Le mouchage de la vigne : couper les courants sur les bas d'arcures
Certains viticulteurs coupent les rameaux du bout de la baguette juste après les grappes, pour redistribuer la sève. Explications.
Certains viticulteurs coupent les rameaux du bout de la baguette juste après les grappes, pour redistribuer la sève. Explications.
Le vocabulaire viticole régional est plein de ressources. Dans le nord de la Bourgogne, vous entendrez peut-être parler de mouchage en synonyme d’écimage. Mais dans le Mâconnais, ce terme désigne une pratique bien plus particulière : il s’agit de couper les rameaux fructifères un peu après la dernière grappe, sur les vignes en arcure. Certains sectionnent un centimètre après, d’autres laissent la feuille suivante. « C’est une méthode incontournable, tout le monde fait cela ici », témoigne Florent Bidaut, conseiller viticole à la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire. Franz-Ludwig Gondard, du domaine Gondard-Perrin à Viré, pratique le mouchage sur la totalité de ses chardonnays.
Pour lui, cette action permet de désépaissir le bout de la baguette, qui est la principale zone de production, afin de faire entrer l’air et le soleil. Mais aussi de faire davantage profiter les grappes de la sève élaborée, plutôt que de la voir partir faire de nouvelles feuilles tout au bout du rameau. « On commence quand la vigne dépasse le stade 7-8 feuilles et on essaie de terminer avant la floraison, explique-t-il. On ne le fait que sur la deuxième partie de la baguette, entre le fil de pliage et le fil du bas. Cela représente entre quatre et cinq rameaux par cep. Il me faut une quinzaine de jours pour faire les 18 hectares du domaine. » Les aspects quantitatif et qualitatif sont régulièrement mis en avant.
Des avantages physiologiques mais aussi pratiques
« On concentre l’énergie sur les grappes, je m’attends ainsi à une fructification favorisée, analyse Charles-Édouard Debreuille, vigneron au domaine éponyme, à Royer. Pour moi les baies sont ainsi plus grosses et les arômes concentrés, mais c’est peut-être subjectif ! » Une chose est sûre, la meilleure aération du pied permet de lutter par prophylaxie contre les maladies, ce qui est plutôt appréciable lors des années pluvieuses comme 2021. « Les traitements pénètrent mieux et la vigne est plus saine, assure Franz-Ludwig Gondard. La meilleure qualité vient probablement de là aussi. » Florent Bidaut met en avant le rééquilibrage de la pousse sur la souche : couper en bout de baguette permet de contrebalancer l’effet d’acrotonie et de favoriser les premiers bourgeons.
« Ce qui est important pour faire la baguette l’hiver suivant, mieux vaut avoir un beau bois à disposition », ajoute le conseiller. Mais au-delà de la physiologie, il y a aussi des aspects purement pratiques. « Ce sont des rameaux qui ont tendance à prendre un mauvais pli et à pousser sous les fils releveurs, ça évite d’avoir à les remettre dans le palissage », observe Florent Bidaut. Sans compter que ce sont des bois en moins à tirer lors de la taille. « Je ne dirais pas que ça me fait gagner du temps en hiver, mais ça m’évite d’en perdre ! », concède Franz-Ludwig Gondard. Bien que la France compte d’autres vignobles ayant des tailles en arcure (Alsace, Charente, Jura…), il n’y a pas d’autre région où la pratique soit développée. Il serait enrichissant de se pencher sur la question et voir si l’on observe des intérêts dans le reste de l’Hexagone.
avis d'expert
Laurent Torregrosa, professeur de biologie à Montpellier SupAgro
"Une pratique qui paraît risquée à la floraison"
"Cette pratique s’apparente un peu à un rognage sévère, méthode qui a été pratiquée à une époque sur le grenache à la floraison. Des recherches avaient montré sur cépages coulards que si l’on supprime le puits de carbone qu’est l’apex, la sève élaborée profite davantage à la grappe. Elle a toutefois montré quelques limites car au bout de plusieurs jours les entre-cœurs commencent à repousser et monopolisent alors le carbone : si la floraison est languissante, le remède est pire que le mal. Aussi cette pratique a été plus ou moins abandonnée. L’idée de « mouchage » des vignes me semble globalement curieuse d’un point de vue physiologique : on enlève des feuilles jeunes mais aussi des feuilles adultes, qui produisent du carbone, je ne suis pas certain que le bilan soit favorable. J’imagine que les vignerons ne font pas cela par hasard et que l’empirisme a laissé entrevoir des avantages, mais il serait intéressant de confirmer cela par l’expérimentation."Découvrez tous les articles du dossier Travaux en vert ici :
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