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Un chai bioclimatique naturellement climatisé

Matthieu et Marie Boesch, vignerons alsaciens, ont conçu et réalisé un chai bioclimatique : cuvier et chai enterrés, matériaux bio-sourcés et toiture végétalisée.

Le chai bioclimatique est élaboré à partir de matériaux provenant des environs : pin, miscanthus, paille, terre, pierres, etc.
© C. de Nadaillac

Au milieu des flamboyantes collines mordorées du Strangenberg, du Bollenberg et du Zinnkoepflé, se dresse un chai en bois et crépis. Nous sommes au domaine Léon Boesch, à Westhalten, dans le Haut-Rhin. Ce bâtiment bioclimatique aurait très bien pu être érigé un siècle auparavant, pourtant il n’est sorti de terre qu’en 2010, après plus de trois ans de réflexion et deux de travaux. « Et encore, nous y avons effectué notre première vinification en 2010, mais les travaux étaient loin d’être finis », se remémore Matthieu Boesch. Avec son épouse Marie Boesch, il a opté pour ce type de bâtiment au terme d’un long cheminement : « Tout d’abord, tant ma femme que moi avons toujours vécu dans de vieilles maisons, indique le vigneron. Nous étions donc réticents à l’idée de faire construire notre maison et notre chai ; nous voulions un bâtiment avec une âme. » Ils se mettent alors en quête d’une vieille grange ou d’un vieux corps de ferme à démonter puis remonter sur place. Mais aucun n’a les dimensions idoines. Peu à peu, à coups de lectures sur les habitats bioclimatiques, l’idée de concevoir un bâtiment qui soit à la fois cuvier, chai et maison bioclimatique fait son chemin. « Nous sommes en biodynamie, poursuit Matthieu Boesch. Cela avait donc une cohérence pour nous. Par ailleurs, nous pensons que les levures proviennent aussi bien du terroir que du chai. Il nous fallait donc des matériaux de qualité, qui 'sélectionnent' des levures de qualité. » Germe alors l’idée d’une charpente en bois et de murs en blocs d’enrochement. Enterrer une partie du bâtiment (chai à barriques et cuvier de vinification) est ensuite venu tout naturellement. « À partir du moment où on a su que c’était possible, on l’a fait », explique Marie Boesch. Car ce type de construction revêt à leurs yeux une double qualité : permettre le travail par gravité et isoler naturellement les pièces.

Blocs d’enrochement, bottes de paille et miscanthus broyé

Direction la visite. Le bâtiment professionnel ouvre au nord, afin de conserver un maximum de fraîcheur. Au niveau du sol, on pénètre dans la salle des pressoirs, du remuage et de la mise en bouteilles. Une charpente majestueuse, avec toute une flopée de poutres et de poteaux en pin Douglas de la région y accueille le visiteur. L’atmosphère y est chaleureuse ; davantage que dans un chai en béton ou un hangar. Les murs sont constitués d’une structure en bois sur laquelle s’agrègent des bottes de paille compressées d’une épaisseur de 35 cm, tenues par des lattes et recouvertes d’un torchis. Si les murs extérieurs sont finis, à l’intérieur, il manque encore la dernière couche de finition. « J’aimerais étanchéifier les murs, au moins autour du pressoir, explique Matthieu Boesch. Mais j’hésite entre différentes finitions : de la chaux, de l’huile de lin, un tadelakt ? » En face de l’entrée, le mur situé au Sud contre la terre, est quant à lui en parpaings. « Nous aurions pu mettre des pierres d’enrochement, mais c’était compliqué et moins important que dans le cuvier », relativise le vigneron. Quelques mètres plus loin, le mur sépare l’espace professionnel du privé. Il est en miscanthus et terre. Le sol, quant à lui, est en béton : « nous entrons en tracteur dans cette pièce, nous avions donc besoin d’un sol résistant », justifie le viticulteur. Des trappes sont disposées de part et d’autre de la pièce : elles donnent sur l’étage inférieur où sont situées les cuves de stabulation. Une fois les baies pressées, le jus y est transféré par gravité. Il y reste un jour avant de partir, par pompage, dans les fûts attenants pour le blanc et dans les foudres pour le pinot noir. Non loin des trappes, un petit escalier mène à l’étage inférieur, entièrement enterré.

Changement d’atmosphère dans ce chai à barriques, où se trouvent également les cuves inox. Les murs sont constitués d’énormes blocs d’enrochement, de 2 à 5 tonnes pièce, provenant d’une carrière alsacienne. On se croirait presque revenus à l’époque romaine. « Nous avons opté pour ce matériau car le béton assèche, et il aurait alors fallu ajouter un humidificateur, indique Matthieu Boesch. Par ailleurs, notre terroir est constitué de ce type de pierre. Cela nous semblait logique d’en avoir dans le cuvier. » Au sol, un béton, à base de sable et de ciment uniquement, s’étend.

Mais c’est la pièce contiguë qui est la plus surprenante. On verrait bien un chapitre templier s’y dérouler ! De forme circulaire, elle comprend un gros pilier central, autour duquel se répartissent les foudres. Les murs sont en blocs d’enrochement et le sol est en dalles de grès, l’autre roche présente sur le terroir du domaine. En cette fin octobre, la fermentation bat son plein et les pièces de bois glougloutent à qui mieux mieux. L’atmosphère y est particulière.

Mais la visite s’achève déjà. On ressort du cuvier par un escalier donnant au nord, direction l’extérieur du bâtiment pour aller voir le toit végétalisé. Cette idée s’est imposée après avoir visité un autre domaine. Des planches en pin, du caoutchouc EPDM (éthylène-propylène-diène monomère), 5 cm de liège, un géotextile et 30 cm de terre font l’affaire. Au départ, les vignerons ont semé du blé d’hiver, puis quelques jachères fleuries. À présent, la nature a repris ses droits et ils n’effectuent plus qu’une fauche par an.

Un projet de 300 000 euros pour la partie professionnelle

Au final, le budget de l’ensemble de la construction reste plus que modéré : 550 000 euros, dont environ 300 000 pour la partie professionnelle. « Mais nous avons fait beaucoup d’autoconstruction, nuance Matthieu Boesch, et nous avons été bien aidés par nos pères respectifs et par un oncle. » Il faut dire que les matériaux utilisés sont en grande partie bon marché, à l’image des bottes de paille qui valent un euro le mètre carré, ou des murs en blocs d’enrochement qui leur sont revenus moins cher que du béton (moins de 120 à 130 €/m2). Et le bénéfice énergétique est au rendez-vous : le bâtiment n’est ni climatisé ni chauffé. « En cas de grand froid, le chai descend à 6 °C, et lors des canicules, il monte à 16-17 °C. Le tout avec un taux d’humidité de 80 à 90 % », rapporte l’exploitant. Les visiteurs, quant à eux, savent de suite qu'ils se trouvent sur un domaine en bio ou en biodynamie. "Les clients sont curieux de cette démarche. Cela alimente une grande partie de nos discussions commerciales", reconnaît-il.

Matthieu Boesch songe déjà aux prochaines étapes : créer une station de traitement des effluents vinicoles ou pourquoi pas, produire sa propre énergie en utilisant le solaire ou l’éolien. « Mais nous allons déjà finir de payer pour le chai, relativise-t-il. Et d’ici là, nos filles seront adultes. Peut-être que l’une d’elles souhaitera s’installer. Ce sera alors à elle de poser ses marques et de faire des projets, comme nous avons pu le faire. »

​repères

Domaine Léon Boesch

Surface 15 ha

Types de sol grès et calcaire

Appellations alsace et alsace grand cru

Production annuelle 90 000 bouteilles

Circuits de commercialisation 40 % professionnels français (cavistes et grossistes), 40 % export et 20 % particuliers

Coût de construction 550 000 € dont 300 000 pour la partie professionnelle

voir plus loin

Après le chai bioclimatique, l’Écochai

Ingévin vient de mettre au point un concept de chai circulaire censé faciliter le travail et diminuer les consommations en eau : l’Écochai 4 E. Cette forme limite également la surface de construction et donc le coût. Par ailleurs, la toiture est couverte de panneaux photovoltaïques et le projet prévoit un système de récupération des eaux de pluie.

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