L'hydrogène, une solution de plus pour le mix énergétique viticole
Ambition nationale, l’essor de l’hydrogène cible d’abord l’industrie. Mais il peut contribuer à relever les défis de décarbonation et d’autonomie énergétique en viticulture à certaines conditions.
Ambition nationale, l’essor de l’hydrogène cible d’abord l’industrie. Mais il peut contribuer à relever les défis de décarbonation et d’autonomie énergétique en viticulture à certaines conditions.
Avant de pouvoir exploiter l’hydrogène, il faut le produire en l’isolant d’autres molécules. Si cette spécificité complexifie son essor, elle ne l’empêche pas d’avoir de l’avenir.
Tous les types d’hydrogène ne se valent pas
Selon son mode de production, l’impact environnemental de l’hydrogène varie (voir encadré). Jean-Noël Geist, coordinateur de The Shift Project (groupe de travail sur la transition énergétique), le souligne : « la production de l’hydrogène est aujourd’hui fortement émettrice, et dépendante de ressources fossiles ». Il insiste donc sur la nécessité de décarboner sa production avant d’en développer l’usage. « L’hydrogène bas carbone pourra être issu d’excédents de production d’électricité nucléaire, éolien ou photovoltaïque. Il peut apporter une flexibilité bienvenue au système électrique », estime-t-il.
La voie consistant à utiliser de la biomasse (thermolyse et pyrolyse) est intéressante pour l’autonomie énergétique mais pour Jean-Noël Geist, elle libère du CO2 et les ressources mobilisées sont en concurrence avec d’autres usages plus prioritaires. De son côté, Thomas Gauby, chargé de mission chez France Hydrogène, juge la technologie de pyrogazéification de biomasse « très prometteuse ». La biomasse employée ne peut pas être méthanisée, et n’est pas non plus du bois brut. Le CO2 émis peut-être capté. Elle donne un coproduit commercialisable, le biochar. Mais il l’envisage en complément de la méthanisation, pour valoriser tous les types de biomasse. Son potentiel paraît donc limité.
Son rôle pour décarboner passe d’abord par l’industrie et le transport
À l’échelle de l’exploitation, la principale source d’énergie à décarboner est le carburant. Il concentre 68 % des charges énergétiques d’une exploitation viticole (données Agreste/Rica 2015). Des engins utilisant de l’hydrogène se multiplient (voir page 60). Leur prix et l’accès à cette ressource freinent pour l’instant leur essor.
Pour Cédric Philibert, expert en énergie et auteur d’un rapport de l’Institut français des relations internationales (IFRI) sur l’hydrogène, cette technologie vise en priorité la réduction les émissions de gaz à effet de serre, là où l’électrification n’est pas envisageable. Il cite notamment l’industrie chimique (dont les engrais), les aciéries mais aussi les camions, les navires et les avions. Des secteurs qui pèsent dans l’empreinte carbone de la filière. Les verriers, dépendants à 80 % du gaz, étudient aussi le recours à l’hydrogène décarboné.
Des dispositifs à mettre en place à l’échelle locale
Daniel Hissel, professeur à l'Université de Franche-Comté et directeur adjoint de la Fédération de recherche hydrogène du CNRS (FRH2), estime que pour le monde agricole, l’intérêt principal est de pouvoir dissocier l'étape de production d'hydrogène de sa consommation. Il est ainsi possible de convertir en hydrogène de l’énergie solaire produite l’été pour l’utiliser l’hiver. Il évoque un stockage à basse pression ne nécessitant pas de compresseur. Pour un plein rapide, il juge toutefois préférable de disposer d’un réservoir annexe d'hydrogène comprimé.
« Il existe des projets pilotes de centrales éoliennes associées à des électrolyseurs dans des espaces ruraux. Cela est totalement applicable à l’échelle d’un vignoble », encourage Thomas Gauby, chez France Hydrogène. Du fait des procédures et normes réglementaires liées au stockage, il imagine plutôt ce genre de dispositif dans un grand vignoble, voire une coopérative.
Nathalie Kroichvili, économiste, professeur à l’université de technologie Belfort Montbéliard (UTBM), coorganisatrice d’un colloque sur l’hydrogène en juin 2022, invite à voir ce vecteur d’énergie comme un complément. « Il n’y a pas de solutions générales et uniques. Il peut y avoir un intérêt si on le coordonne avec d’autres usages. Il faut étudier des configurations localement », projette-t-elle.
Coûts et disponibilités ne sont pas encore bien cernés
Le rapport sur l’hydrogène publié par France Stratégie en mai 2022 avance un coût de production de l’hydrogène gris à environ 1,60 euro le kilo, d’hydrogène bleu à 2,20 euros le kilo tandis que celui obtenu par électrolyse, à partir d’électricité dédiée d’origine nucléaire ou renouvelable s’établirait à plus de 3,50 euros le kilo. Utiliser des excédents d’énergie décarbonée ferait baisser le coût autour de 2 euros le kilo. Depuis, l’envolée du coût du gaz naturel sous l’effet de la guerre en Ukraine fait potentiellement grimper le coût de l’hydrogène gris, mais pour une durée inconnue.
Nathalie Kroichvili a étudié avec deux collègues des dizaines de publications sur le coût de production de l’hydrogène. Ils relèvent les limites des modèles utilisés. Prendre en compte les cobénéfices pour la santé de la décarbonation et les externalités négatives des rejets de CO2 changerait les comparaisons. Les modèles doivent aussi intégrer le stockage, la distribution et l’usage.
En se basant sur le coût des émissions carbone évitées, France Stratégie conclut qu’orienter les productions d’électricité bas carbone vers l’électrolyse ne sera efficient que lorsqu’elles présenteront « des excédents significatifs ». Le rapport évoque, selon les calculs de RTE, un « gisement faible et incertain à l’échéance de 2035 ».
Mais à l’ombre des grandes ambitions nationales, l’hydrogène peut prendre sa place en viticulture localement et à son propre rythme.
Vincent Decup, directeur technique du château Montrose, à Saint-Estèphe, en Gironde
« J’imagine le parc de demain comme étant pluriénergie »
L’atout de l’hydrogène est sa petite taille. Il renferme beaucoup d’énergie dans peu d’espace, ce qui permet de limiter les tassements. Concrètement, nous réfléchissons à la production d’hydrogène vert sur place, à partir d’électricité obtenue via des panneaux solaires sur nos bâtiments. Nous allons faire un audit sur site pour étudier ce qu’il est possible de faire, avoir une estimation du prix d’un électrolyseur, etc. Mais c’est du long terme. Nous nous intéressons également au biométhane, qui pourrait faire partie du mix énergétique de demain. »
Des milliards pour l’hydrogène
Le gouvernement veut décarboner certaines industries fortement émettrices grâce à l’hydrogène et veut faire de la France un leader de l’hydrogène décarboné. Une stratégie nationale est déployée depuis 2020. Un objectif de 6,5 GW d’électrolyseurs installés en 2030 a été annoncé.
L’État va consacrer 9 milliards d’euros d’ici 2030 à l’hydrogène, apportés au travers des plans France relance et France 2030. Sur cette enveloppe, 2,1 milliards d’euros vont soutenir dix projets déployés sur le territoire français, retenus dans le cadre du Projet important d’intérêt européen commun (PIIEC) porté par quinze États européens. Il s’agit de quatre gigafactories d’électrolyseurs ; de sites de production de réservoirs à hydrogène ; de piles à combustibles pour la mobilité durable ; de trains et véhicules utilitaires à hydrogène ; et de matériaux nécessaires à la production de ces équipements.
La Commission européenne, par la voix de sa présidente, Ursula von der Leyen, a annoncé la création d’une banque publique pouvant investir jusqu’à 3 milliards d’euros pour soutenir l’achat de l’hydrogène renouvelable et un objectif de production de « dix millions de tonnes d’hydrogène renouvelable dans l’UE chaque année d’ici à 2030 ».
Retrouvez notre dossier complet sur l'hydrogène :
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