Crise viticole : d’autres mesures de soutien sont attendues
Pour résoudre la crise qui secoue la filière viticole, l’arrachage dans le Bordelais et la distillation au plan national sont lancés. Mais d’autres mesures sont réclamées face à l’ampleur des difficultés.
Pour résoudre la crise qui secoue la filière viticole, l’arrachage dans le Bordelais et la distillation au plan national sont lancés. Mais d’autres mesures sont réclamées face à l’ampleur des difficultés.
Le plan de crise, et après ? Dès le 20 juillet, la Confédération des vins IGP appelait à la mise en place de mesures très rapidement. « Sans cela, c’est toute une filière déjà fortement fragilisée qui risque de s’effondrer », s’alarmait-elle. « L’immobilisme ne sera pas toléré », concluait de son côté le communiqué publié le 24 août par les Vignerons coopérateurs Occitanie. « La situation se crispe, résume Valérie Bastoul, directrice des Vignerons coopérateurs Occitanie. On est au bord de la rupture, les exploitations et les coopératives ont besoin d’être entendues et soutenues. »
L’inflation aggrave les difficultés commerciales
Sur le plan commercial, les derniers chiffres communiqués par FranceAgriMer ne vont pas rassurer. Sur les six premiers mois de l’année, les exportations françaises de vin se replient en volume de 6 % par rapport à 2022. La valeur totale exportée progresse toutefois de 3 %.
« L’inflation semble toujours perturber de nombreux marchés », commente FranceAgriMer. Pas non plus d’éclaircie dans les rayons vins de grande distribution. Les ventes sur la période janvier à mi-août sont à – 10 % en volume et à - 2 % en valeur par rapport à la moyenne 2020-2022. À plus long terme, sur la base d’une étude prospective, le Cniv estime que d’ici douze ans, le marché français va perdre entre 4,5 millions d’hectolitres (Mhl) et 6,4 Mhl du fait de l’évolution démographique et des modes de vie.
« L’avenir dans un contexte aux contraintes multiples et fortes va nécessiter un accompagnement particulier de la filière vin, oui, abonde Jean-Marie Fabre, président des Vignerons indépendants. Non pas parce que la viticulture doit vivre d’aides, mais parce qu’elle traverse une étape charnière alors qu’elle reste le secteur numéro 2 de notre économie à l’export. » Et de rappeler aussi son apport en emplois et TVA. « Plus largement c’est nous qui allons nous remettre en question », lance Christophe Bou, secrétaire général de Vins IGP.
Mieux ajuster l’offre à la demande des marchés
Alors que faire ? Le recalibrage de l’offre s’inscrit parmi les priorités. En tête des mesures espérées par les Vignerons coopérateurs Occitanie figure « une flexibilité réglementaire pour permettre de soutenir les travaux d’arrachage via une prime spécifique liée aux coûts de ces mêmes travaux ». Avec en parallèle une augmentation des durées des autorisations de plantations pour faire des choix de restructuration plus en lien avec le marché. Est aussi demandée « une mesure sociale adaptée » pour « accompagner dignement » les vignerons contraints d’arrêter leur activité.
Vins IGP aborde aussi « l’accompagnement vers une sortie du métier grâce à des mesures sociales » pour que « ceux dont les produits répondent aux demandes des marchés puissent vivre dignement de leurs productions ». La confédération relie cette mesure à une analyse des demandes de distillation. « Il est important de voir quels types de vins, quels opérateurs viennent à la distillation pour identifier les bassins en souffrance et les problématiques à résoudre », plaide Christophe Bou. Vins IGP estime aussi que chaque interprofession doit mettre en place un outil de régulation prenant en compte les marchés à venir, pour éviter « le déversement d’un segment vers l’autre », cause de perte de valeur.
Une réflexion à poursuivre sur l’arrachage
« À Bordeaux, le recalibrage de l’offre était une évidence. Ça n’a pas été simple à mettre en place mais ça a touché sa cible. Est-ce suffisant dans le temps ? Pas sûr », développe Jean-Marie Fabre. Comme d’autres dans la filière, il milite pour continuer à se poser la question du périmètre de notre outil de production. « Pour moi, l’arrachage n’est pas un tabou, affirme-t-il. 90 % du vignoble se porte bien mais 10 % de la production n’est pas en corrélation avec la demande. On est sur une inadéquation offre-demande pour les vins rouges. Ça pèse sur leur valeur globale. » « L’arrachage est une décision difficile. À chaque bassin d’aller chercher des outils locaux, nationaux ou européens », suggère Bernard Farges, président du Cniv. En parallèle, la mise en place de réserves climatiques doit se généraliser pour parer aux années avec aléas.
Investir dans la protection face au changement climatique
Le changement climatique impose une nouvelle approche. « L’aléa est devenu la norme. Le changement climatique met à mal la pérennité de nos entreprises », martèle Jean-Marie Fabre. Il appelle donc à un « plan Marshall » d’investissements pour la protection du vignoble. « Si l’impact d’un aléa sur ma production se réduit à 20 à 25 % au lieu de 60 % ou 100 % c’est déjà beaucoup mieux et l’outil assurantiel pourra être plus efficace », illustre-t-il. En l’absence de cet investissement, « l’État va devoir mettre la main à la poche en permanence. Ça ne serait pas visionnaire », plaide-t-il.
Quelle enveloppe serait nécessaire ? Partant du constat que le gel 2021 a amputé la filière de 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires, il estime qu’un investissement annuel de 1 milliard par an sur trois ou quatre ans pourrait s’envisager. Pour rappel, 1 milliard d’euros (dont 80 % pour la viticulture) avaient été consacrés au plan gel en 2021.
Soutenir les trésoreries fragilisées par le contexte économique
Les mesures dédiées à la trésorerie font l’objet de nombreuses propositions. Les Vignerons indépendants militent pour une aide destinée aux entreprises aval, similaire à celle obtenue après le gel du printemps 2021 mais qui concernerait la sécheresse puisqu’elle induit une perte de chiffre d’affaires pour les entreprises qui transforment et commercialisent. Les Vignerons coopérateurs Occitanie demandent une adaptation de la fiscalité « face à des effets de yoyo » que causent les aléas climatiques sur les trésoreries.
Jean-Marie Fabre voit le dossier du transfert des PGE (prêts garantis par l’État) en prêts bonifiés proche de l’aboutissement. « Même si tout le monde ne l’utilisera pas, ce sera un élément dans la boîte à outils », se félicite-t-il. Les derniers arbitrages devaient aboutir le 15 septembre. L’enveloppe de bonification présumée serait de quelque 10 millions d’euros sur une dizaine d’années.
Plus de moyens mobilisés pour gagner des consommateurs
« Il nous faut d’abord plus de consommateurs à l’export mais aussi en France », pointe Bernard Farges lorsqu’on l’interroge sur les outils anticrise à mettre en place.
« Il faut peut-être se poser la question de l’orientation budgétaire de l’OCM, plus tournée vers la production que l’aval », interroge-t-il. « La capacité financière pour investir et aller conquérir de nouvelles parts de marché à l’export, on ne l’a plus dans les entreprises, alerte Jean-Marie Fabre. Notre diplomatie a les moyens de rendre les vins plus visibles et attractifs. L’État doit nous aider ». Au-delà des moyens, l’évolution de l’offre (profil frais, contenant…) et de la façon de parler du vin pour toucher les néophytes est également en question.
Les idées ne manquent donc pas. Reste à mobiliser le gouvernement sur les outils réglementaires ou les moyens à réallouer ou à compléter, au-delà des actions à mener par la filière elle-même. Avec bien sûr, comme préalable, une cohésion sur les mesures à pousser. Le plan initié par la filière est encore en gestation. Il est attendu pour l’automne.
1 000 candidats à l’arrachage sanitaire en Bordelais
Le plan d’arrachage mis en place dans le vignoble bordelais recensait 1 000 dossiers déposés lors de la fermeture de la plateforme de préenregistrement, le 17 juillet dernier, soit un vigneron sur cinq. Le CIVB (conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux) indique que cela correspond à 9 300 hectares, soit la surface budgétée, la prime s’élevant à 6 000 euros par hectare. Cette préinscription a permis de déterminer que « 300 viticulteurs s’inscrivent dans ce plan afin de cesser totalement leur activité, viticole comme agricole », indique le CIVB. « C’est une saignée importante, martèle Bernard Farges, assumée et voulue parce que la crise est difficile. La profession a mis le tiers de la somme. C’est un arbitrage budgétaire qui va s’étaler sur plusieurs années. L’investissement professionnel ne pourra pas aller plus loin. »
Distillation : l’enveloppe monte à 200 millions d’euros
Le budget initial de 160 millions d’euros prévu pour distiller 3 millions d’hectolitres (Mhl) de vin rouge ou rosé se voit rallongé de 40 millions d’euros. Ce supplément sera mobilisé sur la réserve de crise de l’Union européenne. L’appel à souscription, clôt le 5 juillet, ayant enregistré des demandes supérieures à 4,4 Mhl, un coefficient stabilisateur sera appliqué. La distillation se déroulera en deux phases, la première s’achevant le 15 octobre.