L’insertion paysagère des élevages de porc va au-delà de la végétalisation
Pour Philippe Guillet, conseiller en paysage de la chambre d’agriculture de la Sarthe, l’insertion paysagère permet de développer un cadre de vie et de travail de qualité. C’est aussi un facteur d’optimisation économique.
Pour Philippe Guillet, conseiller en paysage de la chambre d’agriculture de la Sarthe, l’insertion paysagère permet de développer un cadre de vie et de travail de qualité. C’est aussi un facteur d’optimisation économique.
L’insertion paysagère d’une exploitation ne se résume pas aux plantations d’arbres et de haies. Elle englobe des aspects bien plus larges comme l’organisation des espaces, la disposition des bâtiments, les couleurs et les matériaux, le soin apporté aux abords… Bref, tout ce qui constitue le paysage d’une exploitation. Pour Philippe Guillet, conseiller forêt-bocage-paysage de la chambre d’agriculture de la Sarthe, elle répond à trois enjeux pour l’agriculteur. Le premier est de se constituer un beau cadre de travail. « L’éleveur doit se sentir bien dans son environnement quotidien. C’est sa bouée d’oxygène, lorsque l’élevage connaît des difficultés. » Lorsque la maison d’habitation se trouve sur le site de l’exploitation, l’insertion paysagère aide à bien séparer zone de vie et de travail. Cette notion va selon lui devenir déterminante quand on sait qu’une exploitation sur deux va changer de propriétaire dans les dix prochaines années. « Le critère qualité de vie devient un élément de choix des candidats à la reprise, d’autant plus lorsque le conjoint travaille à l’extérieur. » Plus inattendu, le conseiller voit aussi dans l’insertion paysagère un enjeu de performances. « Du bazar partout ou des voies de circulation non optimisées sont forcément sources de contre-performances. Un chemin propre et bien assaini est plus stable dans le temps et n’obligera pas à combler chaque année les nids-de-poule… », illustre-t-il. Enfin, l’insertion paysagère relève d’une démarche de qualité. « Le consommateur est de plus en plus curieux et exigeant sur ce qu’il achète. Lorsque les animaux ne sont pas visibles car élevés à l’intérieur, c’est l’extérieur des bâtiments et leurs abords qui influencent sa perception de la qualité d’un produit. Il y a aujourd’hui moins de dialogue entre les exploitants et le voisinage et le jugement se fait sur des petits détails. C’est aussi vrai pour les exploitations de vente à la ferme, où le cadre est un critère de fidélisation des clients. »
Chercher l’unité des matériaux et des couleurs
Il n’y a pas de recette unique pour embellir son site et l’objectif n’est surtout pas d’en faire un jardin des plantes. « Il faut s’adapter à chaque situation de l’exploitation en tenant compte du temps disponible pour l’entretien, de son goût pour le jardinage, de sa capacité à investir. » Pendant longtemps, en particulier sous la pression des élus lors d’un différend avec le voisinage, la solution toute trouvée était de cacher les bâtiments avec des rangées de thuyas ou de cyprès. Pour le paysagiste, c’est une hérésie à plusieurs titres (voir ci-contre). « Les exploitations font partie du paysage rural et témoignent de la fierté du métier d’agriculteur. Il ne faut surtout pas les cacher mais faire en sorte qu’elles se fondent de façon harmonieuse dans le paysage. » Il faut rechercher une certaine cohésion de l’ensemble du bâti (bâtiments d’élevage, hangars, bureau…). Il conseille de s’adapter à l’architecture régionale dans le choix des matériaux et des couleurs, une couleur d’enduit ou de tôle adaptée à la nature du sol, des pierres locales pour les zones d’empierrement, une toiture grise pour rappeler l’ardoise des maisons locales, unité des couleurs entre les silos et les bâtiments… L’embellissement ne nécessite pas forcément d’engager des dépenses importantes : il peut s’agir de repeindre un mur ou tous les silos d’une même couleur, d’ajouter du bardage en bois pour unifier des hangars juxtaposés. En résumé, il faut éviter de multiplier les couleurs et les matériaux. De même, il faut privilégier les couleurs de bâtiments foncés. « Plus un bâtiment est clair, plus il donne une impression de volume. Stop au beige laqué ou au vert réséda partout. »
La haie n’est pas l’unique solution
Pour le paysagiste, la végétalisation est l’étape finale de l’embellissement, lorsque tous les autres aspects ont été travaillés en amont. Il conseille de préférer les essences locales et de rester sur des aménagements simples. « Privilégiez les haies champêtres dans la partie professionnelle et réservez les haies ornementales et décoratives à la partie privée. » L’entretien ne doit pas devenir une corvée. « Il faut prévoir des bandes enherbées larges d’au moins six mètres permettant le passage d’un tracteur pour la tonte et éviter de passer avec la tondeuse. De même, évitez les talus, moins faciles à entretenir. »
Préparer l’insertion paysagère en amont du projet
Lors d’un projet de construction, l’insertion paysagère doit être réfléchie bien en amont. Philippe Guillet conseille de dialoguer avec le voisinage pour leur présenter le projet et les rassurer. « Il suffit parfois de positionner différemment un bâtiment pour mieux l’insérer dans le paysage sans entraîner de surcoût et tout en optimisant les dépenses de fonctionnement. » Si la topographie le permet, on peut jouer sur les reliefs pour faciliter l’insertion et couper l’effet longueur d’un bâtiment. Il est préférable d’aligner le bâtiment dans la courbe de niveau du terrain et non pas perpendiculairement. « Cela a aussi l’avantage d’économiser sur les frais de terrassement. » Avec le végétal, on peut aussi modifier les perspectives. Un arbre, judicieusement positionné par rapport à une route, permet de jouer sur l’impression de longueur. Deux trois arbres isolés suffisamment distants peuvent limiter l’effet de masse. Si le bâtiment se trouve le long d’une route, il faut veiller à laisser suffisamment de place pour les plantations. Des arbres fruitiers permettront de joindre l’utile à l’agréable.
Des haies champêtres plutôt que du « béton vert »
Pour Philippe Guillet, les haies de thuyas et de cyprès cumulent les inconvénients. « Ces espèces ne durent pas longtemps, sont allergènes, créent des masses qui ne se fondent pas dans le paysage et non aucun effet coupe-vent, au contraire. Elles ne protègent que sur une distance qui correspond à deux fois la hauteur de la haie, au-delà elles créent des tourbillons. » Il conseille des haies champêtres perméables à 50 % en hiver (et 30 à 40 % l’été) qui ont un meilleur effet brise-vent et qui ne nécessitent pas forcément d’être taillées chaque année.
Des subventions possibles pour les haies
Le coût des plants et du paillage pour une haie champêtre est d’environ 3 à 5 euros par mètre linéaire. Dans certaines régions comme les Pays de la Loire, les agriculteurs peuvent bénéficier d’une aide publique pour la plantation d’arbres et de haies jusqu’à 80 %. Partout en France, de nombreux mécénats participent au financement de haies (Fondation Yves Rocher, magasins U de Vendée…).
En revanche, il n’y a pas de subventions publiques concernant l’embellissement des bâtiments (bardages en bois…). Il existe toutefois certains programmes d’aides dans des zones très spécifiques : parcs nationaux, livre blanc accompagnant la construction de certaines infrastructures routières… Pour plus de renseignements, s’adresser aux chambres d’agriculture, aux CAUE (1), aux associations de paysage et aux parcs nationaux…
(1) Conseil d’architecture et de l’environnementEn savoir plus :
Un diagnostic paysager pour aider à embellir son site
Pour l’éleveur présent au quotidien sur son exploitation, il peut être difficile de prendre du recul sur l’insertion paysagère. Faire appel à un tiers (conseiller spécialisé) peut l’aider à construire son projet d’embellissement. C’est ce que propose le service arbre et biodiversité de la chambre d’agriculture des Pays de la Loire. La prestation de conseil comprend un état des lieux de l’exploitation, la définition en commun d’un projet et l’accompagnement technique pour sa réalisation. « On réalise une analyse globale de l’exploitation même s’il s’agit de traiter une problématique spécifique. On incite l’éleveur à se projeter dans l’avenir, par exemple pour savoir ce qu’adviendra l’habitation lors du départ à la retraite. Comment rationaliser l’espace pour mieux séparer les différents espaces : de vie, de travail, de zones de stockage et de déchets… ? On commence par faire le bilan de tout ce qui plaît ou ne plaît pas à l’éleveur : des poteaux électriques à cacher, une zone de parking du tracteur ou des visiteurs mal définie…" Un tour dans les environs aide à mieux se rendre compte de ce que les autres voient de l’exploitation selon les différents angles de vue. Le programme d’embellissement est programmé sur plusieurs années. « Il ne faut pas se mettre des objectifs trop durs à atteindre. On commence par des actions plus faciles à mettre en œuvre : trier et ranger le bazar, ramener de la couleur, revoir les sens de circulations…"
Les actions sont traitées sous quatre thématiques :
1. Les accès : quel plan de circulation pour optimiser les trajets des engins agricoles au sein du site et améliorer la biosécurité (marche en avant des camions, zone de parking…), différencier le chemin d’accès à la maison et à l’élevage (sécurité pour les enfants), limiter le nombre d’entrées pour mieux se protéger contre les vols ?
2. L’organisation de l’exploitation : Il existe de nombreux leviers pour gagner du temps, économiser sur les dépenses de fonctionnement et maintenir des abords propres.
3. Le patrimoine bâti : comment mettre en valeur les anciens bâtiments agricoles
4. La séparation vie professionnelle-personnelle lorsque l’habitation et l’exploitation se trouvent sur un même site.
Le coût d’une expertise paysagère varie selon le temps entre 200 et 600 euros. Elle comprend aussi les recherches de financements des aménagements et des esquisses de séquences végétales adaptées au contexte.