait quant à lui créé un système avec des chambres à air pour appuyer la terre », cite-t-elle.

Quelle(s) espèce(s) choisir ?

C’est la thématique sur laquelle le plus d’expérimentations sont menées, avec des résultats aléatoires selon les conditions. « On n’a pas encore trouvé l’espèce idéale, résume Laure Gontier. Les espèces peu concurrentielles pour la vigne sont aussi peu concurrentielles pour les adventices»

De fait, en Italie, deux essais ont été conduits dans le cadre du projet Domino (projet Eranet Core-Organic), avec des résultats en demi-teinte. Dans le premier, sis en Sud-Tyrol, une douzaine d’espèces ont été implantées : Fragaria vesca, Potentilla reptans, Portulaca oleracea, Tropaeolum majus, Galium album, Achillea millefolium, Salvia pratensis, Euphorbia helioscopia, Sanguisorba minor, Glechoma hederacea, Trifolium resupinatum var. resupinatum et Trifolium repens. Avec un résultat décevant : « les espèces sélectionnées n’ont pas été suffisamment compétitives face aux mauvaises herbes, informe le rapport. De plus, de nombreuses espèces, en particulier Achillea millefolium, Sanguisorba minor et Potentilla reptans, ont été endommagées par des insectes (courtilières) ».

À l’inverse, l’essai de fraisiers sauvages originaires des Monts Sibillini effectué dans les Marches, à la cave Colle Stefano, a donné de bons résultats, mais qui ne sont pas forcément transposables ailleurs. Il faut en effet disposer de l’espèce, qu’elle soit adaptée au contexte pédo-climatique et que l’on ait le temps de repiquer un à un les pieds. C’est aussi l’un des soucis avec la piloselle alsacienne : elle nécessite un temps de repiquage conséquent. Elle met en outre du temps à se développer.

Pour sa part, Olivier Clape, vigneron au Domaine Auguste Clape à Cornas, dans l’Ardèche, a testé sans succès l’enherbement à base de sédum. « C’est une plante qui ne supporte pas le piétinement, témoigne-t-il, ce qui est compliqué lors des travaux en vert. » Ses repiquages ont survécu deux ans puis ont disparu.

Fraisisers sauvages, vesce érigée et trèfles, des espèces gagnantes

Florent Banctel, ingénieur territorial viticulture à la chambre d’agriculture des Pays-de-la-Loire n’a pas non plus été convaincu par les sédums, pas plus que par la dizaine d’autres variétés qu’il a expérimentées : saponaire des rochers, piloselle, Veronica cantiana, Thymus polytrichus, Thymus longicaulis, plantain corne de cerf, Phuopsis stylosa, Lippia nodifloria, fétuque ovine. Aucune n’a pleinement donné satisfaction, certaines, à l’image de la piloselle ou de la saponaire des rochers, mettant trop de temps à s’implanter, d’autres, à l’instar du thym, induisant une baisse de rendement trop importante, ou comme la fétuque ovine diminuant le taux d’azote assimilable par la vigne.

 

 
<em class="placeholder">Rang de vigne en été planté de vesce érigée.</em>
La vesce érigée sèche en été, limitant la concurrence azotée et hydrique pour la vigne. © C. Scappini

De son côté, Claire Scappini a obtenu de bons résultats avec de la vesce érigée sur des sols calcaires. Cette espèce concurrence efficacement les érigérons et les chardons. « Autre atout, elle sèche en été, ce qui limite la concurrence hydrique et minérale avec la vigne, et elle se resème toute seule », observe-t-elle. Elle a également expérimenté avec succès un mélange de trèfles (souterrain, blanc et fraise) sur sols acides. Des espèces qui semblent convenir à plusieurs zones géographiques, Emma Fulchin ayant également testé des trèfles (trèfle blanc nain, trèfle souterrain) et du lotier, avec une bonne tenue.

Comment entretenir cet enherbement ?

Tout dépend de l’espèce implantée et du climat. Mais la plupart du temps, il faut prévoir 1 à 3 tontes par an, la fauche accélérant la colonisation du cavaillon par les semis. Néanmoins, dans le cas de la vesce érigée, Claire Scappini n’effectue aucune tonte.

L’enherbement dure de trois à cinq ans selon les espèces, les légumineuses étant plus fragiles que les graminées.

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