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« Nous effectuons de moins en moins d'opérations à la vigne grâce à la permaculture »

Dans leur domaine du nord Vaucluse, Franck et Thomas Mousset ont adopté certains principes de la permaculture. Reportage.

Arbres, noue, bassin, plantation en suivant les courbes de niveau, semis interrangs et bientôt semis sous le rang. Telles sont les opérations de permaculture mises en place au Clos Saint Michel, à Sorgues dans le Vaucluse, par Franck Mousset et son fils Thomas. Mais tout ne s’est pas fait en un jour. « J’ai commencé par planter des oliviers tout autour des vignes il y a une vingtaine d’années, contextualise Franck Mousset, et nous avons débuté le bio par conviction il y a très longtemps. Puis en 2018, nous nous sommes décidés à attaquer la certification car nous nous sommes dit qu’il était dommage de ne pas revendiquer le label alors que nous l’appliquions. C’est alors que notre conseiller, Alain Malard, nous a parlé de la permaculture. Cela nous a plu. » En parallèle et sans aucune concertation, son fils Thomas, alors en école de chimie, réalisait sa thèse sur… la permaculture ! Il n’en fallait pas plus pour que le domaine s’approprie quelques principes de cette technique.

Confectionner de l’eau de saule et de l’huile d’olive

À commencer par l’agroforesterie, dont la démarche s’est peu à peu étendue à une plus grande surface. À présent, les arbres entourent pratiquement toutes les parcelles et commencent aussi à pénétrer à l’intérieur de certains îlots. « Nous souhaitons notamment tester les ombrières », dévoile le viticulteur. Oliviers, cognassiers, amandiers, griottiers, micocouliers, peupliers, saules pourpres, chênes verts sont quelques-unes des espèces que l’on retrouve aux abords des vignes du Clos Saint Michel ou entre les rangs.

 

 
Franck Mousset a commencé à planter des oliviers en bordure de vigne il y a une vingtaine d'années.
Franck Mousset a commencé à planter des oliviers en bordure de vigne il y a une vingtaine d'années. © C. de Nadaillac

À chaque fois, il s’agit de semis locaux et spontanés récupérés au sein des parcelles ou à proximité, puis repiqués dans les zones choisies. À terme, l’objectif est de pouvoir valoriser certaines essences, telles que le saule avec l’eau de saule pour traiter la vigne, ou les oliviers dont l’huile est déjà commercialisée par le domaine. Les arbres ne sont pas traités, juste taillés une fois tous les deux ans. La récolte et le pressurage des olives sont quant à eux sous-traités à un moulin.

Triticale et pois fourrager pour couvrir le sol

Parallèlement aux arbres, Franck Mousset a misé sur les semis interlignes il y a une dizaine d’années. Au départ implantés un rang sur deux, ils occupent à présent tous les interrangs. « Au fil des campagnes, j’ai testé plein de mélanges, enseigne le vigneron. Certains marchaient sur les terrasses de galets roulés, d’autres sur les sols gravillonneux. Mais je voulais un seul mélange qui pousse bien partout. » Au final, c’est un mélange de triticale (70 %) et de pois fourrager (30 %) qui fonctionne le mieux. L’exploitation étant irriguée, la vigne ne souffre pas de cette concurrence, ce qui a permis à Franck Mousset de l’étendre à la totalité de ses parcelles, plantiers inclus.

Pour les deux viticulteurs, ce mode d’entretien du sol n’a que des avantages. « Nous n’avons plus de problèmes de lapins car ils préfèrent se nourrir de pois fourrager plutôt que de jeunes feuilles ou plants », note Thomas Mousset. De même, le taux de matière organique des sols est remonté d’environ 1 % en dix ans, ce qui limite les besoins de fumure exogène. « Nous n’apportons plus qu’un peu de fiente de poules », précise Franck Mousset. Et le nombre d’interventions dans la vigne a diminué car le père et le fils ne font que semer en post-vendanges et faucher à la fin du cycle des couverts. Il n’y a aucun travail du sol dans l’interrang, à part un sous-solage tous les deux à trois ans. Ce qui permet d’économiser des passages, du GNR et des tassements.

La présence de couverts favorise en outre une bonne portance, la vie du sol ainsi que la présence d’insectes, et étouffe bon an mal an les adventices les plus problématiques, telles que la mauve, la chondrille ou encore le chiendent. La présence de ce couvert n’est pas gênante lors de la campagne, les viticulteurs allant vers de moins en moins d’interventions. « Nous traitons tous les quatre rangs et rognons de moins en moins afin de laisser un maximum de végétation pour protéger les grappes », illustre Thomas Mousset. De même, le relevage se résume à quelques parcelles de syrah, de caladoc et de blanc, les autres étant menées en gobelet.

Bientôt des tests de thym sous le rang

Sur le cavaillon, le travail du sol, alternance de buttage et de binage, est encore de mise, mais peut-être plus pour longtemps. « Nous allons tester l’implantation de thym nain par hydromulching l’an prochain, confie Franck Mousset, dans l’objectif de ne plus avoir aucun travail du sol. » Des sauges sont déjà situées en bout de rang sur l’une des parcelles.

 

 
Sur l'une de leurs parcelles, les viticulteurs ont planté des sauges en bout de rang.
Sur l'une de leurs parcelles, les viticulteurs ont planté des sauges en bout de rang. © C. de Nadaillac

Autre pratique inspirée de la permaculture : les ouvrages hydrologiques. « Nous avions deux parcelles qui présentaient des zones fréquemment inondées, retrace Franck Mousset. L’objectif était de régler ce souci à la replantation. » La première parcelle avait un haut séchant et un bas limoneux, régulièrement sous l’eau. Le vigneron souhaitait éviter que l’eau ruisselle sur le bas de la parcelle et noie les pieds. Il a ainsi fait planter la parcelle en suivant les courbes de niveau (selon les principes de l’aménagement Keyline), ce qui permet de freiner l'écoulement de l'eau. Il a aussi fait réaliser un bassin de plus de 2 mètres de profondeur, sur environ 60 mètres de long et 3 mètres de large, afin de stocker l’eau lors des épisodes pluvieux. « Depuis, le bas de la parcelle n’est plus inondé, se réjouit Fanck Mousset. Sauf en 2018, car le bassin a débordé. Mais l’eau n’a noyé que quelques ceps autour. » Les courbes de niveau ne posent pas de problème particulier pour le travail dans les vignes. « J’ai les bineuses à l’avant pour le travail intercep, témoigne Thomas Mousset, donc cela ne me gêne pas. » Quant à la machine à vendanger ou au pulvérisateur, ils suivent les courbes de niveau sans souci.

Les noues et bassins favorisent l’implantation d’arbres

Sur la seconde parcelle concernée par des problèmes hydriques à cause d’un creux, le viticulteur a créé une noue d’1 mètre de profondeur, sur environ 3 mètres de large et 100 mètres de long. « Elle est munie d’un déversoir qui envoie le surplus du bassin vers un canal situé sur le bas-côté de la route », précise Franck Mousset. Cet ouvrage a lui aussi réglé le problème d’inondation et est en plus propice, tout comme le bassin, au développement des arbres.

Père et fils sont convaincus par ces pratiques. « Le but est d’être au plus proche de la nature, témoigne Thomas Mousset. D’aider les vignes à pousser sans détruire ce qu’il y a autour, voire même en le favorisant. Nous souhaitons avoir un environnement naturel. » « Cela me réjouit de voir la nature qui s’épanouit sur le domaine, pour nous, pour l’environnement », renchérit Franck Mousset. Cerise sur le gateau, il observe de moins en moins de ceps atteints par l’esca, sans pour autant s’en expliquer les raisons.

EN BREF

Clos Saint Michel

37,5 ha dont 14 en châteauneuf-du-pape, 20 en côtes-du-rhône et 3,5 en IGP

Encépagement grenache, syrah, mourvèdre, grenache blanc, clairette, bourboulenc, roussanne, carignan, marselan, caladoc, cinsault, marsanne

Dénominations AOC châteauneuf-du-pape et côtes-du-rhône, IGP méditerranée et principauté d’Orange, label bio

Types de sol galets roulés, calcaires urgoniens, gravillonneux

2 à 2,50 m d'interrang

5 salariés

40 hl/ha rendement moyen

Commercialisation 80 % à l’export aux Royaume-Uni et États-Unis

10 à 66 € départ caveau

Et ensuite ?

De nombreuses autres pratiques issues de la permaculture sont en réflexion, comme par exemple la diversité intra-espèce, via la sélection massale. « Nous songeons à implanter des porte-greffes puis à les greffer en place avec des sarments issus de beaux ceps à côté », cite Franck Mousset. Il souhaiterait également accueillir des ruches et disposer des nichoirs pour les chauves-souris. Son fils aimerait pour sa part tester l’implantation de blé dans l’interrang, afin de le vendre à un boulanger du coin pour son pain.

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