L’urine testée comme engrais pour les vignes
Basée à Montpellier, la start-up Ecosec cherche à valoriser l’urine recueillie dans les toilettes sèches qu’elle conçoit en tant que fertilisant. Des tests dans les vignes débutent pour évaluer le potentiel de cette fertilisation en économie circulaire innovante mais encore taboue.
Basée à Montpellier, la start-up Ecosec cherche à valoriser l’urine recueillie dans les toilettes sèches qu’elle conçoit en tant que fertilisant. Des tests dans les vignes débutent pour évaluer le potentiel de cette fertilisation en économie circulaire innovante mais encore taboue.
Depuis le printemps dernier, sur une petite parcelle de 3 375 m2 de vignes du domaine de la Jasse à Combaillaux dans l’Hérault, une expérimentation particulière a commencé. Elle consiste à tester la valorisation d’urine en tant que fertilisant pour la vigne. L’essai est initié par Ecosec, une jeune entreprise commercialisant des toilettes sèches innovantes avec séparation d’urine et de matière fécale à la source. L’entreprise montée en Scoop en 2014 à Montpellier, milite pour que nos déchets humains ne soient plus évacués avec de l’eau potable et mise sur leur valorisation agricole, notamment pour l’urine, un fertilisant naturel à disposition de tous. L’expérience est menée de concert avec l’agence de l’eau Méditerranée-Corse et l’Irstea (Institut de recherches en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture). Elle durera encore deux ans avant de révéler ses résultats.
Une source d’azote et de phosphore
« Chaque être humain produit annuellement, en moyenne, 5 kg d’azote et 500 g de phosphore dans ses urines… elles partent majoritairement vers les stations d’épuration, mélangées à tout le reste », explique Geoffrey Molle, responsable R & D chez Ecosec. Un phosphore et un azote précieux à la croissance végétale, mais aujourd’hui plutôt issus d’exploitations minières ou de l’exploitation pétrolière. « Il y a consensus sur le fait de récupérer le phosphore contenu dans nos effluents pour, d’une part, éviter la pollution des cours d’eau et des océans et, d’autre part, gérer au mieux les stocks de cet élément dont l’extraction et le conditionnement deviennent de plus en plus coûteux », écrit Renaud De Looze, pépiniériste et auteur de L’Urine, de l’or liquide au jardin (Édition de Terran, 2016).
Grâce à des goutte-à-goutte, à 30 cm du sol le long des rangées de vignes, l’urine est appliquée sous trois formes différentes : pure, sous forme de struvite, ou sous forme liquide après avoir été distillée/nitrifiée (procédé mis au point par l’entreprise suisse Eawag qui permet de stabiliser les nutriments, les concentrer et baisser le taux de nitrite). La struvite, c’est « un précipité naturel de l’urine qu’on obtient grâce à l’ajout de magnésium, cela donne une composition à 70 % de phosphore et 30 % d’azote », explique Geoffrey Molle. Pour la première année expérimentation, 4,5 m3 d’urine par hectare ont été injectés en fertirrigation, ce qui représente 30 unités d’azote. Un complément en phosphore et potassium a permis d’apporter respectivement 20 et 30 unités pour ces éléments.
Une innocuité pour le milieu prouvée
Alors que le vin dort encore en barriques, les premiers résultats semblent satisfaisants, puisque la récolte a été complète. Mais la prudence reste de mise : « il y a trois ans d’expérimentation, et il nous manque encore toute une batterie d’analyses sur les vins, le sol, les jus, pour avancer des conclusions ». Le responsable de recherche reste néanmoins optimiste : « l’urine n’est pas magique mais les différentes formes, pure ou en struvite, sont intéressantes si on veut plutôt enrichir en azote avant la floraison, ou plus de phosphore à un autre moment ». Le seul bémol, la présence naturelle de sel dans nos urines : « nous mangeons trop salé, la teneur élevée en chlorure de sodium finira peut-être par impacter la vie microbienne au bout de quelques années ». Mais selon la quantité et les conditions climatiques (risque plus élevé en milieu semi-aride), la teneur en sel n’est peut-être pas rédhibitoire.
Quant à un éventuel risque sanitaire, Ecosec avait déjà prouvé l’innocuité de la pratique pour le milieu (sol, plantes, nappes phréatiques) grâce à des tests de culture en bac hors-sols. « Nous suivons les préconisations de l’organisation mondiale de la santé (OMS), le stockage des urines se fait dans une cuve transparente pendant six mois, le pH devient très élevé, aucune bactérie ne peut survivre dans ce milieu ». Par mesure de sécurité supplémentaire, aucune urine n’est appliquée moins d’un mois avant la récolte.
Des contraintes techniques et sociétales à lever
Parmi les contraintes techniques, les goutte-à-goutte sont aujourd’hui nécessaires à l’application de l’urine dans les vignes pour rester en circuit fermé. Et plus sensibles à l’obstruction, par le phénomène de précipitation naturelle de l’urine. La question du transport se pose aussi, pour une application à grande échelle : comment acheminer des milliers de mètres cubes d’urine composée à 95 %, d’eau ? « Il faut qu’il y ait des solutions locales, un apport à moins de 40 kilomètres. Cela peut aussi permettre un apport d’eau recyclée dans les cultures », analyse Geoffrey Molle.
Le coût de cette pratique reste encore à évaluer : « difficile de parler de prix, l’urine est gratuite pour l’être humain, mais payante dans son traitement. Par exemple, 30 % du prix de l’eau potable vient en fait de la gestion des eaux usées. Il faut y voir un coût de dépollution bénéfique ». Travail en open data, pas de dépôts de brevets… l’objectif premier d’Ecosec n’est clairement pas lucratif. Pour développer leur business, l’entreprise espère plutôt faire reconnaître le principe de séparation des matières et leurs valorisations, au niveau réglementaire. « À la différence de nombreux pays scandinaves, l’utilisation de l’urine en tant qu’engrais est une pratique non reconnue en France et non cadrée réglementairement. Un vide qui nous freine », déplore Geoffrey Molle. Ecosec veut aussi faire avancer une pédagogie citoyenne encore trop absente : « il y a un verrou sociétal à faire sauter sur le tabou de la gestion de nos déchets humains ». À l’unisson d’autres partisans de la valorisation de déchets organiques en France, Ecosec espère voir les principes de séparation à la source (matière fécale et urine) et la valorisation agricole inscrits sur l’agenda législatif d’ici 2020.
Témoignage : Bruno Le Breton, domaine de la Jasse (BLB Vignobles)
" Valoriser les déchets humains est une solution éco-logique "
Pour Bruno Le Breton, « participer à l’aventure de l’urine dans les vignes » est une façon de faire progresser la politique globale de responsabilité sociale de son entreprise où il est à la fois vigneron, œnologue et négociant. Et de mettre sa pierre à l’édifice d’une recherche pour mieux consommer et lutter contre le réchauffement climatique. Valoriser les déchets humains est une solution éco-logique selon lui : « On utilise l’urine en agriculture depuis la nuit des temps. Pourquoi préférer dépenser de l’énergie à la traiter dans une station d’épuration, et ne rien en faire alors qu’elle est riche en minéraux ? ». Un manque d’avancée qu’il observe au niveau national : « en Espagne, il y a déjà des stations d’eau recyclée, d’autres pays sont bien plus en avance que nous ». Il estime que l’urine devra tout de même être complétée par d’autres apports : « le changement de fertilisation fait partie d’une réflexion globale, d’un apport organique associé à des engrais minéraux, comme l’urine, mais aussi l’utilisation des engrais verts ».