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Prix du lait : faut-il plus payer la matière grasse aux éleveurs ?

Le système français de paiement du lait encourage actuellement à produire du volume avant tout et non des taux. Dans un même temps, la demande pour la matière grasse est de plus en plus soutenue. Les intérêts des acteurs de la filière convergeront-ils vers un meilleur paiement du TB ?

Analyse de référence matière grasse (Gerber)
L’application des grilles qualités régionales, dont le paiement de la matière grasse du lait, est facultative et libre de choix.
© L. Page / Cniel

Avec la hausse du prix de base du lait exprimé en 38/32, il est aujourd’hui plus intéressant pour un éleveur de faire du volume que des taux. À quantité égale de manière solide utile (matière grasse et matière protéique) produite, le producteur qui aura le plus gros litrage sera mieux rémunéré que celui qui aura produit un lait riche. Résultats : les camions transportent plus d’eau et moins de matière utile.

Dans le même temps, les cours du beurre et de la crème continuent leur ascension. La cotation spot du beurre français a bondi de 82 % en l’espace d’un an.

Lire aussi Qui a ouvert le débat sur le paiement de la matière grasse du lait ?

« Au sein du collège producteur du Cniel, nous estimons être lésés sur le paiement de la matière grasse, alerte Yohann Barbe président du collège producteur et de la FNPL. La valeur de la matière grasse est aujourd’hui plus proche de 6 €/kg que des 2,50 /kg de certaines grilles régionales. »

Faut-il revoir la méthode française de paiement du prix du lait ? Deux voies sont possibles : les Criels – certains viennent tout juste d’ouvrir le débat – ou les organisations de producteur (OP), mais cette dernière voie semble comporter plus de risques pour les producteurs.

Se méfier de l’Autorité de la concurrence

Les Criels évoluent dans un cadre particulièrement rigide. Chaque décision doit être prise à l’unanimité de tous les collèges. Or producteurs, coopératives et industriels peuvent avoir des intérêts divergents. Tous comme les membres au sein d’un même collège : entre producteurs de lait riche ou de lait standard ; transformateurs en demande de matière grasse origine France ou spécialisé dans l’ultrafrais protéiné…

Autre difficulté qui va animer les discussions au sein des Criels : les règles de la concurrence encadrant les interprofessions régionales sont très strictes au risque qu’une décision soit qualifiée d’entente.

Pour rentrer dans le cadre de ce qu’a autorisé la Commission européenne en 2014, il faut que les évolutions de grilles envisagées n’aient « pas d’effet inflationniste sur le prix du lait, et, par conséquent, sur le prix des produits laitiers », précise une note interne du Cniel à destination des Criels et « rester sur des éléments techniques ou des variations minimes de seuils ». Les montants des primes à la composition et à la qualité doivent également être « totalement déconnectés des fluctuations du marché et des variations de prix ».

 

« Il faut être inventif pour aller vers plus de partage de la valeur », Yohann Barbe président du collège producteur.
« Il faut être inventif pour aller vers plus de partage de la valeur », Yohann Barbe président du collège producteur. © J.-M. Vignau

« Il faut être inventif pour aller vers plus de partage de la valeur », Yohann Barbe président du collège producteur.

Si les évolutions envisagées ne respectent pas ces critères, comme l’indexation du paiement du TB sur les cours du beurre ou de la crème, alors elle doit être étudiée par le Cniel qui envisagera une demande d’avis à la Commission européenne au titre de l’article 210 du Règlement OCM unique. L’instance nationale ne semble pour l’heure pas particulièrement motrice sur le sujet. « C’est aux acteurs régionaux de dire s’ils veulent ouvrir le débat et y travailler », estime son nouveau président Pascal Le Brun issu du collège des coopératives.

User les organisations de producteurs

Si ce n’est pas le cas, les organisations de producteurs (OP) ou leurs associations (AOP) peuvent également se saisir du sujet : le cadre réglementaire y est bien plus souple.

De nombreux acteurs ne semblent pas particulièrement attirés par cette perspective. « Il faut avoir un esprit de filière sur le paiement de la matière grasse. Plus on va multiplier les points de négociation, plus on crée quelque chose d’opaque, déplore le président du collège producteur. Si chaque OP doit aller chercher le bout de gras. On use les troupes. »

Certains industriels – loin d’être majoritaires – vont également de ce sens. « Il serait logique de revoir les primes aux taux. Et que toutes les régions remontent le prix de la MG, car il y a un intérêt national à le faire, estime Philippe Leseure, directeur des filières au pôle liquide du groupe LSDH. Mais la LSDH ne rehaussera pas seule la prime aux grammes différentiels de TB. Parce ce que cela pèserait sur notre compétitivité, dans un marché de la crème UHT très concurrentiel. »

Quid du TP et du prix de base ?

Les débats autour du paiement de la matière grasse sous-entendent deux autres questions : faut-il également revoir le prix de base et du paiement du TP ? « Le prix de base en 38/32 est non négociable, statut Yohann Barbe. On doit revaloriser la MG supplémentaire au-delà de 38. On ne prend pas dans une poche pour donner à l’autre ! ».

Loïc Adam, président de France OP Lait est du même avis : « Les primes qualité – pour les taux et la qualité sanitaire – n’ont pas été revalorisées depuis très longtemps, alors que les coûts des efforts pour produire un lait de qualité ont augmenté. Il est temps de les revaloriser. Et pas question de réduire le prix de base pour les rehausser. »

Autre possibilité, qui demanderait une véritable révolution culturelle : payer le lait à la matière utile et non plus au volume, comme le font d’autres pays. Mais cela ne rimerait pas forcément avec meilleur paiement du lait et ne se traduit pas par de meilleurs taux dans le lait collecté dans ces pays.

Costie Pruilh et Alizée Juanchich

Les paiements indirects de la matière grasse du lait

Si la grille interprofessionnelle donne le ton du paiement de la matière utile du lait, des paiements indirects existent comme l’accompagnement par la laiterie à des programmes génétiques centrés sur la hausse des taux. Les exemples d’OP en négociant se multiplient comme à la laiterie T. Rians. « Pour nos desserts, nous avons de gros besoins en crème. Nous cherchons donc à faire évoluer le lait issu de notre collecte pour qu’il soit plus riche en matière grasse », présente Henri Triballat, responsable amont à la laiterie.

Depuis une dizaine d’années, la laiterie actionne trois leviers, travaillés avec les représentants de producteurs : la valorisation des grammes différentiels de matière grasse du lait ; l’aide à l’introduction de vaches de race jersiaise ; et l’aide au choix de taureaux améliorateurs du TB pour les accouplements.

Dans la zone où le lait est destiné aux fabrications de desserts, le paiement des grammes différentiels va au-delà de la grille Criel. Avec deux paliers : entre 38 et 41kg/1000 l, un paiement d’environ 3 €/kg et au-delà de 41 kg, un paiement d’environ 5 €/kg.

 

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