Cinq utilisations possibles pour les lies
Grâce à leurs multiples propriétés chimiques et sensorielles, les lies sont un véritable outil œnologique à portée de main. Voici cinq façons d’en tirer profit pour élaborer des vins tranquilles.
Grâce à leurs multiples propriétés chimiques et sensorielles, les lies sont un véritable outil œnologique à portée de main. Voici cinq façons d’en tirer profit pour élaborer des vins tranquilles.
Utiliser des lies pour travailler un vin n’est évidemment pas une pratique sans risque. « Les lies sont des nutriments pour les micro-organismes, et notamment pour Brettanomyces. Il faudra donc faire un contrôle microbiologique des lies ainsi que du lot à traiter, et regarder la présence d’éthyl-phénols avant de se lancer dans cette pratique », prévient Julien Lavenu, œnologue associé chez Derenoncourt Consultants. Mathilde Ollivier, œnologue conseil dans le Muscadet et en Provence insiste sur la nécessité de ne prendre que les lies issues de cuves dans lesquelles les fermentations alcooliques (FA) se sont parfaitement déroulées. « On veillera à écarter les lies lourdes, c’est-à-dire celles qui restent tassées dans le fond de la cuve après le soutirage », indique-t-elle. Enfin, seules les lies issues des lots les plus qualitatifs présentent un intérêt. « Les défauts du raisin se retrouvent aussi dans les lies. On évitera donc d’utiliser les lies issues des FA de raisins sous-mûrs ou botrytisés », pointe Julien Lavenu. Une fois ces précautions prises, les lies peuvent servir plusieurs objectifs.
1 Apporter du gras
Pour Julien Lavenu, en 2021 plus que jamais, le travail sur lies présente un réel intérêt, tant pour les rouges que pour les blancs. « Contrairement aux millésimes solaires auxquels on a été habitué dernièrement, cette année, les vins vont manquer de consistance, de milieu de bouche. On peut corriger cela avec les lies », expose l’œnologue. Les mannoprotéines et polysaccharides qu’elles contiennent et relarguent dans le vin lors de l’autolyse, contribuent en effet à enrober les vins. Xavier Luc Linglin, directeur des propriétés Lurton, qui est un adepte de l’élevage sur lies toutes couleurs confondues, estime qu’il est essentiel de maintenir les lies en suspension. « Cela évite les mauvaises odeurs liées à la réduction ou les goûts métalliques. Après les soutirages de fin de FA, je fais des bâtonnages à l’azote ou je mélange à l’aide de pompes immergées toutes les semaines pendant un à deux mois, puis tous les quinze jours », détaille-t-il. Au besoin, il n’hésite pas à soutirer les vins pour éliminer en cours d’élevage les lies lourdes nouvellement formées. Quitte à en réincorporer un peu plus tard en cours d'élevage. « Je conserve les meilleures lies issues des précédentes vinifications légèrement sulfitées dans un tank à lait, et si besoin, je les réintroduis dans les vins qui ont encore besoin d’être enrobés », relate l’oenologue. En fonction de la dégustation, le directeur juge si ce travail sur lies doit se poursuivre. C’est parfois le cas pendant plusieurs années.
2 Rafraîchir les vins
Utiliser des lies fraîches pour rafraîchir les vins de millésimes précédents est une technique bien répandue dans le muscadet. « Il est fréquent de coller à la lie des millésimes qui manquent un peu de corps et d’aromatique. Le CO2 libéré par les lies permet d’apporter un peu de fraîcheur », explique Mathilde Ollivier. Le volume de lies apporté est empirique, et représente autour de 0,5 à 1 % du volume de vins anciens. « On veillera à ce que ces lies soient les plus neutres possibles sur le plan aromatique, sans notes grillées ou caoutchouteuses qui pourraient amener de la réduction », complète la consultante. Le temps de contact est là aussi à ajuster en fonction de la dégustation.
3 Préserver les thiols
En Provence, Mathilde Ollivier a constaté que de courtes périodes sur lies, de l’ordre de trois à six mois, favorisaient la persistance aromatique des thiols dans les vins rosés. « Les thiols sont des composés réducteurs. En consommant l’oxygène, les lies aident à préserver l’intégrité de ces composés », commente l’œnologue. Traditionnellement, cette pratique est restée cantonnée aux vignobles septentrionaux, mais Mathilde Ollivier constate qu’elle gagne du terrain dans le Sud. « Avec la montée en puissance du sans sulfites, les habitudes changent », remarque-t-elle.
4 Limiter le sulfitage
Grâce à leur pouvoir antioxydant, les lies fines sont les alliées des itinéraires à faibles sulfites ou sans sulfites. Dans une certaine mesure, rappelle toutefois Julien Lavenu. « Les lies créent un milieu réducteur mais elles consomment un peu de soufre, surtout si les bâtonnages sont réguliers. Elles assurent donc une protection vis-à-vis de l’oxydation mais elles accentuent aussi la pression sur le plan microbiologique », soulève-t-il. Le consultant estime donc que cette pratique a du sens à condition de ne pas trop tarder à mettre en bouteille. C’est d’ailleurs ainsi que le conçoit Gilles de Bollardière, responsable technique des vignobles Ampelidae, dans la Vienne. Pour élaborer son sauvignon blanc sans sulfites ajoutés, il effectue un débourbage serré à froid, autour de 6-8 °C après un pressurage sous inertage. « J’attends ensuite deux ou trois semaines après la fin de la FA pour soutirer. Pendant ce temps-là, je bâtonne environ une fois par semaine », détaille l’œnologue. Le vin est ensuite mis en bouteille début novembre après soutirage et filtration.
5 Réduire l’impact du bois neuf
Dans les vignobles où l’élevage en barrique est légion, les lies ont longtemps été utilisées pour leur rôle tampon vis-à-vis de l’extraction des composés du bois. « À Bordeaux, par le passé, on avait l’habitude d’entonner des vins turbides dans les barriques neuves pour limiter la prise de bois », relève Julien Lavenu. Les tendances de consommation actuelles, qui s’orientent davantage vers des vins fruités plutôt que boisés, tendent à occulter cette propriété. « Aujourd’hui, on utilise moins de bois neuf et on privilégie les contenants de grande taille. Mais c’est intéressant de se rappeler que les lies ont cette capacité à modérer le bois », conclut le consultant.