« La réponse européenne en urgence face au Covid a été une flexibilisation »
Plan de relance européen post Covid-19, impact de la taxe Trump, nouvelle PAC, Green deal… les sujets européens ne manquent pas. Nous avons fait le point avec Irène Tolleret, député européenne LREM (1) et vigneronne au Pic-Saint-Loup, dans l’Hérault.
Plan de relance européen post Covid-19, impact de la taxe Trump, nouvelle PAC, Green deal… les sujets européens ne manquent pas. Nous avons fait le point avec Irène Tolleret, député européenne LREM (1) et vigneronne au Pic-Saint-Loup, dans l’Hérault.
Lors d’une visioconférence avec l’Association des journalistes agricoles en avril dernier, vous estimiez que le marché du vin était totalement européen et que les mesures d’urgence face à la crise du Covid-19 devaient être européennes. Quel est votre regard sur les réponses apportées à ce jour ?
Irène Tolleret - Les mécanismes européens ont été mis en place rapidement. L’acte délégué pour la distillation de crise a été opérationnel début mai. Un troisième acte délégué est sorti début juillet. Il y a eu une volonté de la Commission européenne d’écouter les filières et d’avancer le plus vite possible. En revanche, et ce n’est pas spécifique à la viticulture, pour 2020, la commission n’a pas mis d’argent supplémentaire, ou très peu, en disant aux Etats membres de se débrouiller avec leurs dotations de subventions européennes ou de financer en créant du déficit. Et ça n’est pas satisfaisant.
Peut-on s'attendre à des prolongements ?
I.T. - Le plan de relance, prévu à partir de l’année prochaine, est quelque chose de temporaire mais de très important. On sait déjà que 15 milliards d’euros (voir encadré) pourraient aider au développement rural. Mais beaucoup de points sont encore en discussion. Par ailleurs, la commission européenne va faire une évaluation de la situation pour décider à la rentrée du prolongement ou non pour 2021 des mesures qui ont été prises sur les vendanges en vert, le stockage privé et la distillation.
Qu’est-ce qui a été obtenu pour l’instant ?
I.T. - Le Brexit, puis la crise Covid ont permis de prendre conscience que si l’on souhaitait une Europe plus efficace, plus solidaire, plus dans l’action, il fallait aussi qu’au sein des députés, on travaille différemment avec la Commission européenne et avec le Conseil européen. Alors depuis début mars, on est dans le dialogue. La réponse en urgence face au Covid a été une flexibilisation sur tout ce qui existait. On a par exemple flexibilisé 2 % du Feader, ce qui permet de faire des aides directes sans conditions, jusqu’à 7 000 euros par agriculteur. J’ai aussi été à l’initiative d’un courrier cosigné par une soixantaine de parlementaires pour obtenir que les 15 milliards du plan de relance, on les ait au 1er janvier 2021 et non pas au 1er janvier 2023.
Comment faire pour que cette flexibilisation soit ressentie sur le terrain ?
I.T. - Je pense que la simplification administrative des fonds européens c’est quelque chose que nous devons obtenir. La meilleure façon de l’obtenir, c’est de simplifier du côté européen et de vérifier qu’en France on ne complique pas par-dessus. Il faut suivre l’application des choses jusqu’au bout pour que le texte européen avec ses contraintes soit suffisamment compris afin qu’on n’en rajoute pas tout au long de la chaîne.
Pour compenser l’impact de la taxe Trump, la filière viticole demande depuis des mois un fonds au niveau européen. Pourquoi ça n’a pas abouti ?
I.T. - Je m’étais mobilisée avec tous les élus de l’intergroupe pour demander un plan d’accompagnement. Mais le Covid a coupé le sujet. Au début, nos interlocuteurs à la Commission étaient surtout sur une analyse de l’impact en volume. Il a fallu expliquer qu’à court terme ça peut être trompeur, car les États-Unis sont une destination où les vins sont bien valorisés, donc on peut garder un volume ou en perdre 50 % mais perdre bien davantage en marge. Ma méthode de travail a été de discuter avec les représentants de la filière vin française. Leur priorité immédiate était qu’il n’y ait pas de pénalités sur les dossiers de promotion pays tiers engagés. Nous sommes donc montés au créneau auprès de la Commission qui n’avait pas conscience du problème. Le travail que j’ai initié avec mon équipe, en lien avec la filière a permis une flexibilisation.
Comment s’annonce la concrétisation du Green deal qui fixe des objectifs environnementaux ambitieux, notamment une réduction de « 50 % de l’usage et des risques de pesticides chimiques d’ici 2030 » ?
I.T. - Il faut qu’on soit dans le dialogue. Moi je suis le porte-parole de la filière là-dessus. Il faut expliquer ce qui est déjà fait aujourd’hui car ceux qui sont sur ces sujets au sein du Parlement européen sont plutôt des gens qui travaillent sur l’environnement. Et certains ont encore un tout petit peu l’impression que l’agriculture est toujours au temps du Moyen-Âge. Il faut parler des certiphytos, du travail qui est déjà fait sur la biodiversité. Il faut aussi poser les questions sur les herbicides de substitution, sur les quantités utilisées, la nocivité et l’impact sur le prix final du produit des solutions non-chimiques.
Comment préparez-vous les futurs débats sur le sujet au sein de votre groupe parlementaire ?
I.T. - On a fait une première réunion virtuelle sur les pesticides en parallèle de la Comagri. Nous y avons entendu le professeur Charles Sultan (médecin spécialiste des effets des pesticides sur le corps humain et des perturbateurs endocriniens - NDLR). Il s'agit de bien comprendre de quoi on parle. À la rentrée on va avoir une nouvelle réunion pour évoquer des solutions, car il y a, mais encore faut-il les autoriser et les financer. Pour l’agriculture de précision, des questions se posent sur la propriété des données ou sur la reconnaissance de certains drones comme matériel agricole. Le plan de relance européen dit bien que le but est d’avoir une Union européenne plus verte et plus durable dans ses pratiques et qu’il faut aller chercher les emplois autour de cette durabilité. Typiquement pour moi, l’agriculture de précision devrait être financée et accompagnée par le plan de relance européen et dès 2021.
Au sein du Parlement européen, la commission Agriculture et la commission Environnement ont des visions très divergentes. Sont-elles conciliables ?
I.T. - Il y a beaucoup de caricatures dans les deux sens. Je n’ai jamais vu la commission Environnement dire autre chose qu’il faut interdire tel ou tel pesticide qu’il y ait des chiffres ou pas. Il ne s’agit pas de dire que les pesticides sont bons pour la santé, c’est mauvais. Mais si on remplace un pesticide à petite dose par un pesticide qu’on met plus et plus souvent, est-ce mieux ? Les riverains vont avoir l’impression que les agriculteurs en mettent plus. Il faut avoir cette discussion. Et raisonner aussi par familles de pesticides et sur la base d’études sérieuses. Je suis en train de travailler à la position de notre délégation et de notre groupe sur les pesticides pour qu’on sache raison garder. Quand on autorise ou en supprime un pesticide, on n’a aucune analyse aujourd’hui sur les produits de substitution. C’est surréaliste. C’est un sujet que je remettrai sur la table. Il y a des pesticides qui sont là pour avoir une production saine et marchande. Si on veut s’en passer, il faut autoriser des techniques pour développer plus rapidement les alternatives, par exemple les cépages résistants.
PAC, plan de relance et Green deal
Le 27 mai, la Commission européenne annonçait les grandes lignes d’un plan de relance européen de 750 milliards d’euros répartis entre prêts et subventions. Il prévoyait une enveloppe de 15 milliards d’euros dédiée au développement rural, qui devait compenser en partie la baisse initialement prévue du budget de la PAC 2021-2027. Le 21 juillet, lorsque les chefs des États membres et l’exécutif de l’Union européenne (UE) ont trouvé un accord sur le plan de relance et le budget européen, cette enveloppe est tombée à 7,5 milliards d’euros. Elle s’ajoute au budget de 336,44 milliards prévu pour la nouvelle PAC. Le budget PAC de la France devrait être de 62,4 milliards d’euros, stable par rapport au budget précédent.
La stratégie de croissance de l’Union européenne est désormais guidée par le Green deal ou pacte vert, feuille de route annoncée en décembre 2019, avec pour objectif que l’UE soit « climatiquement neutre » en 2050. Elle se décline notamment à travers les stratégies « de la Ferme à la table » et Biodiversité 2030. Les discussions débutent entre le Parlement européen et le conseil européen sur la PAC 2021-2027 et le plan de relance. L’Allemagne, qui dirige actuellement le conseil européen, veut atteindre un accord sur la PAC d’ici octobre. Le 2 septembre se réunit la commission de l’Agriculture du Parlement européen et le 7 septembre, un comité spécial Agriculture. Le prochain conseil agriculture de l’UE se tiendra les 21 et 22 septembre.
La Commission européenne pas pressée d’aider
Dans une lettre adressée le 24 juillet dernier à Irène Tolleret, Janusz Wojciechowski, le commissaire européen à l’Agriculture, a repoussé une nouvelle fois l’idée d’un fonds de soutien européen spécifique au secteur vitivinicole, rapporte la lettre Agra Europe du 3 août 2020. Il avait pourtant reconnu devant les ministres de l’Agriculture des 27 pays membres le 20 juillet « un grave déséquilibre sur le marché vitivinicole européen, avec des répercussions négatives sur les moyens de subsistance des producteurs de vin et sur l’ensemble de l’économie du secteur », causé par l’impact du Covid-19 et la taxe Trump. Il a promis de « réévaluer la situation en septembre, une fois que les mesures de crise adoptées auront montré leurs effets et que les nouvelles données sur les récoltes seront disponibles ».