Colloque
Pari réussi pour Grand angle ovin
Pour sa première édition, Grand angle ovin a dressé un portrait large et diversifié de la filière ovine actuelle.
Une journée dédiée à la filière ovine, avec de nombreuses interventions traitant de questions techniques, économiques, sociétales et technologiques, telle est l’ambition de la première édition de Grand angle ovin qui s’est tenue à Paris le 14 mars. Le colloque était retransmis en direct sur six sites de l’Institut de l’élevage (à Angers, Clermont-Ferrand, Toulouse, Nancy, Limoges et Montpellier) et a ainsi permis à 160 personnes d’y assister. Organismes professionnels, interprofession, enseignement, administration, entreprises, les origines des participants étaient diverses mais en point commun, leur intérêt pour la filière ovine. Les 12 intervenants se sont succédé, alternant présentation éclair en trois minutes et exposé plus long. Animés par Patrick Soury, secrétaire général de la Fédération nationale ovine (FNO), les échanges avec les participants ont été nombreux.
Focus sur le Brexit, l’Océanie, la qualité de la viande et le loup
Le temps fort a été la table ronde organisée autour des avancées du Brexit, permettant à quatre experts d’éclairer l’auditoire sur la situation : Vincent Hébrail-Muet (DGPE), François Guérin (Copa-Cogeca), Philippe Chotteau (Institut de l’élevage) et Michèle Boudoin (FNO). La présidente du syndicat ovin a alerté : « la situation ovine européenne s’était stabilisée, les guerres intestines avaient été résolues. Nous travaillions ensemble avec le Royaume-Uni et l’Irlande pour promouvoir la viande d’agneau. Nos problématiques sont les mêmes : le renouvellement, la rémunération, la consommation. Si le Royaume-Uni sort de ces travaux et s’il ne peut plus exporter en France, l’agneau risque de ne plus être visible dans les rayons des supermarchés et le consommateur se tournera vers une autre viande. Le Royaume-Uni et la France sont liés et nous aurons du mal à vivre sans eux. » En effet, sur l’année 2018, le Royaume-Uni avait exporté 70 000 tonnes de viande ovine dans l’Union européenne. Si ces exportations ne se font plus, il faut s’attendre à une régression de 6 à 10 % de l’autosuffisance européenne en viande ovine.
L’Europe risque de devenir un marché d’opportunisme
Marie Carlier, du département économie à l’Institut de l’élevage, a enchaîné sur les risques encourus par la filière ovine face aux accords de libre-échange entre Union européenne, Australie et Nouvelle-Zélande. Les négociations de ces deux accords ont débuté en juin 2018 et se poursuivent aujourd’hui. Ces deux pays d’Océanie se distinguent par leurs systèmes de production extrêmement compétitifs avec des prix de production bas. Pour l’Australie comme la Nouvelle-Zélande, l’élevage ovin reste très dépendant du climat et suit la pousse de l’herbe. Aussi, en cas de sécheresse dans ces pays, les abattages d’ovins augmentent drastiquement. Au niveau mondial, le marché européen est le plus rémunérateur pour les morceaux de qualité tels que les gigots et épaules mais l’accès est limité aux contingents. La Nouvelle-Zélande mise aujourd’hui massivement sur le marché chinois, très demandeur de poitrine notamment. Si les accords de libre-échange aboutissent et que la viande ovine ne bénéficie pas de protection particulière, des effets négatifs sont à prévoir. Dans le cas de la Nouvelle-Zélande, l’Europe sera un marché d’opportunisme en cas de fermeture de la Chine. « Il est difficile de prévoir l’évolution de la production ovine chinoise, souligne Philippe Chotteau, chef du département économie de l’Institut de l’élevage. Mais pour l’instant, elle est nettement inférieure à la demande. » Concernant l’Australie, les exports risquent d’augmenter si n’y a plus la barrière des taxes douanières. Pour Michèle Boudoin, il est clair que « la Commission européenne doit réfléchir à comment ne pas perdre le marché face à la Nouvelle-Zélande. Si les éleveurs ovins européens se font étouffer, des territoires vont être perdus car le mouton est souvent là où rien d’autre ne peut être mis. »
La technologie doit aider l’éleveur, pas le stresser
L’incontournable question du loup a bien sûr été abordée. Michel Meuret, directeur de recherche à l’Inra, a tenté d’expliquer l’échec des moyens de protection mis en œuvre en France et les pistes pour remédier à cette situation et éviter de la reproduire sur les nouveaux fronts de colonisation du prédateur. « Il faut que le loup associe à nouveau présence humaine et danger et, à ce moment-là, chiens, clôtures, lumières, etc. reprendront tout leur sens », appuie-t-il. Deux ingénieurs de l’Institut de l’élevage ont dressé la liste des innovations numériques qui enrichissent ou enrichiront le travail en élevage ovin. « Avant de se lancer dans un investissement de ce type, il faut évaluer la valeur d’une brebis et d’un agneau, que cela soit cohérent avec le montant à investir, détaille Jean-Marc Gautier, chef du service « Capteurs, équipements et bâtiments ». Il faut aussi que ce soit adapté à la taille du troupeau et à au type de système. Enfin tous les appareils ne sont pas forcément conçus pour l’élevage ovin, il faut bien avoir ça à l’esprit. » Les appareils pour soulager l’éleveur au quotidien et faciliter la surveillance du troupeau sont par ailleurs nombreux, comme le souligne Denis Gautier, responsable de la ferme expérimentale du Ciirpo. « Nous avons testé le pistolet drogueur automatique qui s’adapte au poids des animaux, il y a la géolocalisation des animaux au pâturage qui permet à l’éleveur de surveiller sur son téléphone ses bêtes, ou encore les clôtures virtuelles. » Dans la salle, on s’inquiète néanmoins de l’hyper-connexion de l’éleveur de demain. « Il faut que cela reste une aide et non pas une charge en plus qui stresse l’éleveur », conclut Michèle Boudoin.
L’agneau français est plus tendre que celui d’import
En ce qui concerne la consommation d’agneau en France, Christophe Denoyelle en a étudié les tendances. « La génération Y ou millenials, ceux nés entre 1980 et 2000 sont hyperconnectés, veulent être le plus indépendants possible et sont très sensibles à ce qu’ils mangent », explique le chef de service « qualité des carcasses et des viandes » à l’Institut de l’élevage. Globalement, la viande souffre, avec de moins en moins d’achat. Pour la viande ovine, double peine car il y a aussi de moins en moins d’acheteurs, ceux-ci étant majoritairement âgés. Un des enjeux principaux et de parvenir à produire de la qualité de manière constante. Et prouver la différence entre la viande française, « fraîche » et la viande d’import, qui se conserve plus longtemps. Celle-ci ayant été maturée plus longtemps, elle donne une texture plus dure ce qui peut être une des causes du rejet que peut avoir le consommateur de la viande d’agneau.