[Le Boeuf éthique] Né, élevé et abattu sur un même site
Depuis la fin août, l’abattoir mobile de la société Le Bœuf éthique se déplace de ferme en ferme dans le bocage bourguignon. Une petite révolution dans le monde de l’abattage. Ce ne sont plus les animaux que l’on amène à l’abattoir, mais l’inverse.
Depuis la fin août, l’abattoir mobile de la société Le Bœuf éthique se déplace de ferme en ferme dans le bocage bourguignon. Une petite révolution dans le monde de l’abattage. Ce ne sont plus les animaux que l’on amène à l’abattoir, mais l’inverse.
Quelques dizaines de mètres et à peine deux minutes. En cette matinée ensoleillée d’octobre, c’est la distance et le temps qu’il aura fallu pour que le veau de lait et les deux génisses charolaises nées et élevées sur cette ferme de Côte-d’Or quittent leur case confortablement paillée pour se retrouver assommées, pendues puis saignées dans le camion de l’abattoir mobile de la société Le Bœuf éthique.
« Mes bêtes n’ont pas eu le temps de s’en rendre compte. Je pense qu’elles ont cru qu’elles partaient au pré. À peine étaient-elles bloquées dans la cage de contention située à l’arrière du camion de l’abattoir mobile, qu’elles étaient déjà mortes ! », estime Michel (1), leur éleveur, chez qui c’était le troisième passage de l’abattoir mobile depuis la fin de l’été. Et d’ajouter : « avec l’abattage à la ferme, on voit comment cela se passe. Dans les autres circuits, une fois que nos animaux sont montés dans le camion c’est l’inconnu. On ne sait même pas s’ils sont destinés à être abattus de façon rituelle ».
Transport en carcasse et non en vif
Cet outil concerne la seule espèce bovine. Son coût est de 1,5 million d’euros et il a été mis en service le 25 août dernier. Il est l’aboutissement pour Émilie Jeannin, son instigatrice, de plusieurs années de travail. Cinq années auront été nécessaires pour faire évoluer la réglementation, lever les fonds nécessaires et réunir les bonnes personnes afin de constituer une équipe prête à s’investir. Une tâche ardue, menée contre vents et marées par cette éleveuse de Charolaises de Côte-d’Or, associée avec son frère Brian sur l’exploitation familiale.
Ce projet a, entre autres, été éligible à une aide de 581 000 euros octroyée dans le cadre du plan France relance. « Le développement de l’abattage mobile contribue à répondre aux fortes attentes économiques et sociétales en termes d’innovation, de bien-être animal et de maillage territorial en capacités d’abattage de proximité », a pour cela argumenté le ministère de l’Agriculture. Cet outil mobile est pratiquement un copier-coller d’un modèle existant en Suède depuis 2014. « J’étais allée voir sur place comment il fonctionnait et j’avais été bluffée ! Pas de bruit, pas d’odeur ! », explique Émilie Jeannin, également membre de la section bovine d’Interbev pour la Confédération paysanne.
C’est surtout une petite révolution dans le secteur de l’abattage puisque c’est l’abattoir qui se déplace vers les animaux et non l’inverse en évitant les habituelles étapes que sont la ramasse en ferme, le passage dans un centre d’allotement puis le transport vers un lieu d’abattage plus ou moins éloigné. En permettant d’abattre les animaux là où ils ont été élevés et engraissés c’est aussi un atout à mettre en avant en particulier auprès de consommateurs parfois passablement échaudés par certaines pratiques, tout en permettant de leur garantir que les animaux n’auront pas été obligés de subir l’abattage rituel.
Première période de mise en route
Entre le 25 août et la mi-octobre des abattages ont eu lieu dans six fermes de Côte-d’Or et de Saône-et-Loire avec jusqu’à trois passages sur certaines pour un total de 47 animaux abattus. Cette première période de mise en route a permis aux cinq personnes fraîchement recrutées de se faire la main pour l’utilisation de ce nouvel outil, lequel est suivi de près par la direction départementale de la protection des populations, avec un vétérinaire systématiquement présent au moment des abattages. « L’abattoir ne peut pas être déplacé pour une seule vache. Il faut au minimum quatre animaux par ferme pour justifier le déplacement », précise Émilie Jeannin, également présidente de la société Le Bœuf éthique, à qui appartient cet abattoir mobile et en charge de l’achat des animaux, de leur abattage puis de la vente de la viande qui en résulte. Pour permettre son fonctionnement, 12 personnes ont été recrutées en incluant les cinq salariés en charge du fonctionnement de l’abattoir mobile.
« Quelque 150 éleveurs nous ont contactés. Pour l’instant nous avons contractualisé avec une trentaine d’entre eux. Notre planning d’abattage est plein jusqu’à Noël », soulignait mi-octobre Émilie Jeannin. Au préalable, les fermes dans lesquelles le passage du camion est planifié ont été auditées par Mathilde, la responsable des relations avec les éleveurs : quelles sont les conditions d’élevage des animaux ? Quels types d’animaux seront disponibles ? À quelles échéances ? Les accès et les abords des bâtiments sont-ils compatibles avec le positionnement des trois camions ? Après avoir défini les conditions d’achat pour chaque catégorie de bovin selon les indicateurs de coûts de production fournis par Interbev, les dates d’abattage sont ensuite planifiées. Tous les animaux abattus sont commercialisés par la société Le Bœuf éthique dont la marque repose sur ce même nom. Il n’est par exemple pas prévu de proposer aux éleveurs des prestations de service pour de l’abattage en ferme pour des animaux qui seraient par la suite destinés à la vente directe.
Atelier de découpe d’Autun
Une fois les animaux abattus, le camion frigo se rend très régulièrement à l’abattoir public d’Autun en Saône-et-Loire. C’est dans ses frigos que sont maturées les carcasses et c’est aussi dans l’atelier de découpe couplé à cet abattoir que sont préparées les commandes en travaillant alors en prestations de service. « Côté abats, on ne travaille que les joues, la langue, le cœur, le foie et les rognons. La tripe n’est pas valorisée. Une triperie est trop gourmande en place et en eau pour notre système de fonctionnement. On s’interroge pour savoir comment il serait possible de mieux valoriser les peaux. »
Pour l’instant la viande est vendue dans des boucheries artisanales, des restaurants et directement auprès de particuliers, sans non plus occulter quelques créneaux dans la restauration collective. « Comme partout, notre souci est de valoriser l’ensemble de la carcasse. Nous mettons en avant le fait de travailler avec un produit noble, local et éthique. On a de bons retours sur la qualité de nos produits. L’absence de stress dans les moments qui précèdent l’abattage y est à mon avis pour beaucoup », estime Émilie Jeannin.
Le service commercial est efficacement secondé pour les commandes des particuliers par le site internet de l’entreprise. L’ambition est d’atteindre rapidement le rythme d’une bonne quinzaine d’animaux par semaine pour, dans l’idéal, arriver à 850 à 1 000 têtes par an, en ne travaillant qu’avec des animaux (vaches, génisses, bœufs et veaux) de race à viande. Les fournisseurs peuvent produire en bio comme en conventionnel mais le souci est toujours d’avoir des animaux suffisamment finis. « Nous devons d’abord consolider notre fonctionnement et faire nos preuves. On n’a pas le droit à la moindre erreur côté hygiène. »
Un projet diversement apprécié
Si cet objectif de 1 000 têtes par an est bien modeste comparé au 1,5 million de tonnes équivalent carcasse de viande bovine (gros bovins + veaux) consommées en France l’an dernier, Émilie Jeannin ne manque pas d’évoquer les pressions exercées à différents niveaux pour que le projet ne voie jamais le jour en particulier de la part de grosses entreprises d’abattage.
« Si on veut maintenir de l’élevage dans nos zones, il est de toute façon indispensable de faire revenir de la plus-value sur nos fermes », souligne pour sa part Michel, l’éleveur chez qui était installé l’abattoir lors de cette journée d’octobre. « Pour l’instant, je suis plutôt séduit par cette démarche. Et puis on ne peut pas être contre une initiative de ce type qui cherche à tirer le prix de notre produit vers le haut. C’est à encourager ! », souligne cet éleveur bourguignon.
Une équipe de cinq personnes
Julien, David, David, Louis et Guillaume sont les cinq salariés de la société Le Bœuf éthique en charge de l’abattage. Quatre d’entre eux travaillaient jusque-là dans d’autres abattoirs de plus grande dimension. Seul l’un des deux David était chauffeur mais avec une bonne connaissance de la manipulation du bétail. Pour l’instant, les tâches de chacun demeurent rigoureusement les mêmes avec quatre opérateurs en permanence dans les camions pendant la phase d’abattage à proprement parler tandis que le cinquième est un peu l’ « homme à tout faire » à l’extérieur. « Détail qui a son importance, trois d’entre eux sont titulaires du permis poids lourd », souligne Émilie Jeannin. Le rythme est d’un peu plus d’un bovin par heure entre le moment où l’animal entre dans le piège et celui où sa carcasse est pesée. L’essentiel du travail a lieu dans la matinée et se prolonge un peu en début d’après-midi. « Après on mange ensemble et le reste de la journée est consacré au nettoyage. Cela nous prend environ 90 minutes quel que soit le nombre d’animaux qui ont été abattus. Il faut que tout soit propre et prêt pour le lendemain matin », précise Guillaume, le responsable de l’équipe.
Trois camions côte à côte
L’abattoir mobile se compose de trois camions, lesquels doivent être très précisément positionnés à proximité de la stabulation.
Le plus imposant est un semi-remorque modulable dans sa largeur et sa hauteur. C’est l’abattoir à proprement parler dans lequel se déroulent toutes les étapes depuis l’étourdissement jusqu’à la pesée fiscale. Le second est un camion équipé d’une caisse frigorifique, laquelle est scindée en deux parties. Une pour la « salle » de ressuyage, pour faire tomber la température au cœur du muscle à moins de 7 °C en 24 heures. L’autre est la partie « stockage » d’une capacité maximum de 24 carcasses. Ces dernières sont en suspension pelvienne d’abord pour des questions de hauteur mais également pour chercher à améliorer la tendreté de la viande. La troisième partie est la remorque du dernier camion lequel est utilisé pour faire du stockage. Cette remorque abrite un bureau, une douche, des toilettes et un vestiaire. C’est aussi le sas qui permet aux quatre salariés en charge de l’abattage de pénétrer dans le camion abattoir. Le tout permet d’avoir sur une surface réduite tous les équipements nécessaires à l’abattage, la mise en demi-carcasse, le ressuyage puis la conservation en frigo. Et répondant évidemment aux normes d’hygiène et de sécurité alimentaire ainsi qu’aux exigences prévues par la réglementation française et européenne.
Surface plane et stabilisée
Ces trois éléments doivent pouvoir être stationnés sur une surface plane et stabilisée, proche des bâtiments d’élevage et mesurant dans l’idéal au moins 15 x 30 mètres. Les animaux passent de la stabulation à l’abattoir via un couloir d’amenée réalisé avec des barrières mobiles. « Une fois les camions sur la ferme, il nous faut un peu plus d’une heure pour tout brancher et positionner », explique Guillaume, responsable de l’équipe. Côté accessibilité, la période estivale n’est pas la plus compliquée. L’hiver est davantage redouté. La terre est souvent argileuse dans les fermes bourguignonnes, d’où l’importance d’avoir des abords aux surfaces bien stabilisées en cas de longue période humide. L’autre problématique avec laquelle il va falloir composer est celle du gel. Mais le fait que cet outil ait été conçu par des Suédois puis fabriqué par des Finlandais permet d’être plutôt confiant sur ce volet.