« Je ne suis pas étonné qu’il y ait eu des échecs avec l'anesthésie générale des porcelets »
Philippe Le Coz, vétérinaire, président de la commission porcine de la société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV) réagit aux résultats de l'étude allemande sur la pratique de l'anesthésie générale sous irofluroane.
Philippe Le Coz, vétérinaire, président de la commission porcine de la société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV) réagit aux résultats de l'étude allemande sur la pratique de l'anesthésie générale sous irofluroane.
Votre organisation n’a pas d’appétence particulière pour la castration sous anesthésie. Vous vous en étiez ouvert dans un communiqué en 2020. Cette étude allemande peut-elle vous faire changer d’avis ?
Sincèrement, non. En 2020, nous avions expliqué que les méthodes disponibles aujourd’hui ne nous semblaient pas assez abouties pour être déployées en masse. Que ce soit pour la narcose de l’anesthésie gazeuse, l’injection intratesticulaire d’anesthésique local ou le gel appliqué dans la plaie de castration. La lecture de l’article confirme un peu malheureusement ce que nous avions prévu qu’il se passerait. Nous sommes en présence d’une méthode qui fonctionne très bien en milieu hospitalier ou en clinique vétérinaire. Mais elle n’est pas satisfaisante quand on la déploie dans les élevages puisqu’on constate de gros trous dans son efficacité.
C’est-à-dire ?
Normalement, quand vous procédez à une narcose, l’animal ne doit plus bouger, du tout. On voit que ce n’est pas le cas dans l’étude que vous citez. Beaucoup d’animaux réagissent et ce n’est pas normal même s’il est simple de comprendre pourquoi. Quand vous procédez à une narcose en clinique, la dose est calculée pour chaque animal, ce qu’il est impossible de faire quand vous systématisez pour obtenir une cadence convenable, compatible avec le rythme de travail de l’élevage. Et c’est un facteur qui n’est pas lié à l’appareil, tout comme celui du stress du porcelet qui peut influer sur la qualité de la narcose. Cette efficacité partielle est la source d’un problème futur : le risque est grand que la castration sous anesthésie générale soit remise en cause.
L’étude met en évidence d’autres inconvénients…
Oui, il y a celle du saignement qui est plus abondant, mais ça, on le savait déjà car c’est inhérent à l’utilisation de l’isoflurane. Et puis surtout, il y a le risque pour les manipulateurs. Je ne sais pas s’il est tolérable que certains d’entre eux aient des maux de tête de façon systématique. Mais globalement, je ne suis pas étonné qu’il y ait eu des échecs. C’est une technique qui peut-être utilisée ponctuellement, dans un élevage ici ou là avec des opérateurs particulièrement formés. Mais elle n’est pas généralisable parce que les élevages sont très hétérogènes. Le seul motif de satisfaction qui ressort de cette enquête, c’est que les éleveurs sont contents que les animaux ne bougent pas et qu’ils se réveillent rapidement.
Quel enseignement en tirer pour la France ?
La vertu de l’Allemagne dans cette affaire, c’est d’avoir pris une décision et mis les moyens pour la mettre en œuvre. En France, c’est sensible chez beaucoup de vétérinaires, nous avons un peu l’impression d’un rendez-vous manqué. Nous savons depuis deux ans que la castration à vif va être interdite, mais nous avons manqué le coche. Les filières auraient pu s’engager massivement dans d’autres voies, les mâles entiers, des schémas d’atténuation des odeurs sexuelles, la vaccination… Alors qu’on a l’impression, aujourd’hui, de n’avancer que vers la généralisation de l’anesthésie. Si des décisions avaient été prises, nous aurions eu les moyens de déployer des outils dans les abattoirs pour détecter les carcasses problématiques. Je ne dis pas que cela aurait été facile, la castration serait restée nécessaire pour certaines filières. Mais au final on n’a rien fait, et ce sont les éleveurs et les vétérinaires qui vont passer pour les mauvais élèves…