La production du poulet bio est à un tournant
La production des volailles bio s’accélère depuis 2016, rendant l’équilibre offre-demande plus instable. Avec ce changement d’échelle, des acteurs du bio mettent en garde contre « l’industrialisation ».
La production des volailles bio s’accélère depuis 2016, rendant l’équilibre offre-demande plus instable. Avec ce changement d’échelle, des acteurs du bio mettent en garde contre « l’industrialisation ».
Les statistiques divulguées début juin par l’Agence bio sont très éloquentes et elles ont aussi de quoi susciter des convoitises. L’an dernier, avec une augmentation annuelle globale de 15,7 %, le marché des produits alimentaires bio achetés par les ménages a pesé 9,7 milliards d’euros et représente 5 % de leur budget alimentaire. Cinq mille exploitations se sont converties (+13 % en un an). Les productions animales ne sont pas à la traîne. Selon l’Agence bio, qui comptabilise les effectifs déclarés par les organismes certificateurs contrôlant les élevages, le cheptel des poules pondeuses a progressé de 31 % (+ 17 points) à 6,6 millions et celui des poulets de chair de 13,6 %, avec près de 13 millions de têtes produites. Les chiffres sur les autres volailles ne sont pas disponibles. L’observatoire économique du syndicat des labels avicoles (Synalaf) recueille les mises en place de volailles bio d’une dizaine de groupements de producteurs sous label rouge en filière longue. En 2018, 12,1 millions de poulets ont été mis en place, en progression de 21,4 %, auxquels s’ajoutent 0,5 million d’autres volailles (la dinde devant la pintade puis le canard). Cette progression à deux chiffres est certes remarquable, mais à relativiser. Ces 12 ou 13 millions selon la source sont à comparer aux quelque 800 millions de poulets abattus en 2018 (part du bio de 1,6 %) et aux 113 millions de poulets fermiers label rouge mis en place (part de 11,5 %).
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Première crise de croissance du marché
Que ce soit 13 millions (ou certainement plus), le marché de la volaille bio est encore étroit, et de ce fait plus sensible aux variations de l’offre. Bernard Devoucoux, producteur dans l’Allier et président de la commission bio du Synalaf a « le sentiment que la demande du marché a plutôt été de plus 13 à 14 % et que l’offre s’est accrue de plus 20 %. En 2018, nous avons connu notre première crise de croissance, avec une production qui a devancé le marché. Mais l’équilibre entre offre et demande va se rétablir et je suis convaincu que la volaille bio a de l’avenir. » Les mises en place s’étaient déjà emballées de 18 % en 2017, avec l’arrivée de nouveaux groupements de production. Depuis un an et demi, les opérateurs historiques en filière longue entrevoyaient un risque de saturation. Selon Bertrand Thomas de l’abattoir Bodin en Vendée, cette situation a conduit à une logique de promotion en GMS, bien connue ailleurs, qui profite à la guerre des prix entre enseignes. « Un poulet bio ne devrait pas naître en promotion » résume-t-il pour dénoncer une stratégie de course aux volumes. Il a relevé des promos récentes à 6,90 euros le kilo en entier, alors que le prix moyen normal se situe plutôt vers 10 euros (presque deux fois plus cher qu’un label rouge en promotion). En conséquence, certains opérateurs ont levé le pied, en espaçant les mises en place et en reportant des conversions du label rouge vers le bio. Luc Berginiat, directeur de Volailles d’Albret, estime comme les autres représentants des groupements des Landes (Maïsadour, Euralis) que le marché a quasiment atteint sa maturité et qu’il vaut mieux ne pas trop développer pour le moment. « Tous nos groupements sentent bien qu’on a atteint un niveau suffisant pour répondre à la demande actuelle. Les choses bougeront peut-être si l’on doit fournir les cantines françaises. »
20 % de bio inatteignable dans les cantines
La loi Egalim votée en octobre 2018 prévoit qu’à partir de 2022 les cantines (écoles, hôpitaux, armées…) devront se fournir en produits bio pour 20 % de leurs achats (et 30 % en produits de qualité : Label, IGP ; Haute valeur environnementale). Ce qui pourrait doper la production, mais à quel prix et dans quelles conditions ? Selon un récent sondage du réseau interprofessionnel Restau’Co, près de 80 % des gestionnaires de cantines estiment ne pas pouvoir y parvenir sans financements supplémentaires. Il leur faudrait au moins 99 centimes de plus par repas (16 % du coût moyen complet). Bertrand Thomas, de l’abattoir Bodin, est dubitatif sur le développement en restauration collective. « Au Grenelle de l’environnement de 2007, la part du bio avait été fixée à 20 %, mais la part des cantines dans nos ventes n’a jamais dépassé 4-5 %. Quand le gouvernement Hollande a précisé '20 % bio ou local', nos ventes se sont effondrées. » Cette disposition va aussi obliger les restaurants collectifs à réfléchir au coût de la portion réellement consommée, à travers le grammage (manger moins mais mieux) et la présentation (valoriser tous les morceaux). C’est le message que veut faire passer le Synalaf au secteur pour intégrer la volaille bio.
Le risque d’une dérive intensive
En dehors du risque des « coups d’accordéon » entre l’offre et la demande, les professionnels du bio s’inquiètent des prochaines évolutions réglementaires qui ouvriraient plus facilement la porte à une intensification de la production, sous prétexte d’alimenter le marché au moindre coût pour trouver de nouveaux consommateurs. Jusqu’à présent, le poulet bio français est resté un poulet « fermier », notamment en verrouillant l’âge d’abattage à 81 jours au lieu des 70 jours possibles en Europe. Mais, un nouveau règlement bio européen a été voté en mai 2018 pour s’appliquer au 1er janvier 2021. D’ici là, des textes secondaires établissant des règles de production par secteur sont en cours d’élaboration. Les professionnels français ont exprimé leurs positions via la Fnab, la fédération nationale de l’agriculture biologique, le canal historique des éleveurs indépendants, et via le Synalaf représentant les filières longues. Les deux instances sont à peu près sur la même longueur d’onde. Elles défendent un modèle bio « cohérent, exigeant et durable », avec une logique « fermière ». La cohérence fait partie du contrat de confiance tacitement passé avec les consommateurs à la recherche d’un bio qualitatif qui a du gout. Le Synalaf et la Fnab s’inquiètent surtout de la taille des bâtiments qui pourrait atteindre 1 600 m2 d’un seul tenant, moyennant des cloisons. Ils veulent rester à 480 m2 par bâtiment pour pérenniser l’élevage familial. Comme « l’avidité et l’opportunisme n’ont pas de limite », souligne Bertrand Thomas, le risque de dérive est réel. Pour toutes les volailles, le projet prévoit aussi de ramener à 150 m la distance maximale des trappes au point le plus éloigné du parcours (350 m actuellement avec un terrain aménagé). Une modification jugée « catastrophique » par Marie Guyot, la directrice du Synalaf car beaucoup d’élevages seraient dans l’incapacité de redessiner leur parcours. Il faudrait également ajouter des longueurs de perchoirs, « ce qui serait techniquement compliqué à gérer (circulation, nettoyage). » En dépit de ces incertitudes, le marché peut continuer à dégager de la valeur s’il croît raisonnablement, de l’ordre de 10 % par an. L’objectif des 15 millions de têtes en 2022, fixé par le contrat de la filière avicole (remis après les États généraux de l’alimentation de fin 2017), sera largement dépassé. « On y sera sans doute l’an prochain, pronostique Bernard Devoucoux. Pourvu qu’on ait assez de matières premières pour nos poulets et nos pondeuses. » L’an dernier, la surface en céréales bio a atteint 4 % de la SAU (376 000 ha) et celle en protéagineux 10,3 % (31 000 ha).
« Être cohérent pour garder la confiance »
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