Controverses de l’agriculture et de l’alimentation
« Il va falloir démondialiser l’agriculture » selon Jean-Marc Jancovici
Face aux défis qui attendent l’agriculture, une forme de protectionnisme sera nécessaire selon l’ingénieur consultant en énergie et climat qui introduisait le 14 février les controverses de l’agriculture et de l’alimentation organisées par le groupe Réussir-Agra à Paris.
Face aux défis qui attendent l’agriculture, une forme de protectionnisme sera nécessaire selon l’ingénieur consultant en énergie et climat qui introduisait le 14 février les controverses de l’agriculture et de l’alimentation organisées par le groupe Réussir-Agra à Paris.
« Aujourd’hui on met l’agriculture dans une quadrature du cercle, on ne peut pas dire « faites mieux et moins cher ». On va devoir démondialiser l’agriculture, aller vers un encadrement des prix, on va revenir à une forme de protectionnisme. Il va falloir accepter de payer la contrepartie des modifications de cahier des charges que la collectivité demande aux agriculteurs », ainsi s’est exprimé Jean-Marc Jancovici, ingénieur consultant en énergie et climat, fondateur The Shift Project, invité comme grand témoin aux Controverses de l’agriculture et de l’alimentation, organisées le 14 février par le groupe Réussir/Agra que la question de la transition agroécologique.
On va revenir à une forme de protectionnisme
« Le marché n'est pas fait pour faire des prédictions à 30 ans. Si je veux des alouettes des champs, je dois payer pour. Et je ne peux pas le faire dans un marché ouvert, il faut des garanties de revenu », a-t-il encore lancé à l’issue d’une intervention titrée « comment écologiser l’agriculture ».
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Une agriculture très dépendante aux hydrocarbures
« Ce que vous avez mangé à midi c’est essentiellement du charbon, du pétrole, du gaz et des machines. Vous avez mangé des tracteurs, un bout de plateforme gazière, un bout de plateforme pétrolière. Vous avez mangé de grosses usines qui servent à raffiner le pétrole et des usines d’engrais, un bout de mine de potasse et de mine de phosphore…, des rames de trains, des machines agroalimentaires, du verre et du plastique d’emballages, du camion et des machines à chauffer, à refroidir » ainsi Jean-Marc Jancovici a d’entrée de jeu interpellé son auditoire, rappelant la dépendance de l’agriculture française aux hydrocarbures et à la chimie.
Ce que vous avez mangé à midi c’est essentiellement du charbon, du pétrole, du gaz et des machines
Sans eux, le rendement du blé à l’hectare serait le même en France que celui du Burundi.
Evolution comparée du rendement de blé entre la France et le Burundi
Source : Carbone 4
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Le consultant en énergie le rappelle souvent : « l’agriculture est extrêmement dépendante des combustibles fossiles. Dépendante dans l’exploitation, à l’amont pour fertilisants, à l’aval pour la transformation et l’envoi aux industries agroalimentaires ».
Aujourd’hui l’alimentation ne coûte rien
Une dépendance qui a permis de diviser par deux le coût de l’alimentation et même pas trente le coût de la viande. « Les gens ne se rendent pas compte de l’extraordinaire baisse des prix des aliments en un siècle. Aujourd’hui l’alimentation ne coûte rien ! », rappelle Jean-Marc Jancovici.
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Deux défis majeurs à surmonter pour l’agriculture
Mais l’agriculture se retrouve aujourd’hui face à des défis majeurs : le défi climatique et la dépendance aux hydrocarbures.
Sur le plan climatique, l’agriculture va devoir réduire ses émissions de gaz à effet de serre qui représentent un quart de l’empreinte carbone d’un Français (avec la viande en premier poste et les boissons en second, souligne l’ingénieur) et près d’un tiers des émissions globales en prenant en compte la déforestation et faire face aux conséquences du changement climatique (avec notamment un asséchement des sols, l’impossibilité de sortir dans les champs dans les zones équatoriales et la multiplication d’agents pathogènes).
Concernant les hydrocarbures, selon une projection du Shift Project, l’Union européenne qui importe 98,5% du pétrole qu’elle utilise pourrait voir ses ressources extérieures divisées par deux à l’horizon 2050. « Il faut s’y préparer quoi que l’on pense de la question climatique. Pour le gaz ce sera la même chose avec dix ans de décalage », estime Jean-Marc Jancovici.
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« Il y a urgence à donner le bon cahier des charges à l’Inrae », selon Jean-Marc Jancovici
Face à ces problématiques, le consommateur va sûrement être amené à payer plus cher son alimentation, prévient l’ingénieur. Il aussi urgence selon lui à « donner le bon cahier des charges à l’Inrae », pour que la recherche et l’innovation accélèrent dans le bon sens.
« Ca va demander plusieurs générations de réorienter le système avec des craquements car on a déjà raté des trains. Le climat va dériver pendant des siècles. Il faut une forme de stabilité du côté du pouvoir politique », estime encore Jean-Marc Jancovici.