Vous réjouissez-vous que la production bio batte des records d’année en année ?
David Léger - « Oui évidemment, car cela signifie que la consommation responsable se développe. En revanche cet appel d’air du marché ne doit pas être un prétexte pour produire n’importe comment. Si la bio s’est développée, c’est bien grâce à son image positive. »
Que craignez-vous ?
D. L. - « Qu’on veuille avancer à marche forcée pour répondre au marché, sans tenir compte des valeurs qui ont fait l’agriculture biologique. Qu’on voit la bio uniquement comme un débouché. Que la bio soit abordée uniquement d’un point de vue économique et juridique. Que des éleveurs fassent du bio sans être sensibles à ses fondements alors que les consommateurs le sont. Que des élevages se créent sans véritable lien au sol ou par des agriculteurs par ailleurs en conventionnel. C’est ce qu’on appelle l’industrialisation de la production. La Fnab n’est pas contre les outils industriels qui alimentent les GMS, à condition de respecter les règles. Le consommateur est loin d’imaginer la manière dont la bio est produite, surtout en productions animales. La bio, c’est aussi du bien-être animal et des conditions d’élevage différentes. Pour le consommateur, la taille de l’élevage est un critère de bien-être animal. Attention aux retournements de l’opinion. »
Donc, vous êtes opposés aux grands élevages ?
D. L. - « Nous sommes opposés aux situations 'limites' dans lesquelles les règles sont respectées tout en étant dévoyées. Par exemple avec le lien au sol. L’aliment doit provenir à au moins 20 % de l’exploitation, sauf si l’exploitant ne le peut pas (un maraîcher en zone de montagne par exemple). Il suffit donc de se mettre en situation de ne pas pouvoir le faire. Je pense aussi au parcours 'accessible' - un terme non défini - ce qui donne lieu à des tracés aberrants. Il y a aussi le cas des effluents d’élevages conventionnels utilisables, mais ce problème vient d’être résolu. »
Le nouveau règlement européen qui s’appliquera en 2021 vous convient-il ?
D. L. - « Pour aboutir à un consensus entre tous les pays membres, qui n’ont pas la même vision du bio, les règles se sont en quelque sorte appauvries. Ce qui donne lieu à des tailles d’ateliers pouvant être importantes, 1 600 m2 en volailles et 3 000 poules par compartiment et non par bâtiment. J’ai l’impression que la bio perd ses valeurs. Notre réseau Fnab veut maintenir la taille maximum de bâtiment à 480 m2 en volaille de chairs. En revanche, l’Europe va imposer des analyses avec des seuils de déclassement sur les produits et matières importés par exemple (obligation de résultat), et ça c’est positif. »
Les nouveaux producteurs bio ont-ils changé d’état d’esprit ?
D. L. - « Les pionniers de la bio ont fait le marché, en produisant et en commerçant eux-mêmes. Ils ont toujours eu le souci du comment vendre et se sont développés progressivement. Aujourd’hui, certains nouveaux producteurs ne se posent pas ce genre de question, puisque c’est le marché qui vient chercher leur production via des intermédiaires. Être coupé de son marché peut être dangereux, tout comme ne pas consommer bio soi-même. Le producteur et le consommateur bio réfléchissent à leurs façons de consommer, quitte à manger moins de protéines animales, notamment de la viande. Beaucoup sont végétariens ou au moins flexitariens. C’est pour cela que le secteur des viandes ne doit pas avancer trop vite, au risque de saturer. Et ce n’est pas en baissant les prix, qu’on arrivera forcément à accroître les ventes. »