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Qui veut la peau des vins de France ?

Le succès des vins sans IG (indication géographique) ou vins de France irrite. Accusés de semer la confusion dans l'esprit du consommateur, de manquer de moralité, d'abuser des signes de qualité voire de déstabiliser à terme la filière : certains voudraient bien restreindre cet espace de liberté. Pour leurs défenseurs, ces vins ont toute leur légitimité car ils répondent parfaitement à la demande du consommateur.

Selon l'Anivin, les vins de France ont toute leur place dans les linéaires. Aucune logique d'affrontement ne doit prévaloir.
Selon l'Anivin, les vins de France ont toute leur place dans les linéaires. Aucune logique d'affrontement ne doit prévaloir.
© J.-C. Gutner

" Dans un monde parfait, il n'y aurait que des AOP et des IGP. " Le ton est donné. Ces propos tenus par Thierry Icard, président d'Intermed, résument à eux seuls, la colère qui gronde contre la catégorie des vins sans IG. Et il n'est pas le seul à leur en vouloir. Des vins sans moralité, coupables de concurrence déloyales, de jouer la carte de la confusion : les mots sont forts. Serait-ce la rançon de leur succès ? Même la Cnaoc, à l'occasion de son assemblée générale - ce qui n'est pas le moins étonnant - remet en cause quelque peu les bons résultats obtenus. Pourtant, cette nouvelle catégorie de vins, née en 2009, a vu ses volumes mis en marché multipliés par quatre en trois ans, selon FranceAgriMer, passant ainsi de 300 000 hl commercialisés en 2009-2010 à 1 249 000 hl en 2011-2012. Les vins de France représentent en 2012, toujours selon FranceAgriMer, 25 % des volumes des exportations de vins tranquilles français et leurs exportations ont progressé de 19 % par rapport à 2011. À croire que cette réussite fait des jaloux. En tous cas, elle dérange. Et les vins de France de crouler sous les reproches. " Ce n'est guère étonnant. Les vins sans IG représentent le péché mortel, des vins sans âme, des vins sans rien. Tant que leur volume ne représentait que peu de choses, ça allait. Mais aujourd'hui, certains s'émeuvent de cette montée en puissance et inventent n'importe quoi ", constate Michel Laurent Pinat, délégué général de l'Afed (Association française des embouteilleurs distributeurs).

" Que les vins sans IG fassent ce pourquoi ils ont été créés c'est-à-dire des marques pour l'export "

Et des attaques en règle de fuser, à commencer par le manque de transparence de la production. " Je suis pour une régulation du marché ", indique Philippe Coste, président du syndicat du cru Minervois. " Les vins sans IG ne doivent pas être le réceptacle des excédents des AOP et IGP et ne doivent pas non plus être une source d'approvisionnement pour ces mêmes AOP et IGP. Ce qu'il faut, c'est un peu de moralité et que se mettent en place des règles de production et de gestion claires pour chacune des catégories de vin, notamment dans les exploitations mixtes. " Il n'est pas le seul à le penser. " Cette catégorie de vin crée un problème de gestion des différents segments. Les sans IG accueillant le surplus des autres catégories. Le problème se situe surtout entre AOP et sans IG. Les premiers envoyant leurs excédents aux seconds, au lieu de les envoyer à la chaudière et venant directement concurrencer les IGP ", ajoute Michel Servage, président de la Confédération française des IGP. Et Thierry Icard d'enfoncer le clou : " Ces vins reçoivent tous les excédents. C'est la cinquième roue du carrosse. Une sorte de dépotoir et après on déclare sur un hectare avoir produit 500 hectolitres. " Pour Philippe Coste, il est nécessaire d'encadrer les rendements sur les exploitations mixtes. Un projet stratégique mis au point par Intersud serait même sur la table dans ce but et relayé par le Crinao. " En ce qui concerne les rendements, les choses sont claires et elles le sont depuis le début. Ce système de vases communicants n'existerait pas d'ailleurs si on pratiquait de l'affectation parcellaire. Or, on ne le fait pas ", souligne Michel-Laurent Pinat.
Autre reproche adressé à ces vins : l'usage des mentions de cépage et de millésime. Sur ce point, Thierry Icard est catégorique : " elles devraient être réservées aux seuls vins à indication géographique ". Car comme le souligne Michel Servage, " les vins sans IG avec mention du cépage font ombrage aux vins IGP ". Et pour Joël Hérissé, président du syndicat des vins de pays du Val de Loire, ces vins ne disent pas la vérité. " Ce qui me gêne est le fait que les producteurs disent qu'ils sont comme des IGP quand ils ne prennent pas des cartes de négociants pour allonger la sauce. Le jeu est faussé. Que ce segment fasse ce pourquoi il a été créé, c'est-à-dire des marques pour l'export mais qu'il ne vienne pas semer la confusion. "


Pour Philippe Coste, ces vins véhiculent des signes de qualité. " Ce qui les fait ressembler à de la bolognaise au cheval ! " Cela relèverait de la concurrence déloyale, estime-t-il encore. " Comment peut-on prétendre à des signes de qualité sans savoir d'où vient le vin et à quelle quantité il a été produit. " Michel Laurent Pinat tient à rappeler que cette catégorie de vins a été créée pour contrer les vins chiliens ou australiens. " Cette façon de voir les choses montre l'aveuglement de notre filière. Il ne faudrait pas oublier que l'Argentine a décidé d'être le leader mondial du malbec, le Chili, celui de la carmènère, l'Uruguay du tannat et ce n'est pas fini. On va se faire piquer cette notion de cépage parce qu'on est trop bête. " Enfin, les vins sans IG représenteraient un risque de déstabilisation de la filière, estime Philippe Coste. Au gré des volumes récoltés, certaines régions seraient sources d'approvisionnement une année et ne le seraient plus l'année d'après. "

Regardons les chiffres. Ils sont têtus. Grâce aux vins de France, nous avons davantage vendu à l'export donc nous participons à l'équilibre du marché. Continuons à augmenter nos volumes de vente pour montrer que nous avons raison. Seule, la réussite économique compte et on ferait mieux de faire un peu moins de politique et un peu plus d'économie ", lui répond Michel Laurent Pinat. Et d'ajouter :
" On ferait mieux de se demander pourquoi les grands crus de Bordeaux se vendent bien. Si tel est le cas, c'est parce qu'entre 1985 et aujourd'hui, les vignerons bordelais ont modifié leurs façons de faire les vins en utilisant des techniques comme l'osmose inverse qui permettent d'obtenir des vins plus ronds, plus souples, plus gras, plus aromatiques. Résultat : ils se vendent. C'est bien ou c'est mal ? Il faut en revenir aux fondamentaux : le vin, c'est fait pour être bu ! "

Au sommaire du dossier :

< Priorité à l'efficacité économique p. 19

< Trop tôt pour évaluer le rôle économique des vins sans IG p. 20

< De la question des cotisations volontaires obligatoires p. 21

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