Controverses de l'agriculture
Qualité de l’eau : pour réduire les nitrates, faut-il manier la carotte ou le bâton ?
Judiciarisation des débats pour durcir la réglementation sur les nitrates ou incitation des agriculteurs à améliorer leurs pratiques ? Tel est le dilemme. La question est aussi de mieux répartir les productions d’élevage, notamment hors-sol, sur l’ensemble du territoire. C’est ce qui ressort d’un débat organisé lors des 5e Controverses de l’agriculture et de l’alimentation, à l’initiative du groupe Réussir-Agra.
Judiciarisation des débats pour durcir la réglementation sur les nitrates ou incitation des agriculteurs à améliorer leurs pratiques ? Tel est le dilemme. La question est aussi de mieux répartir les productions d’élevage, notamment hors-sol, sur l’ensemble du territoire. C’est ce qui ressort d’un débat organisé lors des 5e Controverses de l’agriculture et de l’alimentation, à l’initiative du groupe Réussir-Agra.
Pour une amélioration de la qualité de l’eau, faut-il utiliser la carotte ou le bâton ? C’est la question qui a été posée à Christophe Grison, président de la coopérative Valfrance, et à Arnaud Clugéry, directeur et porte-parole de l’association Eau et rivières de Bretagne, aux 5e Controverses de l’agriculture et de l’alimentation qui ont eu lieu le 16 février 2023 à Paris, organisées par Réussir Agra sur le thème « La guerre de l’eau a-t-elle démarré ? ».
Avec une approche très judiciarisée, les ONG environnementales savent manier le bâton, c’est ainsi en tout cas que le monde agricole les perçoit. Du côté des coopératives agricoles, elles ont le devoir de mettre en action des changements de pratiques pour réduire l’impact environnemental.
Eau et Rivières de Bretagne revendique 700 décisions de justice sur 40 ans
L’association Eau et rivières de Bretagne, membre de France Nature Environnement, mène des actions contentieuses et revendique plus de 700 décisions de justice depuis 40 ans. Pour autant, Arnaud Clugéry, directeur et porte-parole de l’association, refuse l’idée de ne présenter l’action d’Eau et rivières de Bretagne qu’à travers ce prisme. « Nous passons la majorité de notre temps à brandir la carotte et non le bâton. Notre action s’appuie sur la convention d'Aarhus qui implique que nous informions et que nous favorisions la participation du public à la prise de décision. » Il s’agit d’une convention internationale sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement.
« Ça passe par l’information des enfants, des adultes, du grand public, des consommateurs sur l’impact des activités humaines sur la nature. On ne parle pas que d’agriculture », précise-t-il. Quant aux décisions de justice « c’est la capacité des citoyens à se saisir des moyens de justice pour faire valoir les infractions à la législation communautaire, ce n’est pas le bâton ! »
Davantage utiliser les outils d’aide à la décision pour réduire les fuites de nitrates
Christophe Grison, président de la coopérative Valfrance, considère lui-aussi que les coopératives manient plus aisément la carotte que le bâton pour inciter à améliorer les pratiques agricoles afin de réduire leur impact sur la qualité de l’eau. « Nous sommes 1 400 agriculteurs sur un secteur qui couvre Seine-et-Marne et l’Oise, entièrement sur la zone de captage de l’eau de Paris et en zone vulnérable. Nous sommes très sensibilisés à la qualité de l’eau. Nous incitons à réaliser des analyses de reliquats azotés ». Mais il reconnaît que les agriculteurs n’en font pas encore suffisamment. « Nous avons assuré la réalisation de 1500 reliquats azotés pour 800 agriculteurs. Ce n’est pas suffisant. Personnellement, j’en fait une quinzaine sur mon exploitation », explique-t-il.
Autres actions pour réduire les fuites de nitrates dans l’eau : « nous proposons différents outils d’aide à la décision pour ajuster les apports azotés, tels que Farmstar et Precifield, et prônons le fractionnement des apports. Nous sommes aujourd’hui à quatre apports, en cherchant à concilier bonne teneur en protéines dans le blé et réduction de l’impact environnemental ».
Une réduction des teneurs en nitrates depuis 40 ans en Bretagne
Les problématiques ne sont évidemment pas les mêmes en Bretagne. Le porte-parole d’Eau et rivières de Bretagne reconnaît que les efforts faits par le monde agricole ont permis de réduire la teneur en nitrates dans les eaux bretonnes. Selon l’Observatoire de l’Environnement en Bretagne, elle est de 22 mg/l en 2020 en moyenne à l’échelle des SAGE bretons (schéma d'aménagement et de gestion de l'eau), contre 30,2 mg/l en 2000 « et de 40 mg dans les années 70 », précise Arnaud Clugéry. 94 % des 491 points de suivi sont considérés en "bon état" au sens de la Directive-cadre sur l'eau. « Mais ce chiffre ne bouge plus depuis 2015, certains territoires ont des niveaux très élevés, et encore 73 % du territoire national est en zone vulnérable parce que leurs masses d'eau superficielles ont une teneur en nitrates qui dépasse 18 mg/l », met-il en garde.
Oppositions à l’installation de productions hors-sol dans les régions céréalières
Pour lui, le principal problème de la Bretagne est lié à l’importance de l’élevage sur ce territoire. « La Bretagne compte 120 millions d’animaux pour 3,5 millions d’habitants sur 6 % du territoire national, 56 % des porcs, 36 % des volailles de chair et 23 % de la production laitière. Pour nourrir ces animaux, il faut importer des protéines végétales, surtout du soja. J’ai entendu dire que celles-ci représentent une surface de production équivalente à la SAU bretonne. Le système est déséquilibré. Il faut tout repenser et ré-étaler l’élevage sur le territoire national. »
À cela, Christophe Grison réagit : « mais chez nous, c’est impossible ! Tout projet d’élevage sur notre territoire est rejeté, alors que la logique voudrait que l’on fasse de la polyculture-élevage afin de fonctionner en circuit court entre l’élevage et les productions d’alimentation animale ».
Repenser tout le modèle agricole pour revenir à davantage de polyculture-élevage, un modèle vertueux par bien des égards, est-ce encore possible alors que l’on a spécialisé les territoires ? Qui s’attaquera politiquement à ce sujet de fond ?
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