Fièvre catarrhale ovine : « Se lever le matin pour ramasser des cadavres et donner des antidouleurs aux brebis à terre ça brise le cœur »
Michèle Boudoin, président de la fédération nationale ovine (FNO), et éleveuse de moutons dans le Puy-de-Dôme, fait le point pour Reussir.fr sur la situation économique et psychologique très difficile des éleveurs touchés par la fièvre catarrhale ovine (FCO), essentiellement le sérotype 8.
Michèle Boudoin, président de la fédération nationale ovine (FNO), et éleveuse de moutons dans le Puy-de-Dôme, fait le point pour Reussir.fr sur la situation économique et psychologique très difficile des éleveurs touchés par la fièvre catarrhale ovine (FCO), essentiellement le sérotype 8.
Comment décririez-vous la situation pour les éleveurs ovins face à la fièvre catarrhale ovine (FCO) ?
Michèle Boudoin : La situation est catastrophique, sans commune mesure avec l’épisode de FCO qui a duré de 2008 à 2015. Et ce pour plusieurs raisons. On a une recrudescence de cas de FCO8 et un nouveau sérotype, la FCO3, qui arrive par le Nord, plus la MHE qui touche aussi un peu les ovins. Pour le tout petit secteur que nous sommes avec le peu de moyens que nous avons, nous n’avions pas besoin de ça alors que l’on remontait un peu la pente avec de nouvelles installations.
Notre préoccupation principale se porte vers la nouvelle génération
Notre préoccupation principale se porte vers cette nouvelle génération même si on entend tout la désespérance psychologique et économique de tous les éleveurs de moutons. Les services vétérinaires nous accompagnent, on essaie de traiter au plus pressé avec les services de la DGAL qui font de leur mieux.
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Comment en est-on arrivés là ?
Pour le sérotype 8, depuis des mois nous manquons du vaccin Syvazul 4-8 (du laboratoire espagnol Syva, sachant que l’Espagne est aussi confrontée à une recrudescence de cas de FCO8, ndlr), le plus adapté pour les ovins et se réalisant en une injection. Sachant que la FCO8 est une maladie endémique depuis 2015 et donc à la charge des éleveurs, ce vaccin coûte de 1,50 à 4 euros (selon la situation géographique de l'élevage, le lien entre le vétérinaire et sa plateforme de commandes, le type de conditionnement, ndlr). La mise en place du vaccin sur une exploitation moyenne de 350 à 500 brebis s’ajoute aux autres traitements sanitaires. Les autres vaccins qui sont mixtes pour les bovins et ovins se font en deux injections (8 euros les deux injections) et sont compliqués à mettre en place dans la plupart des élevages.
Un budget de protection sanitaire de 7000 à 8000 euros serait nécessaire, les éleveurs n'ont pas les moyens
Pour pouvoir faire face à toutes les maladies, un budget de protection sanitaire de 7000 à 8000 euros serait nécessaire. Les éleveurs n’ont pas les moyens quand on sait qu’en moyenne, selon le Rica, un éleveur ovin gagne 20 000 euros de revenu par an. Personnellement j’ai décidé de vacciner tous mes béliers à 8 euros l’an dernier.
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Par ailleurs, alors qu’en 2008-2015 les vétérinaires pouvaient faire des tests PCR, pris en charge par l’Etat, sur les prises de sang d’élevages sentinelles et ainsi avoir une photographie de la situation, depuis 2015 (et la déclaration de FCO8 comme endémique sur tout le territoire, ndlr), les tests PCR ne sont plus pris en charge. Or un test PCR coûte 15 euros par brebis pour une aide ovine de base dans la PAC de 21 euros.
Tout cela explique pourquoi nous n’avons pas pu anticiper et vacciner cette année.
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Avez-vous une estimation du nombre d’élevages touchés par la FCO 3 et FCO 8 ? Et quelle part de mortalité ?
On n’en sait rien ! On a écrit plusieurs courriers au ministre depuis décembre pour lui demander de relancer les tests PCR et rechercher FCO 4, 8 et 3 afin d'évaluer la circulation du virus et de permettre une meilleure anticipation des commandes de vaccins. Depuis mi-août la FCO est recherchée dans tous les élevages qui ont des cas cliniques, on va pouvoir maintenant mieux évaluer.
Je dirais que 7 élevages sur 10 sont touchés
Avez-vous quand même des estimations ?
Je dirais que 7 élevages sur 10 sont touchés.
Et pour la mortalité ?
Dans le Puy-de-Dôme par exemple c’est plus de 5% de taux de mortalité. Dans mon élevage j’en suis à 7% (33 bêtes sur 500) mais ça peut aller jusqu’à 40 à 60% en Haute-Loire.
Dans mon élevage je suis à taux de mortalité de 7%
Comment voyez-vous la situation évoluer ?
Nous sommes en rupture totale du vaccin Syvazul depuis 15 jours. Les brebis meurent et les services d’équarrissage ont dû doubler voire tripler leur collecte. Hier j’ai perdu 13 brebis, aujourd’hui 2 de plus. C’est très compliqué à gérer. Je pense à tous les éleveurs touchés qu’il faut accompagner économiquement et psychologiquement. Je suis éleveuse depuis plus de 30 ans, c’est la pire période de ma vie.
Je suis éleveuse depuis plus de 30 ans, c’est la pire période de ma vie
Psychologiquement, se lever le matin pour ramasser des cadavres et donner des antidouleurs aux brebis qui sont à terre, sans pouvoir les sauver, ça brise le cœur. Je pense aux jeunes éleveurs qui se sont récemment installés. On a mis en place une cellule psychologique sur mon département et on les a tous appelés, car certains se terrent dans le silence.
C’est important que l’on ait des signaux des pouvoirs publics car on travaille avec du vivant et on accompagne nos animaux tous les jours. Et on se sent impuissants face à la souffrance animale.
Pour les éleveurs de Rhône-Alpes, à la FCO s’ajoutent les attaques du loup, ce n’est plus possible ! Il va falloir quand même redonner de l’espoir à ces gens.
Que demandez-vous aux pouvoirs publics ?
Il nous faut des vaccins (gratuits si possible) : l’Etat doit peser pour que l’on ait le vaccin adapté aux ovins (le Syvazul) et que l’on puisse respecter le protocole en Aveyron (fortement touché en 2023). Il nous faut aussi la possibilité de déclarer tous les foyers. S’il se remet à pleuvoir et s’il ne fait pas froid, le virus va décimer tous les troupeaux.
Il nous faut une pause sur les contrôles PAC en 2024 et 2025 sinon on risque la double peine
Et puis il nous faut une pause sur les contrôles PAC en 2024 et 2025, sinon on risque la double peine, avec une baisse des aides PAC, en cas de pertes de brebis. Sachant aussi que les éleveurs vont devoir recapitaliser. Il faut que l’on puisse évoquer le cas de force majeure. D’autant plus pour les jeunes éleveurs qui ont une bonification de 6 euros pour l’aide ovine. Il nous faudrait aussi des indemnités pour les impacts économiques avec un encadrement spécifique pour les jeunes installés.
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Quel risque sinon à moyen terme ?
L’agneau français ne représente déjà que 47% de la consommation française. Si on n’arrive pas à avoir tous les agneaux attendus à l’automne et si on utilise les agneaux femelles pour reconstituer le cheptel, la filière va manquer d’agneaux. On espère qu’il n’y aura pas plus d’agneaux néozélandais importés. Les prix des agneaux français vont augmenter mais face au problème de pouvoir d’achat encore faudra-t-il que les consommateurs français puissent en acheter. Je rappelle toutefois que la maladie n’est pas contagieuse entre brebis et ne se retrouve pas dans la viande, il faut continuer à manger français !
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Quels conseils peut-on donner aux éleveurs en dehors des consignes déjà diffusées ?
On avance en marchant, il nous faut un maximum de retours d’expériences. Je mise sur le retour du froid pour stopper la maladie. Car aujourd’hui il n’y a pas de règles. Entre 2008 et 2015 mes brebis étaient protégées en montagne, aujourd’hui celles que je perds le plus sont celles qui reviennent de la montagne.
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