Une diversité de pratiques culturales pour lutter contre la sécheresse de la vigne
Cépages tolérants, conduite en gobelet, palissage assoupli, présence de couverts végétaux ou encore d’arbres sont autant de pratiques permettant de lutter contre la sécheresse.
Cépages tolérants, conduite en gobelet, palissage assoupli, présence de couverts végétaux ou encore d’arbres sont autant de pratiques permettant de lutter contre la sécheresse.
« La vigne est une culture sèche à l’origine, qui tient bien le stress hydrique du sol », rappelle Olivier Hébrard, expert-consultant en agroécologie et sciences de l’eau en préambule. Pour améliorer ce bon potentiel, il voit quatre leviers : le sol, l’écophysiologie, l’hydrologie et la gestion du microclimat.
1. Faire en sorte d'avoir un sol vivant
Le premier aspect sur lequel il est possible de jouer est donc le sol. « Il faut tout mettre en œuvre pour avoir un sol vivant, incite Olivier Hébrard. Il pourra alors ralentir, infiltrer, stocker et redistribuer l’eau. » Pour ce faire, plusieurs actions peuvent être envisagées. Dans le cas d’un sol fatigué, l’apport de composts animaux, de mulchs ou ballots de paille et/ou de micro-organismes, via par exemple de la litière forestière fermentée, est bénéfique. « Ces apports permettent de restructurer les sol », observe le consultant.
Une fois que le sol est un peu plus actif, les conseillers recommandent d’opter pour des couverts végétaux, et ce, même en zone méditerranéenne. Les engrais verts agissent sur trois leviers cités par Jouanel Poulmarc’h, chargé de mission changement climatique et adaptation agricole à la chambre d’agriculture de l’Hérault : favoriser la prospection racinaire, limiter l’évapotranspiration de la vigne et ralentir l’écoulement de l’eau. « Nous avons effectué des relevés de température en 2022 et 2023, observe-t-il. Et nous avons noté de vraies différences de température entre sol nu et sol recouvert de mulch. » En 2022, l’environnement des ceps était à 2 °C de moins dans les vignes aux sols couverts et en 2023, la différence est montée à 5-6 °C. Une baisse de température qui devrait mécaniquement diminuer l’évapotranspiration de la vigne. « Le sol nu régule sa température de surface en évaporant l’eau qu’il contient, décrypte Jouanel Poulmarc’h. Le sol couvert joue sur l’albedo : le couvert réfléchit le rayonnement solaire. » En ce sens, les mulchs donnent aussi de bons résultats.
Le chargé de mission héraultais rappelle qu’il y a trois critères à ne pas rater pour que l’engrais vert remplisse son rôle : le choix du mélange, le semis et le moment de la destruction. La chambre travaille tout particulièrement sur ce dernier aspect, en développant un outil d’aide à la décision. En attendant sa sortie, « le critère qui doit guider la réflexion tous les sept à dix jours est : quel risque est-ce que je prends en ne détruisant pas le couvert ? », illustre-t-il. En règle générale, la période de destruction s’étale d’avril à juin.
Étudier et comprendre le fonctionnement de son sol par le biais de fosses pédologiques et d’analyses de sol, et le préparer soigneusement avant plantation sont aussi primordiaux pour favoriser la prospection racinaire de la vigne.
2. Jouer sur l’écophysiologie de la vigne
Le matériel végétal, la densité de plantation et le mode de conduite ont un impact non négligeable sur la résistance d’une vigne à la sécheresse. Tout d’abord, il semble logique d’opter pour des cépages tolérants à la sécheresse et tardifs, à l’instar du pinot noir, du grenache, du carignan, de l’aramon, ou de variétés espagnoles, italiennes ou encore grecques. La chambre d’agriculture des Pyrénées-Orientales, qui a testé une douzaine de cépages étrangers sur son domaine expérimental de Tressere, a par exemple obtenu de bons résultats avec la variété grecque assyrtiko en blanc. « L’assyrtiko a des problèmes de rendement, synthétise Valérie Didier, chargée d’études à la chambre. Mais il a un comportement quasi similaire à celui du grenache blanc face à la sécheresse, voire même légèrement mieux. Il est apprécié en dégustation. C’est le cépage qui est le plus intéressant parmi ceux que nous avons testés, malgré le problème de production. » L’ICV, qui étudie également une douzaine de cépages, confirme le bon potentiel de l’assyrtiko mais souligne sa sensibilité au mildiou.
En rouge, ce sont le calabrese et l’agiorgitiko qui sont bien ressortis dans les Pyrénées-Orientales. L’agiorgitiko, notamment, a un comportement face à la sécheresse similaire au grenache et n’a que peu souffert lors du coup de chaud de 2019. « Par ailleurs, ses vins sont très bien notés, ajoute Valérie Didier. Même mieux que le grenache. » Cette variété est peu sensible au mildiou et peut en outre être vinifiée en rosé. Du côté des cépages autochtones, la malvoisie du Roussillon est une variété rustique et tardive, évoluant très bien dans le cadre du changement climatique, affirme Valérie Didier. Elle procure une belle identité et une bonne acidité aux vins. De son côté, l’ICV juge que le nero d’avola et la malvoisie d’Istrie résistent bien à la contrainte hydrique.
Même si aucun gène de résistance à la sécheresse n’a encore été identifié, certains porte-greffes semblent également plus tolérants que d’autres. Ainsi, le SO4, et le 110 R ont été identifiés comme étant intéressants par les chercheurs de l’Inrae de Bordeaux. De son côté, Perrine Dubois, conseillère à la chambre d’agriculture des Pays de la Loire, incite à planter le 44-53 Malègue, le 140 Ru, le 110 R, le 1103 Pa, le 333 EM, le 196-17 Casel, ou encore le RSB1. À l’inverse, elle précise que le Vialla, le 3309 C et le 101-14 MGt sont très sensibles à la sécheresse.
Les techniques de plantation peuvent également avoir un impact. Outre la bonne préparation du sol déjà mentionnée, une plantation en deux temps (greffage en place), même si elle est onéreuse, donne de bons résultats, le porte-greffe ayant ainsi le temps de développer un racinaire plus profond. L’irrigation des plantiers est également de plus en plus plébiscitée et préconisée par les consultants. « Quand on arrose, il faut le faire de manière ponctuelle mais massive, précise Olivier Hébrard. On obtient ainsi une colonne d’eau qui sèche en partant de la surface de la terre vers l’intérieur et qui incite ainsi les racines à plonger. »
Le mode de conduite permet lui aussi d’adapter la parcelle à la sécheresse. Logiquement, le gobelet est le plus adéquat. « Il a beaucoup de vertus, détaille le consultant. Tout d’abord, la circulation de la sève entre le vieux bois et les rameaux se fait beaucoup plus rapidement, ce qui facilite la régulation de la température du cep via la transpiration. » Par ailleurs, la surface foliaire est moindre qu’en système palissé, mais avec une meilleure couverture ou protection du sol. « Ce qui limite l’évapotranspiration (évaporation du sol + transpiration de la vigne), pointe Olivier Hébrard. Le bilan radiatif du sol est meilleur, on perd moins d’eau. » Enfin, souvent, le gobelet est planté à une densité moindre, ce qui diminue la consommation d’eau à l’hectare.
Sur vigne palissée, l’assouplissement du plan de palissage peut être intéressant. En 2023, la chambre d’agriculture de l’Hérault a testé avec succès cette technique. Appliquée à partir du 10 juillet environ, elle a consisté à supprimer le téléphone du haut du palissage et à laisser tomber la végétation du côté le plus exposé. « Nous avons comparé ce mode de conduite avec la présence de filets de protection disposés de part et d’autre du rang, avec des filets d’un seul côté du rang et avec un témoin, retrace Jouanel Poulmarc’h. L’assouplissement du plan de palissage a eu le même comportement que les filets disposés de part et d’autre du rang au niveau de la contrainte hydrique (potentiel de tige et de base). » La chambre compte poursuivre ses essais et mesurer la quantité d’eau que cela permettrait d’économiser. « Le but serait aussi de pouvoir coupler cela avec notre service Agri Predict. À l’annonce d’un coup de chaud extrême, on pourrait aller dépalisser et au besoin repalisser derrière », imagine Jouanel Poulmarc’h. La palmette, genre de croisement entre le gobelet et le cordon mais en palissé et mécanisable, ou la lyre, employée en Turquie, sont aussi intéressantes en IGP ou sans IG.
Pour ce qui est de la densité de plantation, des essais sont actuellement en cours à la chambre d’agriculture du Vaucluse. Mais même si des parcelles à forte densité peuvent bien lutter contre la sécheresse, en règle générale, une faible densité semble plus propice à une bonne résistance. À voir si ces données seront confirmées par les essais en cours.
3. Miser sur l’hydrologie pour modifier le cycle de l’eau
L’hydrologie est un volet à activer en cas de problèmes importants, mais il est généralement moins prioritaire que les autres. Si les actions précédemment citées pour retenir l’eau à l’échelle de la parcelle ne sont pas suffisantes, il est possible d’envisager des travaux d’hydrologie régénérative ou d’hydro-agroécologie. Cela vise à mieux conserver l’eau de pluie en modifiant légèrement le cycle de l’eau pour hydrater et régénérer l’ensemble du paysage.
Plusieurs ouvrages répondent à cet objectif, comme les terrasses, ou les baissières. Ces dernières, faciles à mettre en œuvre, sont des genres de fossés qui suivent les courbes de niveau. Dès qu’il pleut, elles collectent l’eau qui va y stagner puis qui s’infiltre lentement dans le sol, régénérant progressivement ce dernier. « On peut planter des haies de part et d’autre des baissières ou même dedans, sans irrigation », indique Olivier Hébrard. Avec un effet sur le vent, l’ensoleillement, la température et l’humidité de l’air, planter des arbres permet notamment de modifier le microclimat des parcelles (voir interview page suivante).
4. Étudier et améliorer le microclimat de la parcelle
Le déficit de pression de vapeur, DPV, plus connu sous le sigle anglais VPD, qui conjugue la température et l’humidité de l’air, est un critère important à appréhender. « C’est ce qui pilote la transpiration », explique Olivier Hébrard. Quand le VPD augmente trop, un phénomène de cavitation (création de bulles d’air) peut s’opérer à l’intérieur du xylème. Selon la sensibilité du cépage, la vigne est alors amenée à sacrifier un ou plusieurs rameaux. « Lors du coup de chaleur de fin juin 2019, beaucoup de parcelles avec peu d’eau ont cavité, décrit le conseiller. Mais là où il y avait des sols vivants, des couverts, des forêts ou encore des haies, cela a permis de gagner quelques degrés et d’augmenter le taux d’humidité de l’air. » Le microclimat se raisonne à la parcelle mais aussi autour si possible.
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