Comment l'agroécologie modifie le calendrier des travaux manuels dans les vignes
Détruire tardivement les couverts végétaux permet de maximiser la production de biomasse et de maintenir des températures au sol modérées pendant l’été. Mais cette stratégie a un impact sur le calendrier des travaux manuels à diverses périodes de l’année. Explications.
Détruire tardivement les couverts végétaux permet de maximiser la production de biomasse et de maintenir des températures au sol modérées pendant l’été. Mais cette stratégie a un impact sur le calendrier des travaux manuels à diverses périodes de l’année. Explications.
Fondateur de l’association Arbres et paysages en Champagne et consultant viticole en transition agroécologique, Jérôme Courgey mène chaque année de nombreux essais afin de définir des itinéraires techniques adaptés à une stratégie « zéro herbicide, zéro travail du sol ». L’agroforesterie et la bonne gestion des couverts végétaux en sont les principaux piliers. « Si le choix des espèces ensemencées revêt une très haute importance, le choix de la date de destruction du couvert est tout aussi crucial », expose Jérôme Courgey.
18 t/ha de matière organique supplémentaire en 15 jours d’intervalle
En 2019, il a mené une série d’essais en Champagne afin d’observer l’influence de la date de destruction du couvert sur la production de biomasse. D’après ses observations, au printemps, 15 jours d’intervalle peuvent faire une très grande différence. « Dans une même parcelle, nous avons détruit une partie du couvert le 22 avril, et avons obtenu 18 t/ha de matière organique. Quinze jours plus tard, le 5 mai, ce même couvert avait produit 36 t/ha de matière organique », explique le consultant.
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Des couverts plus hauts que la vigne au printemps
Dans un second essai mené sur une autre parcelle, Jérôme Courgey a réalisé un suivi des températures au sol au cours d’une journée du mois de juillet 2019, année marquée par un fort épisode caniculaire. Trois modalités ont été mises en place. Dans le sol nu, la température relevée était de 42,5 °C. Dans le sol dont le couvert a été détruit le 10 mai, elle était de 37,5 °C. Enfin, dans le sol dont le couvert a été détruit le 27 mai, elle était de 29,3 °C. « La matière organique maintient une humidité au sol pendant les mois suivant la destruction du couvert », observe Jérôme Courgey. Mais pour obtenir de tels résultats, il faut que les plantes semées aient poussé jusqu’à pratiquement dépasser les vignes. Dans ce cas, la vigne bénéficie de l’effet protecteur de la végétation environnante contre le gel. « Il ne faut donc pas se rater sur la période de semis », commente le consultant.
Un mois pour vendanger et semer les couverts végétaux
D’après les essais de Jérôme Courgey, les semis réalisés en juillet ont donné 0 % de réussite, et ceux d’août seulement 40 %, avec de très mauvais résultats sur le seigle, une espèce particulièrement intéressante pour son pouvoir antigerminatif. « Les semis de septembre ont conduit à 100 % de réussite, mais ça tombe au moment des vendanges donc ça fait un mois très intense », prévient Jérôme Courgey. Des essais de semis au mois d’octobre sont en cours. Le mois de septembre n’est d’ailleurs pas le seul concerné par cette stratégie. « La taille doit être terminée au plus tard mi-mars car après ça peut pousser très vite et on ne voit plus rien », précise l’expert. L’ébourgeonnage ou l’épamprage sont reportés à la fin mai. Conséquence : ces travaux s’effectuent sur une semaine au lieu de trois habituellement. « Ça veut donc dire qu’on va avoir besoin de plus de main-d’œuvre sur une période plus courte », alerte Jérôme Courgey.
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Les premiers traitements reportés à début juin
Enfin, le début des traitements est lui aussi repoussé. En 2019, Jérôme Courgey a fait trois interventions antimildiou avant le mois de juin sur une parcelle sans couvert végétal présentant des symptômes. En parallèle, sa parcelle avec couvert végétal n’a pas montré de symptômes tant que celui-ci était en place, ce qui l’a conduit à faire son premier traitement antimildiou le 6 juin. « Mais attention, ce n’est que l’expérience d’une année », prévient le consultant. Dernier point, la destruction du couvert, qui atteint donc une hauteur conséquente au printemps, suppose une très grande vigilance de la part du tractoriste, qui devra veiller à ne pas abîmer les vignes du fait de manque de visibilité.
Jérôme Courgey a réalisé un bilan économique de cette stratégie zéro herbicide, zéro travail du sol. « Il faut compter 250 €/ha pour les semis + 150 €/ha pour la destruction, soit environ 500 €/ha », indique-t-il.
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Les préconisations de semis pour la Champagne
Après plusieurs années de test, Jérôme Courgey, consultant viticole en transition agroécologique, estime avoir trouvé la bonne recette pour réaliser les semis sur ses terroirs champenois, dans le cadre d’une stratégie zéro herbicide, zéro travail du sol. « J’ai mis longtemps à trouver les bonnes semences et les bonnes doses. J’insiste sur le fait que pour y parvenir, il est nécessaire de bien connaître les principes agronomiques de ces semences pour les utiliser à bon escient », prévient-il. Pour l’expert, celles et ceux qui voudraient se lancer devront travailler une fois pour toutes leur sol en profondeur afin d’éliminer toutes les herbes dans et sous le rang, notamment le ray-grass qui peut vite devenir incontrôlable s’il n’a pas été totalement éradiqué au préalable. « Les années suivantes, un semis direct sur couvert se montre efficace », affirme Jérôme Courgey.
Un mélange de quatre espèces végétales
Pour la Champagne, il recommande un mélange composé de 160 grains de seigle elego/m2, soit 50 kg/ha. « Il faudra le détruire au printemps une fois la fleur terminée pour éviter les nouveaux départs, donc vers le 7 mai », préconise-t-il. Il recommande également de semer 16 grains de fèverole RGT espresso/m2, soit 80 kg/ha, à détruire également au printemps. Enfin, le mélange comprend 875 grains/m2 (soit 7 kg/ha) de trèfle raboteux et 400 grains/m2 (2 kg/ha) de trèfle blanc. « Les deux espèces de trèfle ne devront par contre pas être détruites », complète le consultant. En sortie d’hiver, ce couvert atteindra environ 30 cm avant de connaître une phase de pousse importante jusqu’à fin avril-début mai. « Je recommande également de mettre du BRF sous le rang et de couper les sarments de taille en petits morceaux avant de les déposer au sol durant l’hiver », conseille Jérôme Courgey.