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À quoi ressembleront les exploitations viticoles demain ?

Démographie, statut du vin, crise vont faire évoluer les modèles d’exploitations vitivinicoles. Le point avec Hervé Hannin, directeur du développement du pôle vigne-vin de l’Institut Agro, et François Purseigle, sociologue de l’agriculture et professeur à l’AgroToulouse, à l'occasion des 30 ans de Réussir Vigne.

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Hervé Hannin, directeur du développement du pôle vigne-vin de l’Institut Agro.et François Purseigle, sociologue de l’agriculture, professeur à l’Agro Toulouse et co-titulaire de la chaire Innover dans les filières agricoles, la qualité et les territoires (INFAAQT) dressent le portrait des exploitations viticoles de demain.
© Vitinova / @F. Purseigle

Dans 10 ans, la polyculture sera-t-elle indispensable ?

François Purseigle : Il y a des zones viticoles dans lesquelles les viticulteurs ont eu l’habitude d’être des polyculteurs, notamment dans le Sud-Ouest. Mais ne soyons pas naïfs, il y a bon nombre de zones de monoproduction viticole où la diversification ne va pas de soi. L’accès à l’eau peut y obérer également les possibilités. Mais surtout, les filières, les marchés n’existent pas encore pour valoriser ces productions.

Hervé Hannin : Aujourd’hui pour des raisons écologiques, économiques et stratégiques, on redécouvre les vertus de la polyculture et au-delà de la diversification. De plus en plus de professionnels y réfléchissent, parfois dans l’urgence. On peut identifier les cultures possibles mais s’il n’y a pas de filière comme ça peut exister avec l’olivier, ça restera des marchés de niche.

La taille des exploitations va-t-elle diminuer ou au contraire grossir ?

H. H. : Le modèle paysan traditionnel semble de plus en plus remis en cause face aux difficultés du renouvellement intergénérationnel. Une des alternatives est d’aller vers un modèle capitaliste, avec des exploitations plus grandes. Une autre possibilité est le développement de travaux agricoles externalisés, ce qui est compatible avec le maintien d’entreprises de taille moyenne. Il va y avoir une diversification des modèles.

F. P. : La viticulture va être confrontée à un départ massif à la retraite. Compte tenu en plus du contexte de crise, il va y avoir des cessations d’activité. Des exploitants non familiaux chercheront à acquérir des biens, certains viticulteurs pourront s’agrandir mais pas tous. La taille de certaines exploitations augmentera peut-être, mais des stratégies d’associations entre exploitants ou de délégation d’activités se développeront probablement.

Le viticulteur de demain sera-t-il son propre patron ou salarié ?

F. P. : Les régions viticoles sont très diverses mais la famille n’est plus toujours au service du projet économique. La rente, le patrimoine et la tradition prennent le pas sur l’ambition entrepreneuriale. Bon nombre d’enfants de viticulteurs ne cherchent pas à reprendre. Pour traverser la crise, il faut imaginer le renouvellement des actifs. Il sera porté par davantage de salariés que d’actifs familiaux. On le voit déjà avec un recours à une main-d’œuvre externalisée de plus en plus important. Les salariés d’aujourd’hui seront peut-être les associés ou installés de demain !

H. H. : On peut imaginer le développement d’investisseurs de la filière : des négoces plus impliqués dans la production, des pépiniéristes, des coopératives qui auront besoin de maintenir leur rentabilité ou des distributeurs. On connaît bien ces modèles d’intégration dans d’autres cultures. Si l’on ajoute à cela que la viticulture devient de plus en plus technique et que les enfants rechignent à reprendre, il est possible qu’on aille sur un modèle de régisseur ou de salariés très bien formés.

Dans dix ans, la carte du vignoble français aura-t-elle changé significativement ?

H. H. : Si la localisation de vignobles plus au nord est connue, ce n’est pas forcément le plus quantitatif, et ce n’est pas si simple d’y installer une production. La stratégie nationale définie par les professionnels français, c’est de rester au maximum dans le périmètre actuel en innovant, ce qui donne lieu à des travaux de recherche-développement. Il y a des réflexions sur le mode de conduite, sur le zonage avec parfois des limites d’AOC qui vont être repoussées. Il y a déjà des changements.

F. P. : On voit se planter des vignes dans des régions plus septentrionales mais ça restera des niches. Le changement climatique n’y permettra pas forcément la mise en place de vignobles répondant aux attentes du marché. Par contre, certains territoires ne seront plus en capacité de produire pour faire tourner des outils de collecte et de transformation. Cependant, avant de penser à un « déménagement viticole », il faudrait d’abord réarmer les territoires en place, en donnant aux exploitations les moyens d’accéder à des ressources foncières, techniques, humaines et économiques pour faire le travail.

La surface du vignoble va-t-elle continuer à diminuer ?

F. P. : Les raisons sont plurielles : le changement climatique, l’urbanisation, les mesures d’arrachage définitif, l’incapacité à trouver un repreneur. Mais surtout, les collectivités territoriales, l’État, les banques, les assurances vont-elles continuer ou pas à accompagner tout un secteur au regard des crises qu’il traverse ? Va-t-on privilégier la famille sur la firme ou l’investisseur ? Le maintien d’un certain nombre d’exploitations viticoles et de caves coopératives tient à certains engagements.

H. H. : Il y a toujours eu des variations, par exemple suite au phylloxéra ou aux primes d’arrachage des années 1976-1977. Ce qui est compliqué aujourd’hui, c’est qu’on a à la fois une crise des modèles de production et de consommation. La prime d’arrachage ne pourra pas tout résoudre. Il faut retrouver une réflexion marketing et arrêter de penser que l’attachement au vin est naturel et éternel. Est-ce qu’on regarde descendre la courbe ou on imagine un scénario prospectif pour essayer d’enrayer cette perte d’hectares et de production ?

La viticulture biologique va-t-elle encore progresser en surface ?

H. H. : J’ai peur que ça soit compliqué d’aller au-delà dans la configuration actuelle. Tous les feux étaient au vert dans les années 2007-2008. Aujourd’hui, on n’est pas très sûrs des scénarios. Le bio n’assume plus son positionnement d’alternative unique à l’agriculture conventionnelle. C’est difficile techniquement et économiquement d'en faire dans de nombreux vignobles. Le bio est attaqué sur la durabilité par certains aspects. Il a le risque d’être perdu dans la masse de signes de qualité ou d’alternatives. Ceux pour qui le bio est un socle comme les biodynamistes ou les vins nature ne le défendent pas toujours au mieux. Il y a aussi un malentendu sur la croyance bio = zéro traitement qui participe peut-être de la stagnation. Bio ou pas bio, le vrai enjeu c’est une gestion de l’environnement qui soit durable pour la viticulture, qui n’est pas un produit de première nécessité et pourtant absorbe une grande partie des pesticides de l’agriculture française. Il faudrait pouvoir passer à un produit plaisir qui puisse s’en abstraire. Mais pour ça, on a encore besoin de faire des recherches. C’est par exemple l’objet du projet Vitae piloté par l’Inrae.

Va-t-on aller vers plus de mutualisation pour limiter les coûts ?

F. P. : Le salut de l’exploitation viticole reposera de moins en moins sur les seules épaules des exploitants viticoles et de leurs familles. Son maintien dépend de l’offre de services présente à l’échelle du territoire : groupements d’employeurs, entreprises de prestation, offre de conseils adaptés, montée en compétences en organisation du travail, accès à de nouvelles technologies mutualisables.

H. H. : On a sans doute été trop loin dans le modèle du chef d’entreprise viticole. Il a des vertus mais on voit que c’est aujourd’hui une responsabilité énorme pour beaucoup. Les viticulteurs gèrent un territoire qui est un bien commun, ce qui diffère des entreprises industrielles. Il faut réinjecter du collectif, pas seulement pour les coûts mais pour qu’ils aient les moyens de prendre en charge l’aménagement du territoire et qu’ils ne soient pas confrontés seuls à des situations de plus en plus difficiles à gérer individuellement.

Demain, le viticulteur sera-t-il rémunéré pour son rôle d’entretien du paysage ?

H. H. : Il faut prendre un peu au sérieux cette idée-là. C’est quoi un paysage s’il n’y a plus de vigne ? Une vigne arrachée, on en fait quoi ? Le paysage, c’est par exemple l’entretien de pare-feux contre les incendies. Les viticulteurs se vivent comme les premiers paysagistes du territoire mais ils n’ont pas envie d’être considérés seulement comme ça. Il faut leur en donner la responsabilité, qu’ils y adhèrent. Nous sommes de plus en plus capables de former des gens qui raisonnent en termes d’agronomie, d’aménagement, d’entretien et d’économie du territoire. À l’Institut Agro, par exemple, on a désormais cette réflexion-là dans notre pédagogie.

F. P. : La plupart de ceux qui choisissent le métier de viticulteur ne le font pas pour entretenir le paysage ou l’espace, c’est consubstantiel à leur activité. Ils n’aspirent pas à être des gardiens d’un musée. Il faut d’abord trouver de nouveaux débouchés à leur production.

Les AOP vont-elles devenir moins attractives faute de s’adapter ?

F. P. : Les AOP, comme les autres signes d’origine et de qualité, constituent des atouts dans une gamme de produits. Certes, des viticulteurs proposent des produits en vin de France qui répondent à des attentes. Mais beaucoup jouent sur plusieurs tableaux à la fois. Quant à l’adaptation, ce serait mal venu de reprocher à l’État et à l’Union européenne d’imposer des règles inadaptées et de ne pas balayer devant sa porte. Il convient probablement de faire évoluer certaines façons d’organiser les filières afin qu’elles soient plus adaptées à celles et ceux qui font et consomment les vins.

H. H. : N’oublions jamais qu’une appellation c’est un collectif de producteurs. Il a un pouvoir fort. Tout dépend de sa capacité à prendre en charge son évolution. C’est excessif de penser que l’appellation est un musée qui empêche d’innover. C’est sûr, on arrive sur des générations qui n’ont pas été à l’origine de ces appellations, donc l’attachement s’est un peu émoussé. Mais l’appellation, c’est beaucoup plus qu’une marque, c’est un outil économique extraordinaire pour faire remonter de la valeur ajoutée au producteur, c’est non délocalisable et inaliénable. Certes, il y a des petites appellations qui ont peu de notoriété mais elles peuvent s’intégrer dans une gamme.

L’image du vin va-t-elle évoluer ?

H. H. : L’image du vin ne cesse de changer car les consommateurs changent. Aujourd’hui, le marché mondial représente la moitié du marché du vin. Un pernand-vergelesses n’est pas vu à Shanghai comme il l’est en France. De la boisson énergie, alimentaire, on est passé à autre chose. Si on veut faire du vin un élément de patrimoine, il faut expliquer, faire des campagnes là-dessus. Ça n’a rien de naturel. Il contient de l’alcool, il faut l’intégrer. Est-ce qu’on subira l’évolution de l’image du vin ou est-ce qu’on essaye de la maîtriser un peu ? Il faut inventer le modèle qui va avec les changements sans doute irréversibles des modes de production et de consommation. Et reconsidérer l’information que l’on a réservée aux consommateurs.

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