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« Repenser le système de culture de la vigne »

Au Domaine de la Malmaison, en Champagne, Jérôme Courgey teste et commence à déployer une autre vision de la viticulture, basée sur la vie du sol et l’agroforesterie. Rencontre avec ce précurseur.

Des poireaux, des pommes de terre, des pieds de tomates, des frênes, ou encore des châtaigniers jalonnent les rangs de vigne. Aussi surprenant que cela soit, nous sommes au Domaine de la Malmaison, à Épernay, dans la Marne. Il faut dire que la philosophie du responsable du domaine, Jérôme Courgey, est atypique. « Auparavant, la vigne coévoluait avec l’arbre, rappelle-t-il. Elle s’installait en lisière de forêt et se développait notamment grâce au substrat humifère et aux champignons des bois. » Fort de ce constat, il travaille à reproduire une partie de ces conditions de croissance et de cette biodiversité dans ses vignes. En cela, il est épaulé par un consultant privé, Timothy Bolander, spécialiste de la microbiologie des sols, depuis 2012. « La qualité du raisin dépend directement de la biodiversité du sol, avance ce dernier. Si le vin devient meilleur à partir du moment où la vigne a plus de vingt-cinq ans, c’est dû au fait que les mycorhizes du sol qui ne pénètrent pas dans les racines deviennent majoritaires. Il est donc indispensable de permettre un bon équilibre microbiologique des sols viticoles. »

Ensemble, ils œuvrent à restaurer cet « écosystème naturel ». Avec en ligne de mire, l’objectif que la vigne s’autosuffise. « Je souhaite trouver un équilibre pour que le sol s’autosatisfasse tout en permettant une récolte convenable », insiste le vigneron. Pour ce faire, il a commencé par apporter du compost aux vignes à raison de 5 à 10 t/ha, en plein, tous les automnes. Et plus exactement, du vermis compost. Élaboré à partir de fumier de bovin et équin, de paille, de rafles de raisins, de broyat de ceps et ou de plaquettes forestières fraîches, ce compost est disposé en andain, et régulièrement retourné et arrosé. Timothy Bolander surveille sa densité, sa température, mais aussi son taux de CO2. Cet amendement organique est également épandu sur les parcelles avant toute nouvelle plantation, avec du basalte et du compost classique.

Vermicompost et TCA pour booster la vie du sol

À cet apport de vermicompost, s’ajoutent quatre applications de thé de compost aéré, également nommé TCA ; deux au printemps et deux à l’automne. Ce dernier est constitué de vermicompost, de son, de drêches et d’eau. Le tout est mis à fermenter dans de grands bacs en plastique, durant 24 heures, à 18-20 °C ; une pompe brassant et aérant le tout. Hormis les apports au sol, l’équipe pulvérise ce TCA avant traitement sur les feuilles, en période végétative, le but étant « d’inoculer » la vigne avec des micro-organismes bénéfiques, afin d’empêcher l’installation des néfastes. « Il faut qu’au minimum 15 % de la surface de la feuille soit couverte pour que la vigne soit en bonne santé, indique Timothy Bolander. Dans l’absolu, il faudrait que ce soit 100 %, mais cela nécessiterait trop d’interventions. » Selon lui, l’idéal est de passer du TCA toutes les semaines lorsque l’on débute ce programme. Ensuite, la fréquence est à adapter à la santé de la vigne. « Ici, nous passons une fois par mois environ, illustre-t-il. Parfois plus lorsque la vigne est stressée, comme c’est le cas cette année avec le mildiou. » Par ailleurs, au printemps, un ajout de matière organique fraîche sous forme de bouchons de miscanthus et de luzerne, des produits locaux, est réalisé.

Pour ajuster au mieux les apports, le consultant mesure les effets du TCA, grâce à des analyses de sève sur feuilles jeunes et vieilles. « C’est un bon indicateur de la santé de la vigne, témoigne Timothy Bolander, plus précis que le volume exporté. Si les vieilles feuilles sont moins concentrées que les jeunes, cela signifie que la vigne n’en a pas assez. Il faut alors augmenter la dose de compost à l’automne, ou de bouchons. À l’inverse, si elles le sont davantage, il faut soit continuer comme ça, soit limiter. » Il passe au crible le degré Brix, effectue des mesures d’électroconductivité, de pH, de densité de nitrates et de potassium.

Recréer de l’humus et s’affranchir du travail du sol avec le BRF

Parallèlement à cela, Jérôme Courgey a épandu du BRF (Bois raméal fragmenté) sur une partie du domaine, afin de recréer de l’humus et de limiter le désherbage mécanique. « Toujours dans l’optique que la vigne s’autogère, je souhaite m’affranchir de tout travail du sol, confirme-t-il. Cela implique qu’il soit couvert toute l’année. » D’où le BRF, sur lequel il implante des engrais verts, en général vers la fin juillet, qu’il roule à épiaison, vers le mois de mai. Il s’agit d’un mélange comportant du seigle, de la féverole et un ou deux trèfles non vivaces.

Mais il souhaite aller plus loin : « j’aimerais aussi éviter tout tassement, toute compaction du sol, comme c’est le cas en forêt », glisse-t-il. Afin de vérifier que ce phénomène a un impact non négligeable sur le sol, il a laissé trois rangs témoins sur le domaine. Ils ont reçu du vermicompost, du BRF et du thé de compost en 2016. Mais depuis, aucun passage d’engin n’a eu lieu. Et cette année, Jérôme Courgey a même poussé plus loin : aucune opération n’a été réalisée, pas même un traitement ni un rognage. Et l’impact sur le sol est impressionnant. Il est humide, meuble, homogène et sombre sur au moins 30 cm de profondeur. Quelques rangs plus loin, même si l’effet du BRF se ressent un peu au niveau de l’humidité, la terre est dure et composée de plusieurs strates distinctes. Et ce malgré le fait que le domaine soit équipé de chenillards et de systèmes de télégonflage sur ses enjambeurs, permettant d’adapter la pression des pneus selon l’état du sol et le travail à réaliser.

Le passage dans la vigne étant indispensable, Jérôme Courgey aimerait trouver des engins évoluant sans contact avec le sol. En collaboration avec une agence de maintenance professionnelle industrielle (AMPI) il réfléchit donc à un prototype de pulvérisateur autonome, se déplaçant… sur coussin d’air !

En revanche, si le BRF permet clairement d’améliorer la structure du sol on retrouve pas mal de liserons et quelques chardons, qui doivent donc être ôtés. Depuis 2017, ces adventices ont été rejointes par des semis de légumes entre chaque pied. « Le but est de favoriser la biodiversité, et aussi qu’ils se resèment seuls dans le BRF », explique Jérôme Courgey. Dans le même esprit, chaque arbre qui pousse sur le cavaillon, à un endroit non préjudiciable à la vigne ou aux travaux, est conservé, à l’instar des arbres-tuteurs d’autrefois. « Une fois qu’il atteint 1,50 m, on coupe tout ce qui dépasse en bas, détaille-t-il. Et ensuite, on élague en haut pour qu’il ne se développe pas trop et ne pénalise pas la vigne. »

Aller vers des vignes hautes et larges

Jérôme Courgey souhaite pousser sa réflexion plus loin. « La vigne champenoise est trop rabougrie. J’imagine des vignes larges, conduites en pergola sur un système quadrillé avec un pont de rameaux, avec des légumes et des céréales tels que de l’épeautre ou du seigle entre les rangs, et une rangée d’arbre tous les deux ou trois rangs environ », dévoile-t-il. Selon lui, cela permettrait à la vigne de respirer, favoriserait la photosynthèse ainsi que le développement des racines, la biodiversité nécessaire à l’autosuffisance de la vigne, et limiterait les dégagements de gaz à effet de serre. Mais pour cela, encore faut-il faire évoluer le cahier des charges de l’appellation champenoise, qui impose pour le moment de fortes densités de plantation. « Nous y travaillons. Nous avons mis sur la table des propositions de modification que nous avons soumises au CIVC (Comité interprofessionnel du vin de Champagne). Cela fait déjà vingt-sept ans que ce mode de conduite est en essai dans la région, il serait temps que les choses bougent. »

Et si on créait un pulvérisateur autonome sur coussins d’air pour limiter les tassements ?

repères

Domaine de la Malmaison

Superficie 16 hectares

Type de sol argileux

Densité 10 000 pieds/hectare

 

Pour plus d’info sur le télégonflage : https://bit.ly/2Ktc7FR

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