La Chine menace-t-elle la sécurité alimentaire mondiale ?
Un article publié le 10 février sur le site The Conversation explique pourquoi la Chine est une menace bien plus importante que la guerre en Ukraine pour la sécurité alimentaire mondiale.
Un article publié le 10 février sur le site The Conversation explique pourquoi la Chine est une menace bien plus importante que la guerre en Ukraine pour la sécurité alimentaire mondiale.
Antoine Bouët, directeur du CEPII (Centre d’études prospectives et d'informations internationales), Christophe Gouel, conseiller scientifique au CEPII et directeur de recherche à Inrae et François Chimits, économiste au CEPII signent un article intitulé « Pourquoi la Chine, plus que la guerre en Ukraine, menace la sécurité alimentaire » publié sur le site The Conversation. Ils y expliquent que « l’invasion de l’Ukraine par la Russie n’était pas la cause première de cette crise, mais un facteur aggravant d’une situation tendue qui lui préexistait ».
La politique menée par Pékin pour répondre à sa demande intérieure en matière de blé, de riz ou de maïs contribue fortement à la hausse des prix sur les marchés internationaux. https://t.co/65NglMZCSK
— The Conversation France (@FR_Conversation) February 11, 2023
Pour eux, les causes des évolutions des prix des céréales, de l’énergie, des fertilisants et des oléagineux sont multiples mais « l’une d’elle est rarement évoquée : la politique menée en Chine pour assurer sa sécurité alimentaire ». Ils soulignent qu’avec 18 % de la population mondiale pour seulement 8,6 % des terres arables en 2020, le pays fait face à « un défi quasi structurel de sécurité alimentaire ».
D’importantes importations de produits agricoles et alimentaires
A cause de l’urbanisation galopante, la surface des terres arables chinoises a considérablement diminué avec une productivité moyenne plutôt modeste, une situation aggravée par la pollution des sols et la transformation du régime alimentaire de plus en plus tourné vers des produits d’origine animale. La production intérieure n’a pas pu suivre toutes ces évolutions et les importations de produits alimentaires ont commencé à augmenter en 2002 et la Chine est devenue le premier importateur mondial de produits agricoles et alimentaires en 2012.
Les auteurs mentionnent un autre facteur aggravant : l’épizootie de peste porcine africaine ayant détruit la moitié du cheptel porcin chinois en 2018. « La reconstitution de ce cheptel à partir de 2020-2021 a conduit la Chine à importer beaucoup plus de maïs : plus de 29 millions de tonnes, contre jamais plus de 8 millions auparavant. Un tel accroissement de demande, qui correspondait à 2,5 % de la production mondiale, a significativement contribué à l’augmentation des prix mondiaux en 2021 » notent les auteurs.
500 millions de tonnes de grains stockés
Soucieuses de préserver la sécurité alimentaire du pays, les autorités chinoises ont publié en 2008 un « premier plan-cadre spécifique, fixant un objectif d’autosuffisance pour le blé et le riz à l’horizon 2030 ainsi que la sanctuarisation d’une certaine surface de terres arables » auquel s’est ajouté à partir de 2006 « un programme de soutien aux prix, particulièrement généreux pour les producteurs » rappellent les auteurs.
Au final, la Chine a constitué, entre 2010 et 2017, un énorme stock de grains, comme le rappelait le 14 février Thierry Pouch, agroéconomiste pour Chambres d'Agriculture France. Aujourd’hui estimés à près de 500 millions de tonnes de grains pour une consommation annuelle de 780 millions de tonnes, les stocks actuels correspondent à près d’un tiers des importations chinoises depuis 2000 estiment les auteurs qui poursuivent : « Du fait de la taille du pays, le stockage chinois de céréales et d’huiles végétales a des répercussions significatives sur les équilibres globaux. Concernant le blé, les stocks chinois représenteraient aujourd’hui environ 20 % de la consommation mondiale, soit 54 % des stocks mondiaux. La situation serait pire pour le maïs (69 %) et le riz (64 %) ».
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« La Chine a fait effondrer le marché des fertilisants »
Les auteurs expliquent que la Chine n’utilise pas ses stocks pour absorber les chocs temporaires ou pour bénéficier des hausses de prix comme cela se fait couramment. Ainsi ce sont les importations qui répondent à l’augmentation pour l’alimentation animale. « Lorsque les prix flambent en 2022 et que les grands pays exportateurs vident leurs stocks, les stocks chinois ne bougent pas, malgré les opportunités de profits » ajoutent-ils. Ils expliquent que Pékin a fait effondrer le marché des fertilisants : « La Chine a mis en place le 18 août 2021, donc bien avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, une interdiction, jusqu’au 31 décembre 2022, d’exporter du phosphate rock, ainsi que des licences d’exportation de fertilisants. Avant cela, la Chine réalisait 11 % des exportations mondiales d’engrais azoté, 1,2 % de celles de potasse et 11 % de celles de phosphate ». En conséquence, l’offre de fertilisants s’est effondrée sur le marché mondial et les prix se sont envolés en août 2021.
« La vente des stocks chinois pourrait mettre fin aux tensions »
Dans leur conclusion, les auteurs expliquent que « même si la Chine n’est pas la seule responsable de la crise actuelle, ses politiques y ont contribué, alors même que la vente des stocks chinois pourrait mettre fin aux tensions ». Et vont plus loin dans leur analyse en affirmant qu’« en dépit des initiatives de la France, de l’UE et du G7, au plus fort des tensions sur les marchés agricoles mondiaux, Pékin n’a fait état d’aucune volonté d’aller au-delà des mécanismes multilatéraux existants ». Et comme la Chine a plus fréquemment traité le sujet de la sécurité alimentaire dans les échanges bilatéraux et plurilatéraux, les auteurs craignent « une préférence pour Pékin pour une forme de « multi-bilatéralisme », plus à même de permettre une exploitation géostratégique de sa puissance de marché ».