vin de demain
L’arbre va (re) trouver sa place dans les vignes
Les essais d’agroforesterie se multiplient dans les vignes, apportant des réponses scientifiques de plus en plus précises. Si la pratique manque encore de recul, les premiers résultats sont encourageants. Ils écartent les craintes sur la concurrence arbre-vigne au cours des dix premières années, et attestent d’un réel impact sur la biodiversité. Dans les années qui viennent, l’alliance de l’arbre et de la vigne pourrait bien modifier le paysage viticole.
Les essais d’agroforesterie se multiplient dans les vignes, apportant des réponses scientifiques de plus en plus précises. Si la pratique manque encore de recul, les premiers résultats sont encourageants. Ils écartent les craintes sur la concurrence arbre-vigne au cours des dix premières années, et attestent d’un réel impact sur la biodiversité. Dans les années qui viennent, l’alliance de l’arbre et de la vigne pourrait bien modifier le paysage viticole.
Le long terme est une notion bien connue des viticulteurs. Mais lorsqu’il s’agit d’introduire des arbres dans les vignes ou à proximité, elle prend une autre dimension. « Avant même de planter des arbres, il faut déjà se demander ce que l’on fera de sa parcelle si les vignes dépérissent en premier », prévient d’emblée Thierry Dufourcq, ingénieur à l’IFV. Entre 2015 et 2017, il a travaillé sur le projet Casdar Vitiforest, dont l’objectif était d’évaluer l’impact agronomique, environnemental et économique de la conduite de vignes en agroforesterie. « Avec les observations au Domaine départemental de Restinclières, dans l’Hérault, où des arbres ont été plantés en 1999, ce sont les seules données scientifiques dont on dispose à ce jour », poursuit l’ingénieur. Coordonné par l’IFV Sud-Ouest, Vitiforest a mobilisé plusieurs partenaires dont Arbres et paysages 32, l’Inrae, Bordeaux Sciences Agro, Vitinnov et l’université Paul Sabatier à Toulouse. Si les partenaires du projet s’accordent pour dire que l’on manque encore de recul sur cette pratique, de premières tendances se dégagent. « Et elles sont plutôt encourageantes », estime Thierry Dufourcq.
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Pas de concurrence pour l’eau ou l’azote en dix ans de compagnonnage
À la question centrale de la concurrence entre la vigne et les arbres, le projet Vitiforest apporte une réponse claire. « Jusqu’à dix ans de compagnonnage, il n’y a aucune concurrence ni pour l’eau, ni pour l’azote », rapporte Thierry Dufourcq. Le constat vaut à la fois pour les arbres présents dans le rang et pour les rangs d’arbres espacés de quelques mètres de la vigne. Une observation partagée par Sébastien Mouzon, vigneron au domaine Mouzon Leroux, en Champagne. « J’ai planté les arbres et les vignes en même temps et je n’ai pas le sentiment que cela impacte le développement des vignes. Peut-être parce que la vigne s’y habitue dès le début et place ses racines différemment », suppose-t-il. Une hypothèse qui n’est pas écartée par les chercheurs. « La plasticité phénotypique de la vigne pourrait lui permettre de reconfigurer rapidement ses points de prélèvements d’eau », peut-on lire dans le rapport du projet Vitiforest. Mais ils restent toutefois prudents. « À Restinclières, donc en contexte méditerranéen, à plus de dix ans de cohabitation, une concurrence pour l’azote a été observée. C’est pourquoi il est recommandé de respecter au moins 2,5 mètres de distance entre les rangs d’arbres et les rangs de vignes », note Josépha Guenser, responsable de la cellule biodiversité, paysage et aménagements chez Vitinnov. Si les suivis sont voués à être renouvelés afin d’étudier ce phénomène à plus long terme, l’apparition d’une concurrence n’est pas une fatalité. « L’entretien des arbres est primordial pour la réussite d’un système agroforestier. Le trognage, la taille ou le cerclage du système racinaire sont des actions envisageables pour réduire la concurrence », note Thierry Dufourcq. Quant aux pertes de rendements liés à l’introduction de rangées d’arbres en lieu et place de la vigne, « il suffit d’augmenter la densité de plantation dans les rangs de vignes », commente Jean-Baptiste Cordonnier, vigneron au Château Anthonic, en Gironde.
Un impact rapidement mesurable sur le microclimat
D’après le projet Vitiforest, s’il y a un domaine où l’arbre, même jeune, a une influence, c’est sur le microclimat. « Il y a un double effet : d’une part un effet d’ombrage qui réduit l’absorption du rayonnement solaire des vignes à l’ombre de l’ordre de 20 à 40 %, et d’autre part un effet rafraîchissant par la création d’une cellule de convection d’air », argumente Josépha Guenser. Les chercheurs ont ainsi mis en évidence des températures inférieures de 1,5 °C dans les vignes situées au sud des arbres lors du pic journalier, par rapport aux vignes sans arbres à proximité. En conséquence, ils ont observé une corrélation entre les vignes qui ont été exposées au maximum de températures les plus faibles et les acidités les plus élevées dans les moûts, notamment grâce à des teneurs plus fortes en acide malique. « Cela témoigne d’une maturation plus progressive », analysent les chercheurs. Par effet de dilution, cela a également un impact sur la charge phénolique, plus faible là où les rendements sont les plus élevés. « L’arbre joue un rôle prépondérant dans le cycle de l’eau, analyse Delphine Rousseau, directrice d’Arbres et paysages en Champagne. Ce qui est un avantage les années sèches, mais qui nécessite de la vigilance lors des années humides à forte pression maladie. » Jean-Baptiste Cordonnier, du Château Anthonic, témoigne d’un effet bénéfique de la présence de haies autour de ses parcelles. « Je les trouve justement plus vigoureuses car elles sont protégées des vents desséchants », explique-t-il. Quant aux risques de gel, l’étude n’a pas su démontrer une quelconque influence. « Une chose est sûre, le risque est plus fort avec des feuillus qu’avec des conifères, qui ont des aiguilles et non des feuilles », précise Delphine Rousseau.
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La continuité entre les milieux favorise la biodiversité animale
Quant à l’impact sur la biodiversité, qui est souvent le principal objectif de ceux qui s’engagent dans une démarche agroforestière, il est plus empirique. Jean-Baptiste Cordonnier se souvient avoir constaté une dégradation visible de la biodiversité lors de la reprise du domaine familial dans les années 90. « J’ai donc d’abord supprimé le désherbage chimique dans l’interrang et commencé à réintégrer les sarments broyés, et honnêtement je pensais que ça suffirait. Mais ce n’est qu’une demi-mesure », explique-t-il. Progressivement, il est passé à l’enherbement spontané et a introduit des haies à partir de 2010, puis des arbres dans les vignes en 2016. « Environ trois ans après avoir installé les haies, j’ai observé le retour d’un certain nombre d’espèces dans les vignes, des couleuvres mais aussi des oiseaux. Jusqu’alors elles restaient dans les bois ; elles circulent désormais dans le vignoble », se réjouit le vigneron. Il explique ne plus voir d’effets de pullulation de certaines espèces, mais atteindre un équilibre naturel. « Et la bonne nouvelle c’est que les oiseaux ne semblent pas raffoler des raisins », s’amuse-t-il.
Pour Jérôme Courgey, consultant viticole en transition agroécologique, fondateur de l’association Arbres et paysages en Champagne, il ne faut pas s’attendre à voir d’impact sur la biodiversité simplement en implantant des arbres. « Il faut une continuité entre les différents milieux, expose-t-il. Donc ça veut dire des sols couverts à 100 % toute l’année, des haies, des arbres, et une stratégie zéro herbicide idéalement couplée à une stratégie zéro travail du sol. » « À découvert, la faune est vulnérable. Il lui faut des refuges très rapprochés pour pouvoir se déplacer », complète Delphine Rousseau. Sur la présence d’insectes, le projet Vitiforest apporte quelques réponses, mais pas de conclusions définitives. « On a observé des effets contrastés sur la répartition des insectes, notamment des cicadelles, mais pas d’effets sur leur abondance », complète Josépha Guenser. Plus récemment, une étude menée par des chercheurs de l’université de Davis, en Californie, a montré qu’Eudémis était quatre fois plus présente dans les paysages dominés par la vigne que dans les paysages diversifiés. Basée sur les suivis de densité de tordeuses de la vigne dans 400 vignobles d’Andalousie entre 2006 et 2018, cette étude permet de lisser l’effet millésime pour évaluer l’impact du paysage sur la présence de ce ravageur. Enfin, Vitiforest met en évidence la présence exacerbée de lombrics à proximité des arbres. Un élément à retenir pour ceux qui espèrent ainsi stimuler la vie du sol et s’intéressent à l’effet structurant des arbres.
Commencer par définir clairement ses objectifs
Sur le plan pratico-pratique, la mise en place d’un système agroforestier en vigne doit s’anticiper. « Définir précisément ses objectifs est primordial : qu’est-ce que je veux que les arbres m’apportent ? Est-ce que je cherche une rentabilité économique ? Est-ce que je cherche à dégager un revenu des arbres ? Est-ce que je prévois d’y accueillir du public ? L’idée étant de définir des itinéraires techniques pertinents », explique Jérôme Courgey. Pour bénéficier de l’influence des arbres, les recommandations en termes de densité s’établissent à un arbre pour 10 ares. « En gros on met une rangée d’arbres tous les 20 rangs de vignes et on espace les arbres de 7 à 8 mètres », commente Jean-Baptiste Cordonnier. Diversifier les essences est également encouragé, en privilégiant les espèces locales. « On a juste écarté les arbres à fruits rouges de notre cahier des charges, car ils attirent les drosophiles qui peuvent ensuite s’attaquer aux raisins », pointe Émilie Legros Bouvret Responsable vignoble et environnement des Vignerons de Buxy en Bourgogne (1). « S’il y a eu des cas de drosophiles sur certains millésimes, effectivement les arbres à fruits rouges peuvent poser un problème. Mais, si l’historique est neutre vis-à-vis de ce phénomène, il y a peu de chance que ce soient les fruitiers qui introduisent le ravageur », tempère Thierry Dufourcq. Le fait que les arbres soient une porte d’entrée de maladies dans le vignoble relève à ce jour du mythe plutôt que de la réalité. « Si les arbres introduits sont en bonne santé il n’y a pas de problème », commente Jean-Baptiste Cordonnier. À chacun d’être vigilant et de surveiller les arbres avec autant d’attention que la vigne, quitte à les arracher s’ils montrent des signes de dépérissement.
(1) Les vignerons de Buxy ont lancé en 2017 le programme Un arbre pour 10 ha de vignes, qui a permis en trois ans de planter 200 arbres.
Convertir les bénéfices de l’agroforesterie en valeur monétaire, un enjeu pour les politiques publiques
À ce jour, évaluer l’impact économique d’un système agroforestier reste compliqué tant la diversité et la complexité des différentes configurations sont vastes. « Honnêtement je ne sais pas combien ça me coûte et je m’en fiche, car les bénéfices n’ont pour moi pas de prix », expose Jean-Baptiste Cordonnier. Ce dernier finance ses nouvelles plantations d’arbres grâce à la vente de bois issu des arbres à remplacer. D’après le projet Vitiforest, le coût de plantation d’un arbre est d’environ 18 € HT, incluant les frais de fournitures (7,30 €), le coût des travaux de préparation et de plantation (5,20 €) et les frais de suivi du projet par un expert (5,50 €). « C’est important de se faire accompagner car ces projets sont très techniques et doivent être suivis sur le long terme », commente Alain Canet, agronome au sein de l’association Arbres et paysages 32. Par la suite, l’entretien des arbres ne s’effectue pas forcément tous les ans, mais par exemple tous les deux ou trois ans pour les haies. « Il devrait bientôt arriver sur le marché un outil qui permet d’aspirer le produit de la taille, ce qui permettra de consacrer moins de temps à l’entretien », commente Alain Canet. Pour l’IFV et ses partenaires, « définir des indicateurs pertinents pour évaluer les contributions environnementales, sociales et économiques est un enjeu majeur si l’on veut envisager leur conversion en valeurs monétaires dans le cadre de politiques publiques ». Ce point constitue un véritable enjeu alors que le plan de relance du gouvernement place la biodiversité comme un axe de développement stratégique pour l’agriculture. En témoignent les 30 millions d’euros qui sont dédiés au programme Plantons des haies. Un coup d’accélérateur pour le génie végétal qui, comme le rappelle Alain Canet, est « une source durable de création d’emploi. »
voir plus loin
Landfiles, le réseau social des apprentis agroforestiers
Landfiles est une plateforme collective de partage d’expériences entre agriculteurs, dont beaucoup de viticulteurs, ayant mis en place des pratiques agroforestières au sein de leurs exploitations. Organisé en groupes thématiques (couverts végétaux, plantation de haies etc.), Landfiles permet à chaque membre de poster des photos et des commentaires sur ses pratiques, ou encore de discuter de l’efficacité du matériel utilisé. On peut y suivre les résultats des essais menés par les agriculteurs, qui y annotent leur niveau de satisfaction par rapport à l’objectif recherché. « C’est une sorte de grosse base de données fondée sur l’entraide, qui fait appel à l’expérience collective pour interpréter ce que l’on constate sur ses parcelles », précise Jérôme Courgey, consultant Viticole en transition agroécologique et administrateur. Actuellement, Landfiles compte 160 membres, principalement installés en Champagne, mais le groupe va prochainement être élargi aux membres de l’association Arbres et paysages 32. L’inscription est gratuite, il faut demander l’accès sur landfiles.com.