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Election présidentielle 2022
Garantir à tout le monde de bien manger : le projet « révolutionnaire » de Fabien Roussel

Candidat à l’élection présidentielle pour le parti communiste français, Fabien Roussel s’est vite démarqué dans la campagne par ses déclarations sur l’alimentation. Il détaille pour Reussir.fr son programme agricole et alimentaire. Interview exclusive.

Vous avez été le premier à vous emparer de l’alimentation comme sujet de campagne, pourquoi en faire une question centrale ? Vous cherchez à toucher un électorat plus rural ?

Fabien Roussel : J’ai fait le choix très tôt, lors du sommet de l’élevage, d’organiser ma première rencontre des jours heureux sur l’alimentation et l’agriculture, à Billom, une commune rurale (dans le Puy de Dôme). C’était un choix délibéré de s’adresser à ces millions de Français qui vivent dans la ruralité mais aussi à tout le monde sur la question de l’alimentation. Manger en France c’est sacré, et bien manger c’est une question importante. Mais permettre de garantir à tout le monde de bien manger alors là ça devient un sujet de société. Cela devient même un projet révolutionnaire. Parce que c’est difficile. Il y a 7 millions de Français qui font la queue à l’aide alimentaire. Beaucoup n’ont pas le pouvoir d’achat. Et il s’agit de nourrir avec des produits français. Et donc cela pose la question de filières, d’investissements, de la formation d’agriculteurs, et de la juste rémunération de tous les paysans….

On a fixé l’objectif d’avoir 500 000 paysans en France d’ici à 2050

Est-ce un sujet nouveau pour le Parti communiste ?

Nous avons une implantation rurale, par nos élus, comme le député André Chassaigne, président du groupe, très reconnu par sa connaissance du terrain, ou Jean-Paul Dufrègne. Nous avons un magazine, la Terre, qui s’adresse au monde paysan. Ces racines paysannes font partie de notre histoire. Pour moi, c’était important après quinze ans d’absence (du PCF) à une élection présidentielle, de s’adresser à tout le monde par le biais de l’alimentation et de s’adresser au monde paysan à travers cette question. L’alimentation est un sujet central et derrière il y a la question des filières et de l’avenir de l’agriculture française. On a fixé l’objectif d’avoir 500 000 paysans en France d’ici à 2050. Cela veut dire en former beaucoup et faire en sorte que ceux qui s’investissent dans cette profession puissent en vivre.

Plusieurs de vos camarades de gauche vous ont reproché une sortie franchouillarde, avez-vous compris cette polémique ?

Je sais que nous avons des divergences mais j’ai été surpris par la violence des propos de certains écologistes ou de certains Insoumis qui m’ont attaqué sur le fait que j’ai résumé l’alimentation à la gastronomie française : une bonne viande, un bon fromage, un bon vin. Au moins ça a eu le mérite de montrer nos différences - elles sont nombreuses – et de mettre les pieds dans le plat. Et surtout cela m’a permis de développer ces propositions émises à Billom et qui étaient passées inaperçues. Je suis assez content d’avoir pu reparler de la filière élevage qui me préoccupe, d’avoir parlé de ma proposition pour les cantines scolaires… L’alimentation est un sujet politique et à gauche je suis le seul à avoir une vision pour l’agriculture française et l’alimentation.

La viande n’est pas de droite, ni de gauche

Sur le plateau TV de Quotidien, Jean-Laurent Cassely disait récemment que la viande était devenue un produit de droite, qu’est-ce qui serait de gauche alors ? Le quinoa, les lentilles, le panais ?

C’est caricatural, la viande n’est pas de droite, ni de gauche. Il y a des approches politiques différentes autour de la défense de la viande, de l’élevage et de l’alimentation. La droite en ayant défendu des traités européens a ouvert le marché agricole français à la concurrence et exposé nos éleveurs à de grandes difficultés. Puisqu’on laisse importer de la viande venant de pays où les normes sanitaires et les coûts de production sont beaucoup plus bas qu’en France. La droite a une responsabilité dans le fait que beaucoup d’éleveurs décident de mettre la clé sous la porte. Mais à gauche, chez les écologistes notamment, certains défendent avec excès l’idée qu’il ne faudrait plus manger de viande. C’est une erreur ! Je respecte ceux qui ne veulent pas manger de viande, c’est un choix mais ça ne peut pas être un projet de société imposé à tous. Jamais. ! En revanche comme les éleveurs, je dis qu’il vaut mieux manger moins de viande mais en manger mieux, de la bonne, et de la française. C’est un vrai projet politique, je dis aussi que développer l’élevage en plein air et sur des systèmes herbagers permet de maintenir des prairies : c’est beau pour les paysages mais c’est important aussi pour le climat car ça capte le carbone. Derrière la viande on a un discours politique à tenir.

Egalim n’a rien réglé, il n’y a toujours pas de transparence

Je pourrais aussi vous parler du mouton néozélandais importé massivement après l’attentat du Rainbow warrior et là aussi de la responsabilité des gouvernements qui ont laissé ça. Il faut sauver nos éleveurs de moutons et réduire les importations de moutons néozélandais… c’était en 84 !

On doit soutenir nos éleveurs de porcs qui subissent les surcoûts liés intrants mais surtout des marges excessives des industries agroalimentaires et des grandes surfaces. Egalim n’a rien réglé, il n’y a toujours pas de transparence dans la répartition des marges, et l’Etat ne peut intervenir pour fixer des prix rémunérateurs, des tarifs d’achat minimaux. Ma proposition : permettre à chacun de pouvoir manger de la viande au coût correspondant à une viande produite en France mais en garantissant des prix rémunérateurs aux paysans. Nous avons besoin d’éleveurs et d’élevages en France.

Remettons des cuisines dans les écoles et créons des filières locales pour les fournir

Fabien Roussel, candidat PCF à l'élection présidentielle 2022

Vous proposez de créer un fonds alimentaire national de 10 milliards d’euros financé par l’Etat et une taxe sur les revenus des multinationales de l’agroalimentaires, à quoi servirait ce fonds ?

L’objectif de ce fonds est de garantir à nos enfants l’accès à travers la cantine à une alimentation locale, transformée dans les écoles à un coût n’excédant pas un euro. Ce fonds doit servir aux maires pour remettre des cuisines dans les écoles. Remettons des cuisines dans les écoles, formons des salariés et créons des filières locales pour fournir ces écoles. Cela nécessitera d’embaucher un peu. Cela ne se fera pas d’un claquement de doigt. Ce fonds permettra de prendre en charge le surcoût lié à l’achat d’aliments produits localement, plus chers que le poulet congelé brésilien. Cela permettra de développer le goût de nos enfants. Dans les cantines, on mangera moins de viande mais il y en aura de la bonne. Et cela offrira un débouché important pour les agriculteurs dans tous les territoires en vendant directement.

Vous souhaitez promouvoir l’accès pour tous à une alimentation issue de circuits courts mais aussi du bio…Quid des autres formes d’agriculture respectueuses de l’environnement, dont l’agriculture de conservation des sols, ou les pratiques agroécologiques ?

J’ai parlé de produits locaux mais pas de produits bios ! Tout le monde fait du bio mais à différents degrés. Le plus important c’est le local. Ensuite pour moi tout devrait être bio, c’est à l’Etat de déterminer les produits que l’on a le droit d’utiliser, tout en respectant la terre et les hommes. Si on devait mettre que du bio au sens strict dans les cantines on ne pourrait pas nourrir tout le monde.

La Pac doit avoir comme objectif de produire plus et mieux

Quelle serait la principale mesure de la loi d’orientation et de programme agricole que vous voulez mettre en place, remettre en place des prix garantis pour les agriculteurs ?

Je veux substituer à la Pac une Paac (politique agricole et alimentaire commune). En France et en Europe, la population va augmenter. Nous avons un défi : nourrir tout le monde avec des produits sains en épuisant moins la terre et en respectant le vivant et le bien-être animal. L’objectif n’est pas de moins produire, comme disent certains, mais de produire plus et mieux, car on sera plus nombreux. La politique agricole européenne doit avoir cet objectif. Ce qui n’est pas forcément le cas de la nouvelle Pac. L’objectif est de tendre vers l’autonomie alimentaire, de ne plus importer sauf pour les produits qui ne poussent pas chez nous. La Pac devrait aider les agriculteurs à produire dans des exploitations à taille humaine en leur garantissant des prix rémunérateurs. Cela nécessite des moyens financiers, l’Europe en a, mais aussi des règles, de l’interventionnisme de la part de l’Etat qui doit taper du poing sur la table en fixant des prix planchers qui garantissent un salaire aux agriculteurs.

S’il n’y a plus d’agriculteurs demain nous allons manger quoi ? du tofu ?

On donnera envie aux jeunes de venir dans l’agriculture s’ils peuvent en vivre, s’ils peuvent élever une famille. Si c’est un sacerdoce on ne va pas les attirer. Et cet agribashing de la part de personnalités politiques leur donne encore moins envie ! S’il n’y a plus d’agriculteurs demain nous allons manger quoi ? Du tofu, des produits de synthèse, de l’alimentation totalement importée ? C’est horrible ! Le goût quand même est un des cinq sens que l’on a ! C’est essentiel comme la vue, l’odorat… je le vis comme ça ! Je veux que la Pac oriente ses aides pour plus favoriser les exploitations familiales, à taille humaine, favoriser les élevages sur des systèmes herbagers.

Je souhaite nationaliser une banque qui soutienne nos agriculteurs

Ces exploitations sont celles qui ont le plus disparu en dix ans, selon le recensement agricole, est-ce réaliste de tout miser sur elles ?

Bah oui mais comment on va faire demain ? Comment on met fin à la spirale des fermetures d’exploitations ? On doit bien donner envie aux jeunes d’investir. Et pas forcément en donnant des subventions à la tête. Et pour ça je souhaite nationaliser une banque, avoir une banque publique qui soutienne nos agriculteurs, qui leur donne accès à des prêts bonifiés (à taux négatifs, ils rembourseront moins que ce qu’ils empruntent). Ils n’auront pas une banque qui les menacera tous les jours de saisir leur exploitation.

Vous voulez nationaliser le Crédit agricole ?

Non, mais ça me tente quand je vois comment il participe à des systèmes d’optimisation fiscale je trouve qu’il ne montre pas l’exemple. Je nationaliserais plutôt la BNP et la Société générale.

Vous parlez de contenir les prix à la sortie des industries agroalimentaires, mais beaucoup de PME du secteur souffrent déjà de très faibles marges…

Ce ne sont pas celles qui prennent le plus de marges…Ce travail de répartition des marges doit se faire filière par filière. Quand vous voyez que la côte de porc est achetée 1 euro le kg au producteur et se retrouve à 5,50 en grandes surfaces ce n’est pas normal alors qu’il y a juste de la coupe. Ils sont passés où les 4 euros de marge ? Il y a un problème quand même ! J’ai dit sur BFMTV lundi matin que je veux enfermer dans une salle à l’Elysée autour d’un bon repas, d’un bon vin, agriculteurs, industriels et grandes surfaces et leur dire : « maintenant vous trouvez une solution pour que les agriculteurs aient des prix rémunérateurs et le consommateur de bons produits et tout le monde doit y trouver son compte, par filière, par secteur ». La loi Egalim a posé de bonnes bases mais il manque l’obligation de la transparence. Et s’ils n’arrivent pas à se mettre d’accord, l’Etat fixe les prix pour les agriculteurs. C’est facile pour Michel-Edouard Leclerc de faire de la baguette à 29 centimes, à prix coûtant, on pourrait saluer son geste pour les consommateurs mais il se rattrape sur ses marges en étranglant les producteurs de viande, ça ne va pas, ce n’est pas juste !

Je défends les usines, je défends les fermes mais je n’aime pas les fermes-usines

Vous parlez des systèmes herbagers préférables aux élevages industriels, mais comment vous les définissez ?

Je défends les usines, je défends les fermes mais je n’aime pas les fermes-usines. On a transformé certaines exploitations, certains élevages en immenses exploitations où se concentrent beaucoup d’animaux et bien souvent au détriment du bien-être animal et même de l’élevage. Je préfère revenir à des tailles d’exploitations plus petites et favoriser des élevages en plein air et respectant les animaux. Par exemple, j’ai rencontré la filière foie gras qui est meurtrie par une nouvelle grippe aviaire, la 4e en six ans. Ils m’ont expliqué comment les élevages se sont transformés pour devenir des élevages de très grande taille ne faisant qu’une partie de l’élevage, les animaux sont ensuite transportés vers d’autres exploitations et cela favorise la circulation des virus. Alors que les élevages de taille moyenne ne sont pas touchés par le virus. Sur la filière bœuf, je ne soutiens pas ces fermes où s’alignent 300 à 400 vaches qui ne sortent pas et où on fait de la méthanisation plutôt que du lait ! C’est un choix, je l’assume.

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