Faut-il planter du blanc ?
Des stocks à la propriété au plus bas depuis cinq ans, des cours attractifs et une demande en hausse. Le tableau est plus que favorable au blanc. Mais faut-il pour autant en planter ? Ce n’est pas si sûr.
Des stocks à la propriété au plus bas depuis cinq ans, des cours attractifs et une demande en hausse. Le tableau est plus que favorable au blanc. Mais faut-il pour autant en planter ? Ce n’est pas si sûr.
C’est un fait. Les stocks de blancs à la propriété n’ont jamais été aussi bas. Et cette érosion concerne toutes les catégories. Selon les chiffres des Douanes, les AOP ont perdu environ 20 % en cinq ans, les IGP 7 %, et les sans IG 53 %. Soit une baisse de 21 % toutes catégories confondues. Dans le même temps, la demande intérieure pour ces produits augmente. Selon FranceAgriMer, en 2014, la grande distribution a écoulé 192 000 hectolitres de plus qu’en 2010. Conséquence logique : les cours des blancs s’envolent. Sur les 35 premières semaines de la campagne 2014-2015, les IGP avec mention de cépage s’échangeaient en moyenne à 106,05 euros l’hecto, contre 92,58 lors de la campagne précédente et environ 90 euros l’hecto pour le rouge et le rosé. La hausse des prix du blanc se retrouve sur les autres segments de marché : + 10 % pour les sans IG (+ 11 % avec cépage, + 7 % sans cépage), + 7 % pour les IGP sans mention de cépage, hausse sur les vracs des AOC Bordeaux blanc, Alsace ou encore Val de Loire. Mais faut-il pour autant planter du blanc en France ?
La réponse varie selon les régions et les cépages. Dans le Midi, nombreux sont les viticulteurs attirés par les cours fort alléchants. « Il y a en effet une progression des surfaces en blanc, note Jacques Gravegeal, président des vins de pays d’Oc. Cela se fait naturellement car les cours sont attractifs. Mais il faut faire attention à ne pas trop planter, ce qui ferait effondrer les cours. » Et de prévenir : « Je me souviens de l’époque où le chardonnay se vendait 14 francs l’hecto. » Pour lui, la région n’est pas en sous-production de blanc. Il est en revanche plus inquiet pour le rouge. « Le merlot et le cabernet sauvignon, plantés pour produire du rouge, se retrouvent utilisés pour faire du rosé. Car il ne faut pas oublier que nous sommes la première région de production de rosé de France. » D’où une raréfaction de l’offre en rouge. Raréfaction plus prononcée sur cabernet sauvignon, cépage que les producteurs rechignent de plus en plus à planter de fait de son taux de mortalité important. « Or, c’est le cépage le plus demandé au niveau mondial, rappelle Jacques Gravegeal. Nous aimerions encourager sa plantation. »
Essor du crémant à base de blanc dans le Bordelais
Dans le Bordelais, la modération est encore plus de mise ; les producteurs sont échaudés. Tous gardent en mémoire la grosse crise traversée par le blanc dans les années quatre-vingt, et les arrachages massifs qui s’en sont suivis. Ils comptent bien ne pas réitérer l’expérience. On assiste donc à de légères plantations, « mais la hausse reste prudente et modérée », souligne Bernard Farges, président du Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB). Il ne s’agit en effet que d’une centaine d’hectares par an, sur les 10 000 de blanc que compte la région. Mais une autre tendance se dessine, qui pourrait bien booster, à moyen terme, les plantations de blanc. Même si elle reste encore anecdotique, la production de crémant est actuellement en plein essor. Les volumes d’effervescents ont bondi de 50 % en 2014, pour représenter 32 000 hectolitres. Et les blancs (essentiellement à base de sémillon) représentent la majorité du segment, avec 24 000 hectolitres, contre 8 000 hectolitres pour les rosés. « Les crémants représentent une diversification de gamme pour nombre de viticulteurs », poursuit Bernard Farges. Par ailleurs, une cave coopérative et un négociant, les Grands Chais de France, misent sur ce marché. La surproduction ne guette néanmoins pas la région, ce créneau ne représentant que 0,6 % de la production bordelaise.
Touraine et côtes-du-rhône misent sur le blanc
En Val de Loire, la situation est mitigée. Si le Muscadet est toujours en surproduction de blanc et arrache, d’autres vignobles investissent massivement sur cette couleur. C’est notamment le cas de la Touraine, qui est passée d’une production annuelle de blanc de 94 950 hectos en 2012, à 156 522 hectos en 2014. Et ce, à la faveur des plans de restructuration. "Il s’agit d’une stratégie du syndicat, indique Anne Petitot, directrice du syndicat Touraine. Les vignerons ont senti que les cours augmentaient et ont décidé de pousser à la plantation de sauvignon." Ce dernier s’échange en effet à plus de 200 euros l’hecto. Il y a une vraie tension sur ce marché. Le syndicat n’est pas inquiet d’une surproduction potentielle. "Il y a une énorme demande à l’export, argue la directrice. Malgré la hausse de la production en blanc, nous n’avons toujours pas assez de volumes pour avoir accès à certains marchés export."
Même topo en côtes-du-rhône. Sur incitation de leur syndicat, les côtes-du-rhône et côtes-du-rhône village ont profité des plans de restructuration en cours depuis 2009 pour planter du blanc, afin de diversifier leur production. Résultat, la région pense doubler ses volumes de blanc d’ici à 2017 pour atteindre les 100 000 à 120 000 hectolitres. Et elle est déjà passée de 60 à un peu plus de 80 000 hectolitres en 2014. Au total, les surfaces en blanc des deux appellations sont passées de 1 530 hectares en 2012 à 1 830 en 2014. Mais la région ne craint pas une surproduction. Au contraire. "Cela va nous permettre de mettre en place des références blanches et d’attaquer les marchés", analyse Philippe Pellaton, président du syndicat, qui planche tout de même sur la contractualisation avec le négoce, histoire de se prémunir de tout retournement de marché.
Au global, si l’on se réfère aux statistiques établies par FranceAgriMer, les plantations de blancs sont bel et bien engagées depuis plusieurs années. Sur les dix principaux cépages blancs, la surface a augmenté de 10 000 hectares en sept ans. On assiste à la montée en puissance de cépages tels que le chardonnay (+ 12 % en 2014 par rapport à 2007), le sauvignon (+ 17 % sur la même période), le colombard (+ 19 %), mais aussi et surtout le viognier, qui enregistre la plus grosse progression nationale avec + 68 % en sept ans, et le grenache blanc, à + 10 %. Ces volumes seront-ils suffisants ou au contraire trop importants pour le marché ? Seul l’avenir nous le dira.