Bâtir un projet de transmission de son domaine viticole avec un conseiller
Pour la transmission familiale du Château d’Aydie, un véritable projet s’est mis en place avec l’aide d’un conseiller externe. Une solution qui permet au domaine de reprendre de l’élan et de franchir de nouveaux caps.
Pour la transmission familiale du Château d’Aydie, un véritable projet s’est mis en place avec l’aide d’un conseiller externe. Une solution qui permet au domaine de reprendre de l’élan et de franchir de nouveaux caps.
Domaine familial situé à Aydie, dans les Pyrénées-Atlantiques, sur l’appellation madiran, le château d’Aydie est confronté comme bien d’autres à des défis de transmission complexes. Se sont posées notamment des questions de gouvernance : qui parmi les neuf enfants de la quatrième génération pour continuer l’aventure ? Pour faire quoi ? Les interrogations n’étaient pas moins grandes sur la gestion et la commercialisation : départ de plusieurs collaborateurs, accumulation de stocks importants… La Covid a accéléré le besoin de trouver des réponses.
« La relation parents-enfants, c’est compliqué », pointe aussi François Laplace, à la tête du domaine. Il a souhaité bénéficier de l’appui d’une personne extérieure, capable de tempérer les aspirations des uns et des autres et surtout d’aider à construire un projet solide. Il a fait appel à François Fourel, conseiller ayant fondé sa structure de conseil il y a onze ans. Ce professionnel expérimenté avait précédemment assuré la même mission de transmission entre générations, en tant que salarié dans un très gros domaine en IGP côtes-de-gascogne. Il connaissait le Château d’Aydie depuis vingt ans.
Faire grandir la confiance mutuelle
La démarche a commencé fin 2019. « La crise sanitaire nous a aidés paradoxalement », estime François Laplace. Après une période de flottement, le moment est apparu comme opportun pour se poser et « tout remettre en place ». Grégory, le fils de François, avait toujours travaillé au domaine tandis que Bastien, son cousin, y était revenu après une première expérience dans le secteur médical. Camille, la sœur de Grégory, devait monter à Paris pour travailler dans la restauration. Elle a décidé de rester.
« On a vécu tous ensemble pendant plusieurs semaines. On a pris le temps de réfléchir, de prendre confiance », se rappelle le trio de trentenaires. Ils ont le sentiment d’avoir fait en deux ans un parcours qui aurait pu prendre sinon une dizaine d’années. Ils ont défini leur envie, celle de respecter ce qui avait été fait par la génération précédente, tout en allant plus loin.
Mettre en place une organisation solide
« La première chose a été de mettre de l’ordre dans l’organisation », témoigne François Fourel. Il a suggéré de créer un espace pour mettre fin aux réunions sur un coin de bureau encombré de dossiers. La pièce a été réorganisée en un lieu dédié aux réunions et à l’accueil des professionnels. Un changement pas du tout anecdotique. L’endroit est devenu central dans la vie du domaine. Les rendez-vous hebdomadaires du vendredi avec le conseiller y ont lieu. Les informations et idées circulent, toutes les pistes sont discutées autour de la grande table. « Chaque semaine, on avance. Les décisions sont prises là », décrit François Fourel.
En parallèle, les missions de chacun ont été définies. « Mon père s’occupait de tout », explique Camille. Il reste bien présent mais chacun sait ce qu’il a à faire. « Il y a Camille, la gestionnaire, Grégory l’homme de la terre et Bastien, doué en commerce », apprécie le conseiller, enthousiaste de la complémentarité entre la sœur, le frère et le cousin. Lui se définit comme « directeur externe », ou avec humour, comme « coach » à la façon de Philippe Etchebest dans l’émission télévisée Cauchemar en cuisine.
Le travail commercial a ensuite commencé. L’urgence était de vendre pour débloquer des stocks et dégager de la trésorerie. François Fourel a actionné son réseau. « On a ouvert des marchés en ayant des propositions adaptées à des cibles », explique-t-il. « On a fait un travail de remise à plat de la gamme », complète Camille Laplace.
Traduire le changement de génération dans les vins
« Une offre ne se différencie pas que par son prix, c’est le concept et la façon de le proposer qui change », souffle François Fourel. « Le madiran à l’ancienne, ça ne nous correspondait pas », résume Bastien. Le trio était beaucoup plus à l’aise avec Les deux vaches rouges, le vin de France imaginé par François Laplace en 2014 pour proposer un tannat facile à boire. Ils l’ont inclus dans une série de vins conviviaux, baptisée La Basse Cour, lancée courant 2020. Ainsi sont nés La poule aux œufs d’or, un blanc moelleux, Les trois petits cochons roses, un rosé et Le vilain petit canard, un blanc sec.
En parallèle, les vins AOP madiran et pacherenc-du-vic-bilh se sont regroupés dans la gamme Laplace Vignerons. Le style des rouges a évolué pour gagner en fruit. « Maintenant il y a deux histoires, deux storytellings », énonce le conseiller. Il a encadré cette éclosion, sans s’opposer à certaines idées qui le convainquaient moins comme celle d’un rosé issu de tannat, auquel François Laplace tenait et qui s’avère un succès.
Une nouvelle dynamique s’est engagée
Les trentenaires ont aussi milité pour un changement de forme de bouteilles. « On voulait se couper de la notion de millésime et de garde évoqué par la bouteille bordelaise », explique Grégory Laplace. Sur l’étiquette, Famille Laplace a été remis au centre, plus gros que les noms du domaine ou des cuvées.
Les débuts ont été intenses. « C’est compliqué de tout repenser en même temps », confie Camille Laplace. Mais les bons résultats sont vite arrivés. « Au fur et à mesure nous avons récupéré des marchés. Nous avons fait revenir la commercialisation au domaine », détaille le conseiller. Bastien souligne pour sa part l’intérêt « d’aller sur le terrain, pour voir comment sont reçus nos vins ». Ils ont exposé à Wine Paris en février 2022, sur un stand réalisé par Grégory Laplace, pour expliquer la nouvelle organisation. « Le vin est une culture qui plaît. C’est comme le rugby. Il faut faire passer le message, les valeurs », encourage le conseiller.
Des premiers résultats très prometteurs
Le chiffre d’affaires a progressé de 40 % en 2021 par rapport à 2019. L’année 2022 a très bien démarré et un chiffre d’affaires supérieur est attendu. « Chaque vin a trouvé sa place », se réjouit François Fourel.
Une nouvelle équipe se forme autour du trio. Pour la constituer, les jeunes Laplace ont aussi défini leur priorité. « Le savoir-être est plus important pour nous que le savoir-faire. Quelqu’un, même s’il n’a pas exactement la compétence souhaitée, pourra toujours se former si l’envie est là. Mais s’il n’est pas à l’aise dans l’équipe, ça ne marchera pas », considère Camille Laplace.
Quel budget implique le conseil ? Les Laplace restent discrets sur le sujet. « Ça coûte moins cher qu’un Smic avec les charges », lance François Fourel. Sa collaboration a été contractualisée tout début septembre 2020 pour trente-six mois. « Après on verra », dit-il. Possible que le trio ait envie de jouer les prolongations, notamment pour gérer commercialement les conséquences des aléas climatiques qui ne les ont pas épargnés en juin.
François Laplace, président du domaine Château d’Aydie
« Il faut avoir une idée de ce que l’on veut faire »
« C’est important d’avoir des conseils qui sont dans le concret. Je ne voulais pas d’un consultant qui laisse des pages de recommandations. Mais au départ, il faut avoir une idée de ce que l’on veut faire. C’est ce que j’ai bien dit aux jeunes. Le conseiller accompagne, ce n’est pas lui qui imagine tout, décide tout et va faire des miracles.
Le recours à du conseil extérieur est un bon système aussi parce qu’il y a un turn-over de plus en plus important dans les chais et les vignes, avec des personnes qui restent au maximum quatre ou cinq ans. Comment fait-on la transition dans ce cas ? Nous avons donc aussi pris un conseiller pour la viticulture et un pour l’œnologie. Sur la viticulture, notre consultant nous a apporté une nouvelle vision sur la vie des sols. »
François Fourel, conseiller en stratégie et développement d’entreprises vitivinicoles
« Je goûte toujours d’abord les vins »
« Quand je rencontre un domaine, avant de signer quoi que ce soit je commence par goûter les vins. J’imagine qui va acheter et à quel prix. Si je vois qu’il faut les faire évoluer, je teste si le vigneron est prêt à se remettre en question. Ici tous les vins étaient bons. En arrivant avec des yeux neufs, je vois des choses qu’ils ne voient plus ou pas. Depuis onze ans, j’ai suivi 38 domaines. Mon expérience se nourrit de ces expériences et du terrain. Je suis 4 ou 5 domaines en même temps. Tous les vignerons ont du potentiel et je leur montre où on va aller le chercher ».
repères
Château d’Aydie
Surface : 65 ha en propre, 10 ha en fermage
Encépagement : tannat, petit manseng, gros manseng, cabernet franc
Dénominations : AOP madiran, AOP pacherenc-du-vic-bilh, AOP pacherenc-du-vic-bilh sec, vin de France, vin de liqueur
Effectifs : 4 (équipe dirigeante) + 9 salariés