[Tribune] Jérémy Decerle : "Ah, tiens, l’agriculture est un secteur stratégique"
Avec la crise du coronavirus, la place de l'agriculture et de l'agroalimentaire redevient centrale. Jérémy Decerle, député européen, agriculteur et ancien président des Jeunes Agriculteurs, a rédigé une tribune.
Avec la crise du coronavirus, la place de l'agriculture et de l'agroalimentaire redevient centrale. Jérémy Decerle, député européen, agriculteur et ancien président des Jeunes Agriculteurs, a rédigé une tribune.
"Nous avons tous été, citoyens, comme responsables politiques, pris de court par la crise du COVID 19 et ses conséquences. Je ne crois pas qu'il pouvait en être autrement. Le premier constat personnel que je fais est que chacun fait de son mieux, à son niveau, pour y faire face, et en premier lieu ceux qui sont en première ligne. Admiratif de ces efforts, petits et grands, consentis par beaucoup, je suis prêt à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour leur faciliter le travail. Je ne peux cependant m'empêcher de réagir plus « épidermiquement » à la dimension alimentaire de cette crise, qui me touche en tant que citoyen, en tant que Député européen mais aussi, et avant tout, en tant qu'agriculteur et ancien responsable syndical agricole.
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Fallait-il une crise de cette nature pour que nous nous rendions compte que l'alimentation, la pêche, l'agriculture sont bien des secteurs économiques stratégiques ? Que celles et ceux qui y travaillent, bien qu'ils ne représentent qu'une faible part de la population active, ont entre leurs mains la survie quotidienne de tous les autres ? Qu'on leur demande beaucoup, tout le temps, qu'on les critique, trop souvent, mais qu'au fond ce dont nous avons d'abord besoin c'est qu'ils ne s'arrêtent surtout pas de travailler ? Qu'en Europe, nous produisons presque tout ce dont nous avons besoin pour une alimentation de qualité, diversifiée, équilibrée (avec néanmoins un déficit en protéines végétales qu'il faudra bien traiter un jour) ? L'heure n'est pas au bilan, mais il faudra en faire un.
Quoi qu'il en soit je ne peux que me réjouir, aujourd’hui, des messages clairs et communs qui sont passés depuis plusieurs jours par la profession agricole et le secteur agro-alimentaire, et de l’effort exemplaire de mobilisation du gouvernement français sur le sujet. Et je ne peux que me réjouir que l'appel aux bras lancé par le Ministre de l’Agriculture, pour répondre au besoin urgent de main d’œuvre pour les récoltes, ait été largement entendu. Bien sûr dans le respect des gestes barrières et de l’intérêt général. Je suis fier, je le dis aussi, de l'effervescence immédiate et sereine, on le voit notamment sur les réseaux sociaux, qui s'est emparée des agriculteurs, malgré toutes leurs difficultés, pour assurer le job et rassurer les consommateurs.
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Je ne peux, pour ma part, que m'engager à veiller, avec mes collègues députés européens, à ce que l'Europe soit à la hauteur de l'enjeu et puisse apporter, là où elle en a les compétences, les réponses, les outils et le soutien nécessaire au secteur. Je ne peux également qu’encourager tous les pays européens à faire de cette crise l’occasion de remettre au-devant de leurs priorités l’agriculture et l’alimentation. Cette expérience que nous vivons doit nous faire prendre conscience collectivement du -trop- fragile équilibre sur lequel repose aujourd’hui notre souveraineté et notre indépendance alimentaires.
Si nous ne faisons rien, si nous ne redonnons pas un sens à l’agriculture européenne, si nous ne redonnons pas notamment un cap à la Politique agricole commune, si nous ne revalorisons pas l’image de nos agriculteurs, si nous continuons à faire de l’agriculture la variable d’ajustement de nos négociations commerciales avec les reste du monde, alors un jour viendra où même les pâtes disparaitront de nos rayons.
C’est un cri du cœur que je souhaite aujourd’hui adresser. Mobilisons-nous, mobilisons-nous tous, à tous les niveaux, et partout en Europe, pour nos agriculteurs, ces hommes et ces femmes qui nous nourrissent quotidiennement, et plus que jamais en ces temps de confinement où la nourriture est réapparue comme l’essentiel. Mobilisons-nous en sécurisant la chaine d'approvisionnement. Mobilisons-nous en cueillant les fruits et les légumes. Mobilisons-nous pour faciliter l’acheminement des produits. Et mobilisons-nous aussi en mangeant, autant que possible, local, avec l’appui de tous les circuits, dont ceux de la grande distribution, frais et varié. Par exemple, en pleine période de Pâques, pourquoi manger moins d’agneau ou renoncer au vin ?
Puisse cet élan, déjà engagé, nous mettre dans la bonne direction, pour l'urgence mais aussi, et surtout, pour l'avenir."