Dans le vignoble de Chablis, l'aspersion contre le gel est gérée en collectif depuis 40 ans
Dans le vignoble de l’appellation Chablis, à Beine, la gestion de l’aspersion en collectif date de 1978. Si le système a encore permis de sauver plusieurs récoltes récemment, sa pérennité ne va pas de soi.
Dans le vignoble de l’appellation Chablis, à Beine, la gestion de l’aspersion en collectif date de 1978. Si le système a encore permis de sauver plusieurs récoltes récemment, sa pérennité ne va pas de soi.
Lorsque les vignerons de Beine, dans l’Yonne, ont décidé de protéger leurs vignes du gel grâce à l’aspersion en 1978, ils ont vu les choses en grand. Le dispositif couvre 100 ha. Il a nécessité la création d’un lac artificiel de 15 ha d’une capacité de 450 000 m3 et d’une station de pompage.
Un réseau de plus de 40 km de tuyaux alimente les rampes disposées dans les parcelles à risques.
Beine a bénéficié de l’expérience de l’aspersion de Maligny, à une dizaine de kilomètres. Cela a notamment permis d’éviter un mauvais calibrage des tuyaux, générateur de défauts de pression, donc source de casse.
Une ASA (Association syndicale autorisée) a été constituée. « Tout est visé par le Trésor public », précise Bernard Michaut, vigneron du domaine de la Motte, dont le père a été l’un des artisans du projet de Beine. Le cadre est donc assez contraignant. Chaque parcelle protégée est rattachée à l’ASA. Au total, 30 propriétaires sont engagés pour des surfaces allant de 20 ares à 15 hectares.
Lire aussi : De nouveaux espoirs dans la lutte contre le gel
Trois à quatre récoltes sauvées ces 10 dernières années
Sur les 10 dernières années, Adrien Michaut, estime que « la récolte a été sauvée trois à quatre fois ». Le jeune homme prend la suite de son père à la tête du domaine. Les Michaut sont l’un des plus gros acteurs de l’ASA avec 13 ha couverts : 5 ha en premiers crus et 8 ha en chablis.
L’installation commande deux secteurs distincts. Pour protéger 1 ha, il faut asperger 50 m3 d’eau. Au total, le dispositif a une capacité de 100 heures. « C’est parfois juste. En 2017, il ne restait qu’une nuit d’autonomie », se rappelle Adrien Michaut.
Le suivi des températures et de l’humidité est assuré par des stations Sencrop disposées sur les parcelles. Elles sont doublées par une quinzaine de thermomètres fournis par un frigoriste, posés au pied des ceps, dans les points les plus froids. « Les températures arrivent sur les smartphones toutes les 10 minutes ; ça appelle à 0,5 °C », décrit Adrien Michaut. Par sécurité, s’y ajoutent quinze thermomètres traditionnels.
Des interrogations sur l’avenir de l’installation
Malgré les atouts du système, les questions s’accumulent. Bernard Michaut est moins confiant de l’efficacité de l’aspersion face aux évolutions climatiques. « Avant c’était de la gelée blanche entre le 20 avril et le 10 mai, liée aux saints de glace avec du -2°, -3 °C. Aujourd’hui on se heurte à des températures extrêmes dès le mois de mars, avec des -6°C et au vent, qui est l’ennemi de l’aspersion. Il rend l’arrosage irrégulier. »
En conséquence, la décision de mise en marche est de plus en plus difficile à prendre. « Une fois l’aspersion déclenchée, si la température est basse plusieurs jours de suite, impossible de revenir en arrière. Si le sol est sec, apporter de l’eau peut générer un effet frigo et provoquer le gel », pointent les Michaut.
Entretenir l’esprit collectif n’est pas facile
À l’image de l’installation elle-même, la motivation collective fatigue. Au départ, ceux qui ont lancé l'aspersion étaient tous exploitants propriétaires, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. « Pour financer la rénovation, qui va s’engager auprès de la banque ? Le propriétaire de la parcelle ou le vigneron qui la cultive, s’interroge Bernard Michaut. Le vrai souci c’est le fonctionnement. Ce sont toujours les mêmes qui se lèvent, et qui prennent les décisions », regrette Adrien Michaut, qui est aussi l’actuel président de l’ODG Chablis. Il relève que seulement 5 ou 6 personnes sont vraiment actives en période critique, ce qui sur 30 propriétaires concernés ne fait pas beaucoup pour veiller à ce que tout fonctionne. Car l’efficacité est à la merci d’un incident technique. Les Michaut se mobilisent à trois pour surveiller leurs 13 ha.
Les alternatives possibles ne sont pas légion
La longévité de l’installation est toutefois un motif de satisfaction. « On n’a jamais pensé que ça tiendrait aussi longtemps », s’exclame Bernard Michaut. Mais si à Maligny, tout a été refait, à Beine, la question de la réfection n’est pas tranchée. « On est dans l’expectative ». Les frais de rénovation sont évalués entre 20 000 à 30 000 €/ha. Si le système s’arrête, les questions ne sont pas moins nombreuses : que faire du plan d’eau et des installations ? Qui prendra en charge les coûts d’entretien ? Pas facile non plus de trouver une alternative. Adrien Michaut juge les tours antigel inadaptées à la configuration du vignoble. Il regarde avec attention les câbles chauffants installés collectivement dans la Montée de Tonnerre sur 7 ha. Le domaine lance un test cette année sur 18 ares. « Il faut l’envisager quand on plante la vigne », pointe Adrien Michaut. « L’installation d’une station de câble chauffant coûte 35 000 €/ha. Il faut ajouter la consommation de 150 watts/ha », calcule-t-il. Et pas sûre que l’alternative soit collective cette fois-ci. « Le collectif a du mal maintenant à Chablis », regrette-t-il. En attendant, le système perdure, avec ses limites et ses atouts. Adrien Michaut relève qu’une parcelle protégée augmente sa valeur de 20 %.
Des frais de maintenance importants
« En 1978, les frais annuels étaient de 15 000 francs par hectare (2 280 €). Ils ont ensuite diminué jusqu’à 10 000 francs/ha (1 500 €). Aujourd’hui c’est 650 €/ha », rapporte Bernard Michaut. Le garage Renault de Beine entretient les moteurs diesel quarantenaires. Face à la casse et aux vols, il faut stocker des pièces détachées car l’entreprise d’irrigation référente n’est pas dans le secteur. Récemment, des conduites aériennes ont été changées pour générer un stock de pièces détachées. Des obligations réglementaires sont aussi coûteuses comme la visite décennale de la digue du plan d’eau.