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Revenu viticole : trouver les bons leviers

Dans un contexte de fortes turbulences des marchés et du climat, tenir la barre du revenu de l’exploitation est plus que jamais crucial. Faire les bons choix suppose d’analyser avec un œil nouveau les coûts et la commercialisation de ce que l’on produit.

<em class="placeholder">Saisie de documents comptables sur une exploitation agricole</em>
© C. Baudart

Le revenu se définit comme la rémunération issue de l’activité de l’exploitation. Les moyens engagés pour produire et la valorisation de la production vendue influencent fortement la marge. Lorsque les marchés se grippent, intégrer la gestion et la commercialisation comme de vrais leviers de pilotage actifs de l’activité devient nécessaire.

  • Un diagnostic économique opérationnel

Appréhender la façon dont se forme le revenu est l’étape numéro un. L’indicateur phare est l’EBE ou excédent brut d’exploitation. « L’EBE, c’est ça qui permet d’investir, martèle François Fourel, conseiller en stratégie d’entreprises viticoles. On ne peut pas développer une entreprise si on ne dégage pas de marge suffisante. » Schématiquement, l’EBE est la différence entre les produits (issus des ventes, des variations de stocks, des aides) et les dépenses engagées pour produire (consommations intermédiaires, charges de personnel, impôts et taxes…).

En retranchant d’autres charges comme la rémunération des dirigeants, les produits et charges financières et d’éventuels produits ou charges exceptionnels, on obtient le résultat de l’exercice. Chez Cerfrance Poitou-Charentes, Laurent Dupic, responsable compétences conseil, plaide pour se démarquer de l’approche comptable. « Nous incitons à parler de résultats économiques, basés sur la production de l’année et pas sur celle de l’année écoulée. C’est important pour bien appréhender le réel potentiel de l’entreprise à dégager ou pas un excédent pour rembourser quelque chose dans le temps », explique-t-il. « Lorsque la récolte d’une année est vendue sur un, deux ou trois ans, la réalité économique que l’on va appréhender aujourd’hui sera le résultat comptable de demain », illustre-t-il. Il opère donc ce travail pour ses clients.

  • Une analyse fine des coûts de production

Le pilotage inclut également une analyse des coûts de production par atelier avec un tableau aboutissant à des coûts à l’hectare planté et à l’hectolitre commercialisable. « La base de tout c’est de connaître son coût d’exploitation à l’hectare, abonde François Fourel. Certains vignerons me disent, ‘je vends au prix du marché’ sans avoir calculé le prix de revient », expose-t-il. Et de raconter le cas d’une vigneronne qui vendait 35 000 bouteilles annuelles d’un vin d’appellation sans avoir évalué ses coûts. Il s’est avéré qu’en comptant tout de la vigne à la mise, elle perdait 50 centimes par bouteille. « Elle s’est résolue à augmenter le prix d’un euro. Elle a perdu son client unique mais en a retrouvé plusieurs autres », se remémore le consultant.

Pour Laurent Dupic, l’objectif est très concrètement d’aboutir à une notion de seuil de rentabilité financière qui donnera les conséquences concrètes d’une décision de vente en dessous ou au-dessus.

Lire aussi : « Pour agrandir son domaine viticole, maîtriser son marché, c’est la base », Cyril Laudet, vigneron dans les Landes

L’exercice est réalisé pour les deux ans à venir. L’idée est de se projeter en rythme de croisière afin d’envisager des réajustements d’investissements, d’assurance, de main-d’œuvre, de renouvellement du vignoble, de prélèvements, d’annuités… « Pour les leviers à actionner, c’est au cas par cas. On fera une analyse à la fois sur l’entreprise mais aussi une analyse plus globale incluant par exemple l’endettement privé qui peut expliquer des montants de prélèvements élevés », suggère le conseiller.

  • Réajuster le potentiel de production

Un examen objectif de la situation peut conduire à réadapter le potentiel de production. « Aujourd’hui, je me retrouve avec des exploitations qui flirtent avec les 100 hectares où en fait, à chaque fois que le vigneron met un coup de pioche dans la terre, c’est comme s’il jetait de l’argent par les fenêtres. Alors que s’il descendait à 10 ou 15 hectares, on peut arriver à ce qu’il vive décemment de son travail », assène Christophe Tichadou, dirigeant d’Alliance Expert. Il regrette que la croyance consistant « à dire que ça va mieux marcher si l’on a beaucoup d’hectares » soit encore très ancrée.

Lire aussi : « J’ai diminué la surface de vigne dédiée au vrac », Stéphane Defraine, vigneron dans l’Entre-deux-Mers

« Je conseille souvent de rétrécir le vignoble, de réaliser le cœur de gamme au domaine et de faire appel à du négoce pour compléter. Ça permet d’avoir des petites cuvées qui alimentent la trésorerie », suggère de son côté François Fourel. Ce n’est pas incompatible avec la maîtrise de la production si l’on achète de la vendange ou si l’on s’accorde avec un vigneron qui vendange et vinifie selon son souhait.

  • Redéfinir son approche commerciale

Si la fine connaissance de ses coûts est un préalable, « on ne peut se limiter à une fixation du prix selon la logique comptable », plaide Fabrice Chaudier, consultant et formateur, fondateur de Vins & Ventes. « Aujourd’hui, la variable d’ajustement des prix c’est le revenu des vignerons », déplore-t-il. Sortir de ce mécanisme pernicieux implique de changer de logique. « On ne vend pas un tarif mais un positionnement. Ce choix appartient au vigneron », explique-t-il. Il invite à maîtriser sa mise en marché et à se préoccuper du prix auquel seront vendus les vins. « Un vin vendu en vrac pour élaborer une bouteille vendue au consommateur à 10 euros ne devrait pas être commercialisé au professionnel au même prix que si le vin est destiné à être positionné à 5 euros », illustre-t-il. 

Lire aussi : Diversification viticole : « Je pousse les jus de raisin auprès de tous nos acheteurs »

La détermination de prix adaptés est l’un des points qu’il développe dans le livre blanc De la bouteille au verre, comment réinventer votre approche commerciale ?, qu’il a coécrit et que le Vinitech a publié. Fabrice Chaudier insiste sur l’absolue nécessité de fixer des tarifs cohérents en fonction du niveau de gamme. Le prix commercial se compare avec le prix de revient. S’il s’avère inférieur, c’est que le positionnement du vin est trop bas. Il conviendra alors d’examiner comment monter en gamme ou alors de baisser le prix de revient pour qu’il corresponde. Se former aux outils de fabrication des prix est un des conseils promus par ce livre blanc.

  • Être à l’écoute des marchés

François Fourel insiste sur la nécessaire « mise en adéquation de sa production avec les attentes des clients. Il faut se distinguer, aller chercher la qualité à la vigne, repenser la vinification, les élevages, les assemblages… ». Son expérience des marchés est nourrie par sa casquette de négociant. « Évidemment les solutions dépendent de la personnalité des vignerons, de la qualité des vins, de l’appellation… mais il y a toujours la possibilité de faire quelque chose de différent », encourage-t-il. L’idée n’est pas de faire table rase mais de garder un socle et de commencer à développer autre chose à côté.

Lire aussi : Christophe Tichadou, expert-comptable : « La maîtrise des coûts viti-vinicoles passe par leur connaissance »

Fabrice Chaudier pointe la dimension psychologique du changement. « Il faut avoir cette démarche de prendre la réalité à bras-le-corps et de se réinscrire dans une dynamique de marché. Une fois que les responsables du domaine se mettent en mouvement, et dépassent les freins tels que 'je n’ai pas le temps', 'ce n’est pas mon métier'… on a fait le plus gros du travail », remarque-t-il. Il suggère donc de commencer toute démarche par un autodiagnostic en se demandant où l’on se situe entre innovation et tradition ? Jusqu’où on est prêt à aller ? Quelles sont les lignes rouges que l’on ne voudra pas franchir ? L’aptitude à évoluer est finalement le premier des leviers de reconquête.

Le livre blanc De la bouteille au verre, comment réinventer votre approche commerciale ? peut se télécharger sur https://www.vinitech-sifel.com/fr/content/livre-blanc

Des stratégies pour vendre mieux

- Créer un nouvelle marque sur un autre créneau. 

Un domaine du Sud-Ouest conseillé par François Fourel a décidé de garder son château principal comme marque de cuvées GD volumiques, maintenues pour l’instant même si elles ne rémunèrent pas suffisamment. Mais à côté, un nouveau nom de domaine a été créé pour développer des vinifications plus distinctives et mieux valorisées, qui commencent à être remarquées.

<em class="placeholder">Lancer une nouvelle gamme visant un créneau de marché très spécifique est une solution expérimentée avec succès par le domaine Lafage. </em>

- Créer un gamme spéciale pour les grossistes 

Face à la baisse des commandes export, le domaine Lafage a travaillé avec François Fourel pour lancer une gamme ciblée sur les grossistes, accessible par demi-palette ou palette complète. Vendu 8,95 euros prix consommateur, le vin est le moins cher de l’offre du domaine. Il a été travaillé sur un profil de fraîcheur, permis notamment par l’évolution des méthodes culturales (agriculture régénérative). Nommées Les sardines catalanes, les cuvées arborent une étiquette colorée et décalée. Elles sont embouteillées en bouteilles légères, moins coûteuses que les bouteilles lourdes qu’affectionnait le domaine. Une récolte plus précoce et une irrigation de précision assurent un rendement cohérent avec le prix. Le succès de cette gamme contribue à maintenir les résultats malgré la crise.

- De l'évènementiel pour développer les ventes directes 

Pour développer les ventes directes, l’un des domaines suivi par Christophe Tichadou a organisé une fois par mois, une mouclade (moules braisées). « Ils ont fait des soirées à 500 personnes à plus de 10 000 euros de chiffre d’affaires parce qu’ils ont vendu leur vin. Ils ont compris que le négociant qui passait leur proposer 80 euros l’hectolitre pour leur côtes-du-rhône, eux, ils arrivaient dans ce contexte à vendre leur vin en bouteille à hauteur de 600 euros l’hectolitre », témoigne l’expert-comptable.

Retrouvez les autres articles de notre dossier :

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