La conversion à la viticulture biologique doit s'anticiper sur tous les plans
La conversion au bio est plus ou moins facile et coûteuse en fonction des exploitations viticoles. Le passage à l’agriculture biologique doit s’anticiper, aussi bien d’un point de vue technique que commercial.
La conversion au bio est plus ou moins facile et coûteuse en fonction des exploitations viticoles. Le passage à l’agriculture biologique doit s’anticiper, aussi bien d’un point de vue technique que commercial.
Nombreux sont les viticulteurs qui hésitent à se convertir à l’agriculture biologique. La crainte d’une augmentation des coûts de production plane, la question de la valorisation se pose. « La conversion au bio n’est pas pertinente à tous les coups », lance d’entrée Julien Thiery, chef du service viticulture à la chambre d’agriculture des Pyrénées-Orientales. Dans son département, il a étudié la question en réalisant des audits de positionnement sur des exploitations. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le surcoût de production n’est pas très conséquent. L’ingénieur l’estime entre 200 et 300 euros par hectare. « Il y a certes plus de passages de tracteur en bio, mais il y a moins de coûts d’intrants, ce qui équilibre un peu la balance », constate-t-il.
Maintenir ses rendements, principal facteur de rentabilité en bio
En revanche, il y a une nette augmentation des temps de travaux, et des risques d’impasses en avril et mai, période où il faut gérer la fertilisation, le travail du sol et des traitements potentiellement plus fréquents. « Cela crée un effet seuil au-dessus duquel un viticulteur seul ne peut pas gérer – situé à 15-20 hectares dans notre département — là où un viticulteur en conventionnel peut en gérer 30 », explique Julien Thiery.
Concernant la conversion, et plus particulièrement en contexte de cave coopérative, le principal facteur de rentabilité est le niveau de rendement. « Sur une exploitation qui tourne à une quarantaine d’hectolitres à l’hectare, par exemple, on est sur un système qui s’équilibre financièrement, illustre le conseiller. En dessous, la conversion entraîne une baisse de revenus, et au-delà de 50 à 60 hectolitres à l’hectare, cela rapporte plus que le conventionnel. » Ces observations poussent Julien Thiery à dire que pour un coopérateur, la conversion en bio est plus intéressante lorsque l’on est dans un contexte de vignes irriguées ou bien en sols profonds, comme souvent en IGP.
La vigne et le viticulteur doivent prendre le temps de s'adapter
Anne Merot, chercheuse à l’Inrae de Bordeaux, s’est également penchée sur les facteurs de réussite d’une conversion à travers le projet Vibrato, qu’elle coordonne depuis son lancement en 2015. Pour elle, le véritable surcoût intervient lors de la première année de transition. « Cela est dû notamment à une baisse des rendements, qui peut atteindre 20 %, et une charge de travail qui augmente de 5 à 25 % », explique-t-elle. Mais les résultats du projet montrent également que la baisse de rendement n’est que temporaire, et que ces derniers retrouvent leurs niveaux initiaux dès la quatrième année. « C’est le temps pour que la vigne adapte son système racinaire au changement d’entretien du sol et pour que le viticulteur maîtrise les nouvelles pratiques de gestion des adventices, de protection phytosanitaire et de fertilisation », explique la chercheuse.
« La phase de conversion pénalise la rentabilité », confirme Olivier Gergaud, professeur d'économie à la Kedge business school, sur la base d'une étude réalisée avec les Vignerons Indépendants entre 2011 et 2016. Appelés à juger la performance commerciale et financière de leur exploitation, les vignerons bio la jugent meilleure que ceux en conventionnel, tandis que ceux en conversion la jugent moins bonne.
Le coût de la conversion peut varier du simple au double
Mais ici encore, les caractéristiques de l’exploitation ont un impact important sur le succès de la conversion. Cela change grandement si l’on doit modifier l’intégralité de ses pratiques ou si certaines sont déjà en place. Si, par exemple, l’investissement dans du matériel intercep a déjà été réalisé et le passage à la fertilisation organique effectué, les conséquences sur la performance de l’exploitation seront moindres.
Sur le plan technique, certains arrivent même à être stables dans les rendements et dans l’organisation du travail. « La conversion à l’agriculture biologique est donc quelque chose qui s’anticipe », assure Anne Merot. Avant de se lancer, il est important de réaliser un diagnostic initial. Dans le cas où l’entreprise a un peu de marge, le viticulteur peut tenter une conversion sans changer d’organisation. Mais si elle fonctionne à flux tendus, il est impératif de prendre des mesures pour compenser la hausse de travail. Cela peut passer par l’embauche d’une personne supplémentaire, ou bien par l’arrachage d’une ou deux parcelles parmi les plus difficiles à travailler. « Souvent les gens restent sur le même système de personnel et d’organisation, observe la chercheuse. C’est alors fatigant pour le viticulteur et dangereux pour l’entreprise. »
L’anticipation, c’est aussi le maître mot pour Adeline Ugaglia, maître de conférences en économie à Bordeaux Sciences Agro. Selon elle, la partie commerciale est souvent mal évaluée et pas assez prise en compte dans la réflexion. « Si vous voulez vendre un même vin mais plus cher car il est devenu bio, tous les clients ne suivront pas, relate Adeline Ugaglia. Il faut expliquer la démarche, ce qui prend du temps, et parfois trouver de nouveaux marchés. » Un travail chronophage qui peut lui aussi faire entrer dans un cercle vicieux : lorsque l’on prend du temps pour s’occuper des marchés, on est contraint de délaisser la partie technique et de s’exposer à des pertes de rendement. Et si l’on se concentre sur la gestion de l’herbe et de la protection phytosanitaire, on n’a pas le temps de dénicher de nouveaux clients, notamment en CHR, un débouché valorisant mais long à construire.
Réaliser un business plan avant de se lancer
Pour l’économiste, il s’agit donc de penser en amont à la stratégie commerciale. « Il faut se poser les questions de comment vais-je faire la valeur ajoutée, quelle est la chaîne de valeur, etc. », explique-t-elle. En somme, l’idée est de réaliser un véritable business plan, en allant sonder au préalable les clients et en se renseignant sur les débouchés. « La meilleure conversion est celle qui se fait dans le temps, et pas celle réalisée en trois ans à la suite d’un coup de tête », prévient Adeline Ugaglia.
Elle propose donc de se faire accompagner dès la phase du projet, par les syndicats du type Sudvinbio ou les Vignerons bio de Nouvelle-Aquitaine, ou bien encore par des conseillers indépendants. « Même s’il faut reconnaître que l’on manque d’offre d’accompagnement », regrette l’universitaire. Pour un coopérateur, la stratégie commerciale est déléguée mais les mêmes questions se posent. « Il existe de gros écarts de valorisation entre des caves coopératives proactives et celles qui sont moins investies », avertit Adeline Ugaglia. Car de nombreux volumes de vin bio sont vendus en conventionnels, faute de prospection suffisante. S’engager en agriculture biologique dans une coopérative où le bio est marginal est donc plus compliqué que dans une cave motrice, ayant une réelle politique sur le vin bio.
Consultez tous nos articles du dossier " Être ou ne pas être en bio " ici :
Avis d’expert : Nicolas Richarme, vigneron et président de Sudvinbio
Les difficultés rencontrées sont rarement insurmontables
"Le passage au bio est un projet stratégique d’entreprise qui suppose d’avoir une vision à dix ans voire plus. Les techniques à mettre en œuvre nécessitent un certain apprentissage notamment la suppression totale des herbicides qui conduit à réinvestir dans le travail du sol. Avant de se lancer, un vigneron doit se poser des questions : mes pratiques techniques sont-elles déjà proches du bio (travail du sol, usage de produits cupriques et de soufre, confusion sexuelle…) ? Quels investissements sont à prévoir en matériel, formation du personnel (traçabilité), voire en embauches ? Quel plan d’action mettre en œuvre ?
Certaines conversions peuvent être plus compliquées à gérer comme dans une cave coopérative (gestion du foncier, gestion de la mixité en cave) ou un grand domaine (conversion progressive du vignoble). Sur le plan économique, la situation est différente si les acheteurs habituels demandent déjà du bio ou s’il faut trouver les acheteurs.
En définitive, il peut y avoir des obstacles spécifiques à la conversion selon le climat, les terroirs, le positionnement commercial, la taille des entreprises et leur mode de fonctionnement, mais les difficultés rencontrées sont rarement insurmontables."