Une fromagerie mobile pour les alpages
Clémence Frison fabrique et vend les produits au lait de ses chèvres en Savoie. Son système est basé sur sa propre mobilité et celle de sa fromagerie.
Clémence Frison fabrique et vend les produits au lait de ses chèvres en Savoie. Son système est basé sur sa propre mobilité et celle de sa fromagerie.
Le décor est idyllique, entouré des hauts sommets alpins de la vallée de la Tarentaise en Savoie. Clémence Frison a déposé sa fromagerie sur le versant ouest de la pointe de l’Argentière face au mal nommé mont Pourri. Déposer, c’est le terme car le local de transformation de la jeune chevrière de 22 ans est monté sur roues. Elle peut ainsi l’emmener où bon lui semble. « C’est important pour moi de savoir que je peux partir à tout moment sans être attachée à une terre, et à un bâtiment fixe », explique Clémence Frison. Son installation, qui remonte à 2016, soit tout juste à sa majorité et l’obtention de son bac pro agricole, n’a pas été de tout repos. N’étant pas issue d’une famille d’agriculteurs, Clémence a bataillé pour trouver un emplacement pour sa chèvrerie. Elle s’est finalement implantée à Beaufort mais ne dispose que de quatre hectares autour de sa ferme, enclavée dans la zone de production du fameux fromage de vache AOP. « Il fallait que je trouve des alpages pour faire pâturer mes chèvres en été. » Elle s’installe un premier été au col des Aravis, à seulement une heure de route de sa ferme, mais sa situation administrative est instable et la commune lui demande de quitter les lieux.
Une fromagerie mobile pour fabriquer près des chèvres
Elle persévère et trouve son alpage actuel sur la commune de Sainte-Foy-Tarentaise. Cette fois-ci, il faut compter 1 h 45 de route. « Le trajet avec la fromagerie remorquée prend cinq heures car ses huit tonnes sont tirées par un tracteur », chiffre-t-elle. Une fois la fromagerie installée sur la parcelle d’estive louée par Clémence, elle ne bouge plus de mai à octobre, avant d’être rapportée à Beaufort. « Je travaille dedans toute l’année et sur mon exploitation, la fromagerie s’intègre dans le bâtiment d’élevage et les annexes que sont la laiterie, le sas de rangement et la chambre froide », développe la jeune femme dynamique. C’est le bémol de son local de transformation mobile : il ne dispose pas de cave d’affinage. Clémence fait donc la navette entre ses fromages frais qu’elle met à l’affinage sur sa ferme et ramène ceux qui sont prêts à être commercialisés. Cela représente quatre allers-retours par semaine. La fromagerie mobile est un moyen de gagner en souplesse de travail, en permettant de transformer le lait sur place après la retraite. Mais le système reste chronophage avec les trajets obligatoires entre la fromagerie et la cave d’affinage pour terminer la fabrication des fromages.
Des journées de 19 heures non-stop
En effet, si la fromagerie ne bouge pas pendant six mois, ce n’est pas le cas de la productrice qui multiplie les trajets en camionnette. En été, elle mise sur la fréquentation touristique pour réaliser tout son chiffre d’affaires et elle a son stand sur neuf marchés hebdomadaires dans toute la vallée, sans compter les foires du week-end, nombreuses à cette saison. En hiver, Clémence ne fait plus « que » six marchés par semaine. Clémence gère son troupeau de manière à avoir une production de lait toute l’année. « J’ai mis en place des lactations longues et je laisse le bouc pendant trois mois afin d’étaler les mises bas au maximum », développe-t-elle. La jeune femme fait, en pleine saison, des journées de 2 h 30 du matin à 21 h 30 le soir. Un rythme difficile à tenir, qui n’est que provisoire le temps de parfaire son installation. « Je tiens bon car je suis jeune et en pleine forme, mais je suis consciente que je ne pourrais pas conserver ce train éternellement, reconnaît-elle. Je vais créer un magasin sur ma ferme, ce qui devrait me permettre de diminuer le nombre de marchés hebdomadaires. » En hiver, la cadence reste soutenue car la production ne s’arrête pas, mais Clémence passe en monotraite sur octobre et novembre, de quoi lever un peu le pied.
Les chèvres ont leur bâtiment d’été
La parcelle d’estive où pâturent les 70 chèvres de Clémence Frison est en location et la chevrière a obtenu l’autorisation de construire un bâtiment d’élevage. Il sert à abriter les chèvres pour la nuit et dispose d’un quai de traite rudimentaire. « Je ne peux pas faire un bâtiment pérenne, je monte et démonte l’ensemble au début et à la fin de la saison. Tout simplement car il se situe dans un couloir d’avalanche », souligne l’éleveuse. Le lait est transporté de la traite à la fromagerie en quad, le trajet prend quelques minutes.
Chiffres clé
70 chèvres alpines, saanens et de Savoie
1 UMO + une salariée saisonnière en été
80 000 euros pour sa fromagerie mobile
Local roulant de 8 tonnes
100 % transformation fromagère (tomme, fromage frais, faisselle, yaourt)
Une fromagerie mobile faite sur mesure
La fromagerie mobile de Clémence est tout droit issue de la réflexion que celle-ci a eue avec l’aide de son père. Charpentier de métier, il a pris un an pour construire de A à Z la structure autour d’un module Algeco de 16,8 m². Pour Clémence Frison, cette surface est tout à fait suffisante pour la transformation quand elle est en estive, « on peut même travailler à deux sans trop se gêner », insiste sa jeune salariée saisonnière. Le local dispose d’un sas d’entrée, d’un réfrigérateur avec suffisamment de contenance pour la fabrication de quelques jours, un point d’eau pour le lavage, une table de travail, une cuve en cuivre et un espace de rangement au niveau duquel se trouve également un four. Clémence a en effet développé une gamme de flans au lait de chèvre qui contribuent à sa renommée dans la vallée. L’ensemble de la structure est bardé de bois pour donner une touche « chalet » à la fromagerie et celle-ci est assez lumineuse la journée avec quatre fenêtres de part et d’autre. « Tout le mobilier est monté sur roulettes, je peux agencer l’espace intérieur comme je veux », développe la jeune fromagère. Côté administration, la DDCSPP a validé son système, mais Clémence reçoit tout de même quatre visites de contrôle par an. Les seuls regrets de Clémence sont de ne pas avoir installer de panneaux solaires sur la toiture, de ne pas avoir d’espace de stockage suffisant ni de point de vente intégré à son local. C’est peut-être le prix à payer pour avoir cette mobilité qui lui tient à cœur, cette capacité « de pouvoir partir à tout moment et de ne pas être coincée à un endroit fixe. »