Choisir le mode d’extraction le plus adapté à sa vendange
Infusion, remontage, pigeage, délestage… Les techniques d’extraction sont multiples. Comment dès lors faire son choix ? Cinq œnologues nous donnent leur avis.
Infusion, remontage, pigeage, délestage… Les techniques d’extraction sont multiples. Comment dès lors faire son choix ? Cinq œnologues nous donnent leur avis.
À l’heure actuelle, il n’existe pas vraiment de clé de décision permettant de choisir sa méthode d’extraction de manière claire et nette ; aucun comparatif entre les différentes techniques n’a été réalisé. Pour autant, plusieurs aspects peuvent orienter le choix du vinificateur.
S’adapter à l’équipement de la cave
Tout d’abord, les experts recommandent d’étudier le type d’équipement de la cave. « On n’optera pas pour le même itinéraire si le chai possède des cuves Ganimède, Gimar, Vinimatic ou des cuves classiques avec cheminée ; des cannes de remontage, ou encore des turbopigeurs », cite Daniel Granès, directeur scientifique de l’ICV.
« Le choix du mode d’extraction dépendra du type de pompe du domaine (haut débit ou non), de s’il possède une araignée, etc. », abonde Nicolas Baratin, œnologue conseil chez Laboratoire AOC, à Beaune, en Côte-d’Or. Ainsi, les domaines équipés de cuves « particulières » opteront pour des semi-délestages automatiques. « Avec ce type de contenant, il y a peu de temps pour extraire vu qu’il est impossible de prolonger la macération », pointe Daniel Granès. À l’inverse, dans le cas d’une cuve classique avec cheminée, le vinificateur pourra opter pour une extraction plus longue.
À chaque région sa tradition
Le second aspect à prendre en compte concerne la région de production et le cépage. « Souvent, la consigne n’est pas la même selon les zones et le profil du vin », concède Simon Blanchard, œnologue chez Derenoncourt Consultants. Traditionnellement, certaines pratiques ont été adoptées dans certains bassins. On pense évidemment au pigeage pour les pinots bourguignons, aux remontages pour les cabernets bordelais ou aux délestages dans le Sud. Le millésime joue aussi beaucoup sur le choix de la technique, de la fréquence et de la durée d’extraction.
Selon si la vendange est premium, abîmée, en sous-maturité, etc., l’itinéraire d’extraction différera. « On ne peut pas extraire des pellicules ce qui n’y est pas », rappelle Emmanuel Vinsonneau, ingénieur œnologue, responsable technologies vinicoles et équipements à l’IFV. Pour cette raison, il conseille d’évaluer le potentiel polyphénolique de la vendange et le niveau de maturité, avant toute opération. Et ce, que ce soit par méthode Glories ou par méthode CASV. « Ainsi, année après année, le vigneron se constitue une base de données de la concentration phénolique des vendanges de son exploitation, poursuit-il. Selon où il se situe, il pourra ainsi prévoir la vinification adéquate selon le profil de vin souhaité. »
S’adapter au millésime et au profil souhaité
Bien appréhender le pouvoir tannique de l’année est aussi une recommandation de Nicolas Baratin. « Il faut déguster quand les sucres sont terminés, avant d’avoir décuvé, préconise-t-il. C’est important pour savoir si on va plus loin dans l’extraction. Si les tanins sont anguleux, verts, rustiques, il sera intéressant d’effectuer un délestage pour les polymériser. Le lendemain, on regoûte, et on continue si besoin. » Il rappelle qu’en 2022, il y avait beaucoup de tanins peu réactifs, à l’inverse de 2021, millésime plus tardif et moins solaire. « En 2021, il a donc fallu chauffer des cuvées pour extraire à nouveau et gagner en milieu de bouche », illustre-t-il.
Dans le cas de vendanges abîmées ou en sous maturités, il faudra opter pour des macérations plus courtes et des extractions moindres, sans trituration, débutées rapidement. « Un raisin peu mûr, sur le végétal, supportera mal le lessivage, prévient Patrice Merle, œnologue conseil chez Vigne et Vin Conseil, en Saône-et-Loire. Dans ce cas, il vaudra mieux éviter les remontages. » Mais le changement climatique favorisant une meilleure maturation et diminuant les problèmes de GMT et de géosmine, il est de plus en plus possible de pousser les extractions.
Davantage de matière avec le remontage que le pigeage
Le dernier critère de choix est le profil de vin souhaité. Selon les désirs ou les marchés du vigneron, les itinéraires d’extraction différeront. « Pour élaborer un vin rouge fruité, de qualité, dans le Bordelais, les remontages fractionnés donnent de bons résultats », indique Emmanuel Vinsonneau. Il précise que, selon des essais menés dans les années 2000, le volume total remonté sur toute la durée de cuvaison doit être raisonnable : inférieur ou égal à 8 volumes du jus de la cuve.
Daniel Granès prévient néanmoins qu’il faut suffisamment remonter pour bien renouveler le jus en contact avec la pellicule. Il recommande pour sa part deux remontages quotidiens durant une semaine, voire plus. Et de bien veiller à ne pas créer de circuits préférentiels.
Pour Emmanuel Vinsonneau, le pigeage n’extrait pas plus que le remontage. Il donne même parfois un peu moins de matière. Mais pour Patrice Merle, c’est la technique qui convient le mieux au pinot, qui a « horreur des excès et nécessite un travail tout en douceur ». Nicolas Baratin témoigne qu’en Bourgogne, il est pratiqué à raison d’une ou deux fois par jour, durant toute la durée de la FA.
L’infusion apporte de la fraîcheur
De son côté, Simon Blanchard a une préférence pour l’infusion. « Le marché veut des vins plus digestes, fruités, frais, prêts pour une consommation rapide, faciles d’accès pour les jeunes, analyse-t-il. La vendange entière, avec un travail d’infusion, apportera cette fraîcheur. » Une tendance également relevée par Patrice Merle, qui observe que l’infusion diffuse plus doucement qu’un délestage ou un pigeage mais apporte peu de matière sur gamay.
Cette technique ne peut s’appliquer que sur une bonne qualité de vendange. Lorsque ce n’est pas le cas, ou que l’on souhaite un profil produit plus classique, Simon Blanchard recommande un itinéraire mixte. « Souvent, dans la première partie de FA (premier tiers), on pratique des remontages car le chapeau de marc n’est pas encore formé, détaille-t-il. Le pigeage ne sert donc à rien. » Ensuite, au cœur de la FA, si la cuve est dotée d’une trappe ou d’une grande ouverture, le pigeage sera plus adapté. Dans le dernier tiers de la FA, on optera plutôt pour des remontages légers.
Pour sa part, Daniel Granès a une préférence pour le délestage, technique qu’il juge plus douce. « On ne triture absolument pas le chapeau de marc en délestant, plaide-t-il. Quand on peut la mettre en place, c’est la technique à privilégier. On renouvelle tout le jus au contact des pellicules, il y a une meilleure diffusion des composés entre le compartiment solide et le liquide. »
Selon des essais réalisés par l’IFV, pour des vins rouges de garde, et des vendanges de potentiel moyen à bon, récoltées à maturité, les délestages doivent être positionnés dans le premier tiers de la fermentation et leur nombre ne doit pas excéder trois, d’un demi à un volume maximum du jus de la cuve. Néanmoins, le gros inconvénient de cette technique est son coût : elle nécessite en effet de disposer d’un volume de cuverie supplémentaire pour pouvoir écouler.
Pour Daniel Granès, le pigeage arrive juste derrière le délestage en termes de résultat. « Si la cuve est bien équipée, cela peut donner un résultat proche d’un délestage », observe-t-il. Il place les remontages en troisième position.
vu à l’étranger
Des installations dédiées à l’extraction
En Espagne, des caves sont équipées de « piscines » d’extraction, d’environ 2 mètres de profondeur. Des genres de pigeurs (tiges équipées d’une petite plateforme à l’extrémité) montent et descendent sur le chapeau de marc, appuyant sur les raisins et favorisant l’extraction. Ces pigeurs sont montés sur un rail, géré par un automate, et passent de piscine en piscine.