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Les AOP IGP laitières doivent être durables 

Autonomie alimentaire, bien-être animal... Intégrer des attentes sociétales tout en veillant au principe de réalité n'est pas chose aisée. Le brie de Meaux et le beurre Charentes Poitou nous expliquent leurs choix.

Toutes les AOP-IGP laitières font évoluer leur cahier des charges, plus ou moins vite, avec des changements plus ou moins profonds. Les indications géographiques sont tenues de définir des conditions de production, de par la règlementation européenne. Elles sont aussi titillées par toutes les démarches de lait différencié répondant à de nouvelles attentes sociétales. 

Les dernières évolutions de cahier des charges des AOP-IGP ont ainsi des points communs : origine locale des animaux, autonomie alimentaire des élevages, alimentation sans OGM, interdiction de l'urée, pâturage minimum... Et des différences. Les indications géographiques sont diverses et variées, de par leur ancrage territorial et des pratiques traditionnelles liées à l'histoire. Parmi les modifications les plus récentes, le futur cahier des charges beurre Charentes Poitou interpelle avec l'obligation du maïs. Et le nouveau cahier des charges brie de Meaux décrit deux systèmes fourragers traditionnels de la zone.

Le maïs consolidé en Charentes Poitou

Le futur cahier des charges du beurre AOP Charentes Poitou, validé en novembre 2019 par l'Inao, est à présent entre les mains de la Commission européenne, et pourrait s'appliquer à partir de fin 2022. L'évolution du cahier des charges est importante pour les éleveurs, qui pour l'instant, ne sont soumis qu'à l'obligation d'être dans la zone géographique de l'AOP. Les principaux changements sont l'interdiction d'aliments contenant des OGM, l'interdiction de l'urée, l'obligation pour les fourrages de venir exclusivement de la zone, une limitation des concentrés à 1 800 kg de matière sèche...

Le maïs a été ancré dans la ration des vaches laitières : au moins 50 % et au moins 7 kg MS/VL/j sous toutes ses formes. « C'est pour préserver les qualités de notre beurre. Il est en effet recherché par les boulangers, pâtissiers et restaurateurs (trois quarts des ventes en France et à l'étranger), pour sa texture, ses caractéristiques techniques et son goût constants au fil des saisons. D'autre part, le maïs est depuis longtemps et pour beaucoup d'élevages de la zone la base des systèmes d'alimentation », explique Laurent Chupin, directeur de la ressource laitière pour l'ODG beurre Charentes Poitou.

Développer une filière protéines locales

Ceci dit, entre le changement climatique et les attentes sociétales, les assolements se sont diversifiés et le maïs perd par endroit un peu de son omniprésence.  « Nous avons prévu qu'en période de pâturage, la quantité de maïs peut être réduite sans descendre sous 1,5 kgMS », précise Laurent Chupin.

Le bien-être animal a été intégré, avec un point sur la ventilation des bâtiments et le couchage souple avec litière pour les vaches. « Par contre, nous n'avons pas obligé la sortie à l'extérieur, car depuis longtemps les systèmes tout bâtiment sont répandus dans nos zones intermédiaires de polyculture élevage. »

Enfin, la ration totale (fourrage et concentré) annuelle en matière sèche doit provenir de la zone AOP pour au moins 80 %. « Cela pousse la filière AOP à travailler au développement d'une filière de protéines locales. Pour ne pas mettre en péril des rentabilités d'exploitations laitières, nous avons mis la possibilité de s'approvisionner hors zone pour des correcteurs à plus de 20 % de MAT. »

Brie de Meaux : pas de pâturage pour tous

Le brie de Meaux impose aussi une autonomie alimentaire au niveau de la zone AOP, mais va plus loin avec une autonomie d'exploitation (au moins 60 % de la ration totale, en matière sèche). Le cahier des charges n'impose pas un pâturage minimum à tous les élevages, « car nous ne sommes pas dans le rêve, mais dans la réalité de ce que sont traditionnellement les élevages de la zone brie de Meaux et de Melun. En zone de polyculture de plaine, les rations valorisent depuis très longtemps de la betterave, des sous-produits céréaliers, du maïs, de l'herbe, de la luzerne », rappelle Jean-Claude Pette, représentant des producteurs de lait en brie de Meaux. Quelques zones plus herbagères (Meuse, Haute Marne, vallées de brie) comptent des systèmes pâturants. Pour eux, il faut pâturer au moins 150 jours par an avec au moins 20 ares par vache, et la ration hors période de pâturage contient au moins 3 kgMS d'herbe.

La fin des néonicotinoïdes inquiète

Il y a quatre ans, quand l'ODG a inscrit l'obligation d'un minimum de betterave dans son futur cahier des charges, ce point lié à la tradition ne posait aucun problème, l'offre de pulpes surpressées étant abondante sur la zone. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Avec la concurrence d'autres filières (non OGM, méthanisation) et une année 2020 à très mauvais rendements, les éleveurs ont du mal à s'approvisionner. « Ce problème risque de se renouveler avec la fin programmée des néonicotinoïdes », indique Jean-Claude Pette. Si la dérogation à l’interdiction est retoquée, il n'y aura pas assez de betteraves produites sur la zone d'appellation pour que tous les élevages concernés respectent le cahier des charges. « Mais même avec la dérogation, il est difficile de croire qu’une solution alternative aux néonicotinoïdes sera trouvée d'ici trois ans. Même si certains se mettent à cultiver de la betterave fourragère, la fourragère ne pourra pas remplacer complètement les pulpes car nous devons apporter de la betterave toute l'année aux vaches. D'autre part, cela se ferait au détriment d'autres surfaces, avec une incidence économique pour les élevages. Ainsi, notre filière et ses 6 499 tonnes de fromages vendues par an est en sursis », s'inquiète Jean-Claude Pette.

Chiffres clés

AOP beurre Charentes Poitou

1 800 exploitations engagées
5 départements de Poitou-Charentes et la Vendée, ainsi que des communes de départements limitrophes
Près de 28 000 tonnes vendues en 2019

Chiffres clés

AOP brie de Meaux

271 élevages engagées
Seine-et-Marne et une partie de six autres départements
Environ 6 500 tonnes vendues en 2019

Modifier la règlementation européenne pour intégrer la durabilité

Environnementale, économique et sociale : les piliers de la durabilité doivent tous pouvoir régir les nouvelles règles des indications géographiques.

« Nous devons repositionner les indications géographiques (AOP, IGP) pour réaffirmer des promesses de goût : cela reste la première promesse des IG. Et pour répondre aux nouvelles attentes sociétales, en les traduisant dans nos cahiers des charges », résume Michel Lacoste, président du Cnaol.

Si des critères tels qu'un pâturage minimum, une alimentation non OGM, régissent déjà un certain nombre de cahiers des charges, certaines IG veulent aller plus loin sur la prise en compte des attentes sociétales. Le comté, le morbier et le mont d'or par exemple. Avec une limitation de la taille des élevages et des ateliers, une limitation du nombre d'animaux par unité de main-d'œuvre, des capitaux appartenant aux agriculteurs... Leur futur cahier des charges veulent dessiner un modèle d'élevages et de fruitières.

Le problème, c'est que « en l'état actuel de la règlementation européenne, toute exigence doit avoir un impact sur la qualité organoleptique du produit. Si on ne peut pas prouver le lien entre les deux, l'exigence risque d'être retoquée par la Commission européenne », explique Michel Lacoste, président du Cnaol.

Pouvoir agir sur le modèle d'élevage

Pour sécuriser les futurs cahiers des charges, le Cnaol, avec OrIGin(1), demande une évolution du cadre règlementaire des appellations dans la nouvelle PAC. Depuis, d'autres pays et représentants d'IG ont rejoint le mouvement. « Nous demandons que la durabilité soit inscrite dans les objectifs auxquels doivent répondre les AOP. Cela nous permettra d'inscrire dans nos cahiers des charges des éléments pour s'adapter au changement climatique, aux attentes sociétales, à une crise comme celle liée à la Covid-19. » Car la durabilité se décline en quatre axes : environnementale, bien-être animale, sociale et économique (partage de la valeur ajoutée).

Des plus values avec les nouveaux cahiers des charges

L'objectif des nouveaux cahiers des charges est aussi d'améliorer la valorisation du lait. L'enjeu pour certaines filières comme le brie de Meaux et de Melun est le renouvellement des générations et le maintien de la production laitière engagée en AOP IGP. « Cela fait sept ans que les volumes de lait collectés diminuent », pointe Jean-Claude Pette, représentant des producteurs en brie de Meaux.

Pour de nombreuses AOP, le prix du lait a évolué vers un prix déconnecté du « non-AOP ». Il est fonction des valorisations des produits AOP et de leur taux de transformation - tout le lait collecté n'étant pas valorisé en produit AOP. Pour que cela se traduise par un prix du lait satisfaisant, encore faut-il pouvoir valoriser tout le lait répondant à un cahier des charges. « En beurre AOP Charentes Poitou, 570 millions de litres sont transformés en beurre AOP (sur 1 200 au total). Le solde est utilisé pour la fabrication d’autres produits (crème, fromage). D'autre part, il faut 22 litres de lait entier pour fabriquer 1 kg de beurre. La matière grasse est correctement valorisée par le beurre AOP. Le Syndicat des laiteries travaille actuellement à valoriser aussi les coproduits (lait écrémé pour l'essentiel) avec les caractéristiques du nouveau cahier des charges. Le sans-OGM, le sans-urée, l’alimentation locale sont des éléments de nature à être valorisées par le marché », détaille Laurent Chupin, de l'ODG beurre Charentes Poitou.

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