Le robot, une autre façon de travailler ses vignes
Comment intégrer un ou des robots sur son domaine ? C’est la question que le groupe Moët Hennessy a étudiée en déployant des engins sur plusieurs de ses domaines. Voici quatre enseignements qui en ressortent.
« La robotique nous tient à cœur depuis longtemps, débute Joseph Malfait, senior wine buyer, material & innovation CPL chez Moët Hennessy. Les vignes étroites et basses sont difficiles à travailler, les robotiser n’est que poursuivre leur mécanisation. » Depuis 2016, le groupe s’est donc emparé de cette thématique, dans la triple optique de sécuriser le personnel, de limiter l’impact sur l’environnement (moins de tassements, énergie renouvelable) et de collecter de la data en vue d’améliorer les prises de décision (moins de produits phytos notamment).
Avant de mettre un pied dedans, la maison a dressé un cahier des charges. « À chaque fois, nous avons choisi un constructeur pour répondre à une impasse technique donnée, indique Joseph Malfait. En Champagne, nous voulions par exemple que le robot puisse évoluer dans des parcelles de fortes pentes, glissantes et avec des dévers, lors des traitements. Jusqu’alors, nous nous l’interdisions pour nos salariés pour des questions de sécurité. » En 2017, l’entreprise a donc démarré un codéveloppement avec Yanmar et son robot Y01. Elle a aussi commencé à travailler sur le Ted en Charente et quelque temps plus tard, les domaines champenois ont accueilli un Jo pour griffer l’interrang. De ces différentes campagnes de test, le groupe Moët Hennessy a tiré des enseignements.1 Arpenter son exploitation dans les moindres recoins
Tout d’abord, un bon arpentage est indispensable. Il faut délimiter les voies de passage, les zones d’action, les tournières ; le tout avec un RTK centimétrique. « Naïo avait de l’avance à ce niveau-là, estime Joseph Malfait. Mais Vitibot l’a rattrapé et Yanmar a également développé son système. »
2 Prendre toute la mesure de la logistique nécessaire
Seconde clé de réussite : la logistique. Avant de s’équiper, il faut bien réfléchir au mode de transport du robot à la parcelle, à la logistique de l’eau et avoir toujours des pièces de rechange pour réparer le robot ou les outils. « Il faut aussi bien étudier le temps de charge si le mode de propulsion est électrique, ou songer au carburant s’il est thermique », pointe le responsable.
Par exemple, pour déplacer le robot Yanmar, le groupe a opté pour un pose-à-terre avec ridelles. Une cuve de récupération de 450 litres d’un vieux pulvérisateur avec agitateur est venue compléter l’ensemble, connectée à une petite pompe qui se branche sur l’hydraulique du tracteur. La personne en charge de la surveillance du robot peut ainsi recharger deux fois par demi-journée la cuve du robot Yanmar, cette dernière ayant une capacité de 200 litres.Cette année, le pose-à-terre recevra également une petite cuve à eau et un surpresseur afin de pouvoir effectuer le lavage à la parcelle. Le robot est ramené à l’atelier au déjeuner pour des questions de sécurité. La recharge du Jo via les bornes se fait uniquement le soir, l’autonomie du robot étant bonne.3 Intégrer cet outil dans l’organisation du travail
Troisième point et non des moindres : l’intégration à l’organisation du travail et l’acceptation sociale. « Le débit de chantier d’un robot est moindre que celui d’un tracteur, prévient Joseph Malfait. Il faut réfléchir à une coactivité comme le relevage, le palissage et coordonner les deux. » La topologie et la disposition des parcelles impliquent également des contraintes. « Sur certaines parcelles complexes, nous avons besoin de deux personnes pour surveiller le robot : une en bas et une en haut, explique-t-il, car il n’y a aucune visibilité. » Un opérateur peut en revanche surveiller deux robots dans la même parcelle, occupés à deux tâches différentes comme des traitements et du travail du sol. « Cela se gère bien car on définit leurs trajets », précise Joseph Malfait, qui ajoute que le travail en essaim est en réflexion.
Travailler avec ce type d’outil permet de recruter des personnes plus polyvalentes, avec un profil plus large que celui d’un tractoriste. Ce poste peut être occupé par des salariés avec des problèmes de santé (douleurs de dos par exemple), des jeunes, etc. « Cela a élargi le panel de recrutement », constate l’acheteur.
4 Accepter un équilibre financier différent
Dernier enseignement : l’équilibre financier est lui aussi différent de celui d’un tracteur. « Aujourd’hui, la robotique n’est pas rentable, mais elle permet de faire des choses que la mécanique classique ne peut pas faire, observe Joseph Malfait. On peut en plus capter de la data, afin de diminuer les IFT par exemple. » Il souligne par ailleurs que travailler avec ce type d’engin procure d’autres avantages dont la rentabilité est difficile à estimer, notamment la faible compaction des sols, l’appareil pesant moins d’une tonne. « Cela facilite par exemple l’implantation de jeunes vignes, puisqu’on n’abîme pas l’enracinement en profondeur, note-t-il. Nous avons moins de mortalité des plants. » Autre atout de poids : les robots permettent de diminuer l’impact carbone. Les véhicules étant moins gros, ils consomment moins. En outre, certains peuvent être alimentés via des énergies renouvelables et ne rejettent pas de gaz à effet de serre.
Dans le détail, le robot de Yanmar traite au maximum 4,80 hectares sur deux jours, soit l’équivalent de 2,40 hectares par journée de 8 heures, contre 4 hectares par heure à l’enjambeur. Le temps de transport du robot est en effet de l’ordre d’une heure trente par jour, puisqu’il faut effectuer deux allers-retours quotidiens entre le garage et la parcelle. « Le transport coûte le quart du prix du robot », analyse l’acheteur. Il faut installer le robot sur le pose-à-terre, le sangler. Une fois sur la parcelle, l’opérateur doit le dessangler, le descendre puis démarrer l’application. Sans compter les 30 000 euros qu’il a fallu débourser pour l’achat du pose-à-terre.En revanche, les coûts d’entretien sont quasi inexistants et la vétusté très faible, du fait des mises à jour permanentes effectuées par les constructeurs sur le soft. Les batteries sont vendues pour environ 2 000 jours de travail ce qui laisse une bonne marge d’utilisation.
« La technologie évoluant rapidement, la durée d’amortissement est un paramètre qui reste à définir, sachant que nous avons de nombreuses options d’optimisation avec les travaux en hiver comme la prétaille », prévoit-il. À terme, le groupe souhaite robotiser tous les îlots complexes, avec prétaillage, travail du sol, traitements et rognage en autonomie.
Les coûts d’entretien sont quasi inexistants et la vétusté très faible, du fait des mises à jour effectuées par les constructeurs
Bien réfléchir avant de se lancer
« L’itinéraire technique avec un robot doit être réfléchi dans sa globalité », a planté Matthias Carrière, directeur commercial de Naïo Technologies, lors d’une conférence de presse dédiée à la robotique durant le Sitevi. Selon lui, il ne peut être question de réaliser un copier-coller d’un travail effectué au tracteur. Des propos confirmés par Christophe Gaviglio, ingénieur spécialisé en agroéquipements à l’IFV Occitanie, qui a pointé le fait qu’il s’agit d’un véritable « changement organisationnel ». Un changement qui apporte de l’attractivité au métier même s’il n’est pas encore financièrement rentable, la capacité de travail des robots étant moindre que celle des tracteurs. « Mais cela libère du temps et ne provoque pas de tension des cervicales », a insisté l’ingénieur en précisant que les bénéfices induits se comptent aussi en termes d’image, de bruit ou encore de tassements.
La présence de capteurs pouvant collecter de la data est un autre avantage de ces outils. « Mais attention, prévient Christophe Gaviglio, il faut qu’une personne dans l’entreprise soit en mesure d’analyser ces données collectées et de décider ce qu’il convient d’en faire. Il faut avoir le temps et les moyens de valoriser ces informations. »