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Les illusions perdues de la filière porcine ukrainienne

Forte de sa compétitivité agricole, l’Ukraine pouvait devenir un acteur majeur en porc. Mais la propagation de la fièvre porcine africaine entrave les exportations, tandis que le marché intérieur s’est réduit depuis la crise de 2014.

Les grands élevages ukrainiens peuvent atteindre des niveaux de productivité comparables aux élevages d'Europe de l'Ouest.

La production porcine ukrainienne n’illustre pas le formidable potentiel agricole du pays. Avec 660 000 tonnes équivalent carcasses (tec) en 2017, la production nationale couvre quasiment la consommation des 43 millions d’Ukrainiens, mais à un niveau historiquement bas (15,5 kg par habitant et par an).

Un marché restreint dépendant de la consommation intérieure

La filière porcine ukrainienne ne s’est jamais vraiment insérée dans le commerce international. Production et consommation intérieures y sont intimement liées. La croissance économique soutenue du début des années 2000 (le PIB par habitant progresse de 6 % par an, hors inflation, entre 1998 et 2008) a entraîné une hausse de la consommation de produits du porc. Les besoins ont été comblés à la fois par la hausse de la production (+48 % de 2005 à 2015) et une amplification des importations, qui s’élèvent jusqu’à 30 % de la consommation intérieure en 2008.

La déstabilisation politique et économique du pays, à partir du début de l’année 2014 (révolution Maïdan), a entraîné l’effondrement des investissements et du pouvoir d’achat. La consommation a baissé de 30 % de 2013 à 2017, la production de 12 %, et les importations sont divisées par trois. La diminution continue de la population ukrainienne (-10 millions d’habitants depuis 1993) est un autre élément de dépression du marché intérieur. Elle s’est accélérée depuis 2014 en raison des pertes de guerre, de l’annexion de territoires par la Russie, et d’un exode massif vers l’Union européenne. Plus d’un million d’Ukrainiens travaillent en Pologne.

Compétitive en prix, la volaille de chair s’est progressivement substituée au porc dans les assiettes des Ukrainiens. La production nationale a quintuplé depuis 2000, et l’export a constitué un relais de croissance à partir de 2010. L’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne, entré en vigueur le 1er septembre 2017, renforce cette position offensive du poulet ukrainien.

Un tel scénario n’a pas été possible en porc. Les obstacles principaux en ont été l’absence d’investissements réguliers en élevage et abattage, et le manque d’application de règles strictes sur les plans sanitaire et de la traçabilité. La propagation de la fièvre porcine africaine (FPA) aggrave lourdement la situation. Depuis le premier foyer identifié en juillet 2012, le virus se diffuse de plus en plus vite : trois nouveaux foyers par mois étaient identifiés en 2015, 14 depuis 2017. En plus de fermer l’accès aux marchés à l’export, il entraîne des fermetures d’élevages et une perte de cheptel de 0,5 à 1 % par an depuis 2015.

Une production duale entre petits élevages et grandes entreprises

La FPA pourrait également accélérer la fermeture des plus petits élevages ukrainiens. Les élevages d’autoconsommation, sans statut d’entreprise agricole, représentent encore 46 % du cheptel. Les clés du développement sont entre les mains des plus grands élevages, surtout à l’ouest du pays, moins affecté par le conflit avec la Russie. L’urbanisation et le changement des modes de vie les favorisent, car ils accèdent aux marchés des GMS. La majorité des grandes entreprises, totalisant jusqu’à 20 000 truies chacune, ont doublé leur cheptel entre 2010 et 2018. Constituées par des investisseurs nationaux ou européens, principalement sur les bases des anciens kolkhozes, ces entreprises peuvent atteindre des niveaux de productivité comparables aux élevages d’Europe de l’Ouest. Les investissements de biosécurité y ont été priorisés avec la FPA. L’hétérogénéité entre élevages est importante, mais les coûts de production sont en moyenne 0,15 €/kg de carcasse inférieurs à ceux observés en France. Les prix des céréales y sont en effet 15 % inférieurs à ceux de France, les bâtiments deux fois moins coûteux, et la main-d’œuvre quatre à cinq fois moins rémunérée. À l’heure actuelle, leurs potentialités se limitent aux parts de marchés laissées vacantes par les élevages d’autoconsommation, et dépendent d’un rebond hypothétique du pouvoir d’achat.

boris.duflot@ifip.asso.frCet article est le fruit d’une étude coréalisée par l’Institut de l’élevage, l’Ifip et l’Itavi. Elle a été financée par FranceAgriMer.
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Rappel chronologique des événements politiques récents en Ukraine

Novembre 2013 le président de l’Ukraine, Victor Ianoukovitch, renonce à signer l’accord d’association entre l’Ukraine et l’UE-28. Réactions et manifestations d’envergure à Kiev et dans le pays.
17 janvier 2014 la Rada (parlement ukrainien) adopte des lois liberticides.
22 février 2014 répression violente par les Berkouts (forces spéciales) > 100 morts.
2 mars 2014 l’Ukraine se déclare objet d’une « déclaration de guerre de la Russie ».
28 avril 2014 le président russe rattache la Crimée à la Russie, qui envahit le Donbass (région russophone située à l’est du pays).
17 mars 2014 l’UE et les États-Unis appliquent les premières sanctions contre les intérêts d’oligarques proches du pouvoir en Ukraine.
6 août 2014 la Russie impose un embargo sur les importations agroalimentaires en provenance de l’UE, des États-Unis, de l’Australie, du Canada et de Norvège.
16 septembre 2014 la Rada et le Parlement européen ratifient l’accord d’association.
1er septembre 2017 entrée en vigueur de l’accord d’association.

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